Le CHSCT : Un contre-pouvoir syndical ?

Le CHSCT : Un contre-pouvoir syndical ?

À propos des Comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail dans l’éducation

C-H-S-C-T. Dans l’Éducation nationale, ces cinq lettres restent mystérieuses pour de trop nombreux collègues. Et pour cause… la mise en place des Comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail est une « nouveauté » depuis 2011.

30 années de retard…

En 1982 pourtant, les lois Auroux donnent aux commissions d’hygiène et de sécurité du privé, CHS, (créées en 1947) le droit de se pencher sur les conditions de travail des salarié-es. En outre, ces nouveaux Comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, les CHSCT donc, sont affranchis du Comité d’entreprise, dont les précédentes CHS dépendaient étroitement, pour en faire des institutions représentatives du personnel à part entière. Mais l’État-patron, tout « socialiste » qu’il fût, décide qu’en ce qui concerne « ses » salarié-es, celles et ceux de la fonction publique, il peut se permettre de déroger au Code du travail : il n’y aura pas de CHSCT pour les fonctionnaires !

De 1982 à 2011, il n’existe alors que des Commissions d’hygiène et de sécurité paritaires, dépourvues de toute une série de prérogatives qu’ont obtenues les CHSCT du privé (voir encadré page suivante). Dans le public : pas de droit d’alerte, pas de délit d’entrave, pas de pouvoir d’expertise, pas de recours à l’inspection du travail, etc. C’est en novembre 2009 seulement que le ministre de la fonction publique signe un accord sur la santé et la sécurité au travail dans la fonction publique avec sept des huit organisations syndicales représentatives. Cet accord, notre Union syndicale Solidaires a refusé de le ratifier car nombre de dispositions pourtant présente dans le Code du travail et favorables aux salarié-es n’y figuraient pas. S’il était censé les corriger, l’accord santé-travail de 2009 - traduit par le décret de 2011 - a en réalité maintenu des inégalités au détriment des CHSCT de la Fonction publique d’État, pour lesquels le délit d’entrave n’est toujours pas prévu par exemple (pour préserver les chefs d’établissement, la FSU, notamment, n’en voulait pas). Cet accord a donc permis à l’État-patron de s’exonérer de certaines obligations qu’il impose par ailleurs aux employeurs du secteur privé.

Depuis 1982

Dans le privé, les représentant-es du personnel en CHSCT sont aussi les seul-es à voter et à donner leur avis sur tout ce qui touche aux conditions de travail des personnels. Le CHSCT peut saisir l’inspection du travail qui vient alors constater les infractions au Code du travail. Et l’employeur peut être condamné s’il entrave son fonctionnement : un an de prison et 3750 euros d’amende, le double s’il y a récidive… bref, de quoi refroidir les ardeurs patronales. Si les CHSCT ont fêté en 2012 leurs trente ans d’existence, et si, comme le fait remarquer le magazine Santé & travail, ils doivent « encore s’imposer », il n’empêche que depuis 1982, toute une génération de syndicalistes a forgé une jurisprudence et s’est battue pour les droits des travailleuses et des travailleurs. Ce qui faisait dire au journal Le Monde du 26 octobre 2012, qu’en 30 ans, « le CHST est devenu la “bête noire” des directions ». L’Union syndicale Solidaires a mis en place depuis quelques années un réseau de formateurs et formatrices CHSCT. Cette démarche interprofessionnelle permet de partager les expériences et de construire un usage syndical de cette instance, dans le privé comme dans le public.

Conditions de travail : ne pas plier !

Pour autant, les CHSCT dans l’Éducation nationale sont des instances où l’action syndicale est possible. Ils ne sont d’abord plus paritaires : les représentant-es du personnel, désigné-es par les organisations syndicales en fonction de leur représentativité en Comité technique, y ont seul es le droit de vote. Par ailleurs, les avis émis par un CHSCT, comme les procès-verbaux de ses séances, sont autant de preuves pouvant être opposées à l’employeur en cas d’action juridique.

Un autre droit important dont dispose le CHSCT est le droit d’alerte qui oblige l’employeur à apporter une réponse à une situation estimée potentiellement dangereuse par les représentant-es du personnel. Pour cela, les syndicalistes intervenant en CHSCT, ou le sollicitant, peuvent s’appuyer sur les registres santé et sécurité au travail, obligatoires dans tous les services, toutes les écoles et tous les établissements scolaires et universitaires. Le CHSCT peut aussi déclencher des enquêtes sur le lieu de travail. Ce qui permet de parler des conditions de travail réelles des personnels pour mettre l’administration devant ses responsabilités. C’est en tout cas dans cette optique de contre-pouvoir que Sud éducation compte user de cette nouvelle instance.

La prise en compte des conditions de travail en CHSCT est un point d’appui pour notre syndicalisme : elle permet de porter la question du travail, de son sens, de son organisation, au sein même de ces instances, face à l’employeur. C’est l’occasion d’y dénoncer les restructurations, d’y mettre en accusation les dérives du management capitaliste dans le service public d’éducation comme le poids néfaste de la soumission hiérarchique et de pointer leurs conséquences pour les personnels. Pour nous, il faut d’ailleurs toujours continuer d’articuler cela avec l’action collective, avec les luttes et le rapport de force.

Obstacles, entraves et inégalités : Le ministère ne veut pas des CHSCT

Mais là où le bât blesse dans l’Éducation nationale, c’est que les CHSCT n’ont été créés par l’arrêté du 1er décembre 2011 qu’à l’échelle de l’académie et du département. Lorsque le nombre de salarié-es censé-es y être représenté-es s’élève à plusieurs milliers ou dizaines de milliers, il est difficile de leur faire remplir toutes leurs fonctions. On notera aussi que le ministère a fait le choix de limiter à 7 le nombre de représentant-es du personnel en CHSCT, alors que le décret de 2011 permettait d’aller jusqu’à 9. Ce qui a conduit à évincer les « petits » syndicats, pourtant représentatifs (dont Sud), de nombre de CHSCT départementaux et académiques.

On peut aussi s’interroger sur les périmètres retenus par le ministère pour créer des CHSCT. Dans le premier degré : les directrices et directeurs d’école ne peuvent s’adresser qu’au CHSCT départemental. Dans le second degré, les Commissions hygiène et sécurité – CHS – d’EPLE ont été maintenues sans être transformées en CHSCT de service : elles restent des commissions du CA et sont toujours paritaires, qui plus est avec une représentation des élèves, des parents d’élèves et des Collectivités territoriales de rattachement. En outre, elles sont obligatoires seulement dans les Lycées professionnels et les Lycées polyvalents, les Lycées généraux s’ils comportent des sections d’enseignement technique, les Établissements régionaux d’enseignement adapté (ÉREA), les Collèges accueillant une SEGPA. Mais une circulaire de 1993 précise toutefois que la mise en place d’une CHS est « vivement conseillée dans l’ensemble des Lycées et Collèges d’enseignement général ».

Au passage, même si ces CHS ne sont pas « vraiment » des CHSCT et n’ont pas toutes les attributions de cette instance, pour les militant-es de Sud, il est souhaitable et nécessaire de leur faire jouer un rôle similaire.

Pourtant, si le Code du travail était respecté, ce qui n’est pas le cas, c’est à partir de 50 salarié-es que devrait être créé un CHSCT : concrètement cela signifierait que la quasi-totalité des lycées, lycées professionnels et collèges devraient avoir un CHSCT, que pourraient être créés des CHSCT dans les circonscriptions du 1er degré, mais aussi pour les personnels des rectorats et des IA, des CDDP et CRDP… C’est ce qu’exige Sud éducation qui revendique la création de CHSCT dès 50 salarié-es, comme dans le privé. Mais ce n’est vraisemblablement pas le souhait du ministère ni des organisations syndicales cogestionnaires. Pourtant, qui d’autre que les personnels sait ce qu’ils et elles vivent au quotidien ? Oui, les salarié-es peuvent et doivent agir directement sur leurs conditions de travail ! Et notre outil syndical est disponible pour cela.

Références réglementaires

  •  Circulaire n°93-306 du 26 octobre 1993, sur les Commissions d’hygiène et sécurité, les CHS, d’EPLE, NOR : MENL93500429C
  •  Décret n° 2011-774 du 28 juin 2011 portant modification du décret n°82-453 du 28 mai 1982 relatif à l’hygiène et la sécurité du travail ainsi qu’à la prévention médicale dans la fonction publique
  •  Circulaire FP d’application des dispositions du décret n°82-453 du 28 mai 1982 modifié relatif à l’hygiène, la sécurité et la prévention médicale dans la fonction publique, n°33-612, 9 août 2011, NOR : MFPF1122325C
  •  Arrêté du 1er décembre 2011 portant création du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail ministériel et des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail des services déconcentrés relevant du ministère chargé de l’Éducation nationale, NOR : MENH1132465A