Enseignement supérieur et recherche : Appel solennel pour la protection des libertés académiques et du droit d’étudier

Nous, membres des universités et des établissements publics à caractère scientifique et technologique, syndicats, sociétés savantes, revues et collectifs de l’enseignement supérieur et de la recherche (ESR), sonnons l’alerte contre la dégradation générale de l’état des libertés académiques et du droit d’étudier en France, dont le projet de loi de programmation de la recherche, qui sera examiné cette semaine au Sénat, n’est qu’une des facettes.

Ces derniers jours, cette dégradation s’est exprimée de manière patente.

Elle s’est explicitement manifestée dans les propos du ministre de l’Éducation nationale qui, dans la lignée des soi-disant « analyses » du président de la République du 10 juin 2020, a accusé les universitaires de « complicité intellectuelle du terrorisme », fruit d’un « islamo-gauchisme » qui « ravage » l’enseignement supérieur. Que voulait dire M. Blanquer lorsque, ce jeudi 22 octobre 2020 devant la commission des lois du Sénat, il envisageait de définir « une matrice initiale, parfaite, impeccablement réglée » pour les enseignements délivrés à l’université, considérant qu’« il s’agit de voir ce qui se passe, pour de vrai, dans les enseignements qui sont donnés » ?

Cette dégradation découle aussi du projet du président de la République de nommer l’un de ses plus proches conseillers à la tête du Haut conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur, au terme d’une procédure entachée de graves conflits d’intérêts, et alors même que cette autorité est appelée à jouer, dans les années à venir, un rôle de premier plan, dans la mesure où une part toujours plus importante des ressources de l’ESR sera corrélée aux évaluations faites, précisément, par ce Haut Conseil.

Cette dégradation découle également, bien sûr, de la loi de programmation de la recherche en passe d’être adoptée par le Parlement, qui démultiplie les mécanismes de dépendance et d’emprise à l’intérieur des établissements d’enseignement supérieur et de recherche, à la fois par l’affaiblissement des protections statutaires et la généralisation des primes et des financements orientés.

Cette dégradation découle, enfin, de la précarisation générale des conditions de travail dans les établissements d’enseignement supérieur et de recherche, que la crise sanitaire et sa gestion chaotique par le ministère rendent tout particulièrement manifestes. Sans doute cette précarisation représente-t-elle même la plus directe de toutes les attaques contre nos libertés académiques, dans la mesure où celles-ci supposent, comme le rappelle l’article L. 123-9 du code de l’éducation, des « conditions de sérénité indispensables à la réflexion et à la création intellectuelle ».

Voilà quelques-uns des signaux convergents de l’érosion accélérée des libertés académiques en France.

Qu’on ne s’y trompe pas : ce ne sont pas seulement les agents de l’enseignement supérieur et de la recherche publics qui se trouvent ici attaqué·es, mais les modes mêmes d’élaboration des savoirs, dans leur nécessaire pluralité, et en particulier des savoirs critiques dont les élu·es, les associations et les citoyen·nes se saisissent parfois ― c’est vrai et la diffusion élargie des résultats de nos recherches fait partie de nos missions les plus gratifiantes ― pour contrer, par des discours argumentés, les fractures que font naître, dans le corps social, les simplifications en tous genres, racistes notamment, et, plus généralement, pour contribuer à la formulation des réponses ― y compris politiques ― aux problèmes contemporains.

Mais il est temps, maintenant, de contrer collectivement ces évolutions. Non pas contrer chacun de ces signaux pris isolément, mais contrer le faisceau qu’ils forment tous ensemble. Il est urgent, même, de le faire maintenant, car ces derniers jours d’octobre 2020 représentent un moment charnière.

Jeudi 29 et vendredi 30 octobre se tiendront les ultimes débats au Sénat sur le projet de loi de programmation de la recherche. C’est donc maintenant ou jamais que les libertés académiques doivent être remises au cœur du projet de loi.

C’est cette semaine aussi que le président de la République peut encore renoncer à son projet de nommer son propre conseiller à la tête du Haut conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur.

C’est cette semaine, enfin, que Madame Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, doit se résoudre à assumer pleinement la Déclaration de Bonn sur la liberté de la recherche scientifique que les ministres européens de la recherche ont adoptée le 20 octobre 2020 et qui rappelle que la liberté de la recherche scientifique suppose « le droit de définir librement les questions de recherche » et le droit « de choisir et de développer toute théorie […] pour interroger les idées reçues ».

C’est maintenant que ces décisions doivent être prises, car la suite s’annonce pire encore. Nous sommes très inquiètes et inquiets des atteintes aux libertés académiques susceptibles d’être inscrites dans le projet de loi sur les séparatismes, dont l’examen en Conseil des ministres est programmé pour le 9 décembre prochain. Quelle signification accorder, en effet, aux dernières « sorties » de M. Blanquer, encore confirmées dans le Journal du Dimanche du 25 octobre, sinon d’être des « ballons d’essai » pour ce projet de loi ? Nous savons d’ores et déjà aussi qu’à l’occasion de ces mêmes débats, le droit des hommes et des femmes à étudier – indépendamment de toute considération vestimentaire – dans les universités françaises risque d’être remis en question par des mesures discriminatoires.

En dépit de la fatigue des collègues mobilisé·es depuis des mois pour la défense du service public de la recherche et de l’enseignement supérieur ; en dépit d’un semestre universitaire qu’il nous faut gérer dans des conditions dantesques ; en dépit des autres initiatives en cours, que nous appelons à rejoindre1, nous sonnons l’alerte générale sur l’état des libertés académiques et du droit d’étudier en France.

Nous avons encore espoir que cette alerte sera entendue.

Premiers signataires:
Sociétés savantes
Association des chercheurs et enseignants didacticiens des langues étrangères (Acedle)
Association des enseignant·es-chercheur·es en science politique (AECSP)
Association des sociologues de l’enseignement supérieur (ASES)
Association française de sociologie (AFS)
Association Mnémosyne pour le développement de l’histoire des femmes et du genre
CNFG – Comité National Français de Géographie.
IASPM-bfe, Branche francophone d’Europe de l’IASPM (International association for the study of popular music)
Littératures populaires et culture médiatique. Association internationale des chercheurs en « Littératures populaires et culture médiatique » (LPCM)
Société des Anglicistes de l’Enseignement Supérieur (SAES)

Syndicats
CGT FERC Sup de l’Université de Franche-Comté
L’Alternative. Union syndicale et associative
Le Poing levé Paris-1
Solidaires étudiant⋅es
Sud Education
Sud Recherche
Syndicat de Combat Universitaire de Montpellier (SCUM)
Union des Étudiant·es Communistes (UEC)

Collectifs
Université ouverte (UO)
Collectif Aggiornamento histoire-géo
Collectif des Précaires de l’Université de Caen-Normandie
Juristes de Paris-1 contre la LPPR
Sauvons l’université (SLU)

Revues
Actes de la recherche en sciences sociales
Annales historiques de la Révolution française
Anthropologie & Santé
Archives de sciences sociales des religions
Artefact. Techniques, histoire et sciences humaines
Belphégor
Biens symboliques/Symbolic Goods
BMS Bulletin de méthodologie sociologique/Bulletin of Sociological Methodology
Cahiers d’études africaines
Cahiers internationaux de sociologie de la gestion (CISG)
Cahiers de littérature orale
Cahiers d’Outre-Mer
Cahiers de la recherche sur l’éducation et les savoirs
Cahiers des Amériques latines
Cahiers de Framespa
Carnets de géographes
Cahiers François Viète
Clio. Femmes, genre, histoire
Communication & langages
Communications
Condition humaine/ conditions politiques, revue internationale d’anthropologie politique
Critique internationale. Revue comparative de sciences sociales
Cultures & Conflits
Diasporas. Circulations, migrations, histoire
Dix-Huitième Siècle
Droit et sociétés
Esclavages & Post-esclavages/ Slaveries & Post-slaveries
Esprit critique
ethnographiques.org
Études de communication
Filigrane. Musique, esthétique, sciences, société
Genèses. Sciences sociales et histoire
Genre & histoire
Genre, sexualité & société
Géographie et cultures
GLAD! Revue sur le langage, le genre, les sexualités
Histoire, médecine et santé
¿Interrogations?
Journal des Africanistes
Journal de la Société des américanistes
Journal des Anthropologues
Justice spatiale / Spatial Justice
Langage et Société
La Pensée libre
Les Mondes du Travail
Le Temps des médias. Revue d’histoire
Travailler
Parcours anthropologiques
Projets de paysage
Norois
Nouvelle Revue du Travail
Nuevo Mundo Mundos Nuevos
Politique africaine
Politiques de communication
Politix. Revue des sciences sociales du politique
Recherches en didactique des langues et des cultures
Regards sociologiques
ReS Futurae. Revue d’études sur la science-fiction
Revue d’histoire des sciences humaines
Revue européenne des migrations internationales (REMI)
Revue d’histoire du XIXe siècle
Revue des droits de l’homme
Revue des sciences sociales
Sociétés contemporaines
South Asia Multidisciplinary Academic Journal
Semen, revue de sémiolinguistique des textes et des discours
Strenæ. Recherches sur les livres et les objets culturels de l’enfance
Studia Islamica
Techniques & Culture
Terrain
Tracés. Revue de sciences humaines
Transformations
Transposition. Musique et sciences sociales
TV/Series
Tumultes
Urbanités
Volume ! La revue des musiques populaires

Laboratoires de recherche
ICM – Institut convergence Migrations (CNRS, Campus Condorcet)
Laboratoire de sciences Sociales – LABERS -EA 39 41 – Université de Brest

Texte de l’appel : https://academia.hypotheses.org/27287

Premiers signataires : https://academia.hypotheses.org/27287#Soutiens

Communiqué de presse : https://academia.hypotheses.org/27418

Contact : academia_redaction@groupes.renater.fr