Féminisation du métier,« perte d’autorité » et stéréotypes de genre

Choses vues et entendues

  •  « On n’a maintenant que des maîtresses dans cette école. On aurait bien besoin d’un maître dans l’établissement, qui serve de référent aux élèves. Bref, un homme qui les recadre et les effraie un peu, quelqu’un qu’ils respectent quoi »
    Une maîtresse en conseil des maîtres
  •  « Elle ne sait pas gérer ses élèves, le remplaçant savait s’imposer et se faire respecter. De toute façon, les élèves ont besoin d’un cadre, avec un homme, ça va tout de suite mieux. »
    Un collègue à une collègue de la collègue remplacée
  •  « Les élèves se sont habitué-es en primaire à être avec des profs femmes. Arrivé-es au collège, on a du mal à les récupérer, on leur a passé plein de choses.
    Un parent à un professeur de collège qui souhaitait évoquer les difficultés d’attention de son enfant
  •  « L’autorité ? Les profs n’ont plus aucune autorité de nos jours, puis y a trop de femmes dans l’enseignement. C’est plus ce que c’était. Les enseignantes, elles ont tendance à materner plutôt qu’à fixer des limites. Faut pas s’étonner que les élèves en profitent. »
    Un parent d’élève

Féminisation et « perte d’autorité »

Le métier d’enseignant-e dans le premier et second degré est largement féminisé.
En école primaire on trouve en effet plus de 80 % d’enseignantes, tandis que les collèges et lycées accueillent environ 57 % de collègues femmes.

Pétri-es par une conception patriarcale de la société, certain-es s’émeuvent de cette sur-représentation des femmes dans l’Education Nationale.
Un stéréotype sexiste parmi tant d’autres veut en effet que la féminisation du métier serait la cause d’une pseudo perte « d’autorité » du corps enseignant, et de l’échec de l’école à remplir ses missions éducatives.

La question de « l’autorité » est perçue comme la condition sine qua non d’une bonne situation d’apprentissage. Un-e bon-ne enseignant-e doit savoir « tenir » ses classes, selon une expression fréquemment utilisée en salle des profs ou des maître-sses.

Vous avez dit sexisme ?

La sur-représentation des femmes est perçue péjorativement, comme une « invasion » au sein d’un métier qui bénéficiait d’un certain prestige social jusque dans les années 70. Comme l’ont montré nombre de sociologues, par exemple M. Cacouault-Bitaud, dans la revue Travail, Genre et Sociétés (1), cette féminisation va de pair avec une dévalorisation du métier… dans un monde patriarcal marqué par la domination masculine, les fonctions de prestige ne peuvent être occupées que par des hommes, et par conséquent une profession féminisée perd de ce prestige. CQFD.

Ces partis pris témoignent également d’une essentialisation des rôles masculin et féminin, et d’une vision stéréotypée des hommes et des femmes. « L’autorité », la force seraient des qualités intrinsèques de l’homme, tandis que compréhension, maternage, indulgence seraient des qualités proprement féminines.

Cette vision se base sur une certaine conception de l’autorité : l’expression du pouvoir de l’enseignant-e sur les élèves. Cette conception de l’autorité définit l’éducation et l’enseignement comme une sorte de dressage des élèves qui ne peut se concevoir que dans un rapport de force entre les enseignant-es et les élèves. Les hommes étant, selon les stéréotypes de genre évoqués précédemment, les mieux à même d’exercer ce rapport de force.

(1 )http://www.cairn.info/revue-travail-genre-et-societes-2001-1-page-91.htm

Pour une autre école et une autre société !

- Pour des pratiques pédagogiques qui questionnent la notion d’autorité
Une éducation émancipatrice ne peut se concevoir qu’en remettant en cause tous les rapports de pouvoir et de domination, en privilégiant les pratiques collaboratives, en faisant sa place à l’autonomie des élèves.

- Contre les stéréotypes de genre et les assignations sexistes
Les études de genre l’ont bien montré : les identités féminine et masculine sont des constructions sociales, dont la perpétuation sert la domination patriarcale et les inégalités entre hommes et femmes. Aucune qualité n’est par essence masculine ou féminine, et chacun-e peut s’approprier telle ou telle.

- Contre les lectures réactionnaires des évolutions sociales
Ce cliché de la pseudo « perte d’autorité » de l’école s’appuie sur le mythe d’un âge d’or de la profession où cette autorité aurait été instaurée. On ne peut du coup que souligner l’inconséquence des jugements incriminant les femmes sur cette question : dès 1923, les femmes représentaient plus de 60% des enseignant-es du primaire.

- Pour une transformation sociale
Les difficultés de l’école sont liées au contexte économico-social et aux contre-réformes qui n’ont cessé de la saper en termes de moyens. Avec les crises successives du capitalisme à partir des années 70 et le chômage de masse qui met fin au "compromis fordiste" des Trente Glorieuses, l’école et ses personnels vont subir la pression d’une demande de remède à toutes les difficultés sociales et une dévalorisation du fait de son incapacité à y répondre. Les mêmes gouvernements qui privent l’école d’une partie de ses moyens d’agir la chargent toujours plus solennellement de résoudre les problèmes qu’ils ont eux-mêmes aggravés. Les mêmes discours véhiculent à la fois l’image d’une école comme dernier recours et pierre angulaire de la République et d’une école comme système administratif malade, autocentré, incapable de se réformer, grevés de vices et de défauts que seule une politique "courageuse" (conduite par un "homme fort", s’il-vous-plaît) serait capable de réformer. En guise de coupable à ces prétendus manquements : les personnels enseignants en général et les enseignantes en particulier, accusées d’être au fond incapables d’assurer à l’école l’autorité dont elle aurait grand besoin en ces "temps de crise".
Le discours sur les enseignantes et la perte d’autorité n’est donc qu’un discours-écran, une diversion jouant sur des ressorts sexistes pour masquer la démolition par les pouvoirs publics eux-mêmes du système scolaire.