L’orientation au prisme du genre : inégalités et stéréotypes

Constats

Le récent rapport Béjean-Roiron-Ringard "Faire de l'égalité filles-garçons une nouvelle étape dans la mise en œuvre du lycée du XXIe siècle", qui analyse les choix de spécialités au lycée selon un prisme à la fois de classe et de genre, confirme la pérennité des choix d'orientation très genrés avant/après la réforme du lycée. On retrouve en effet les mêmes déséquilibres dans le choix des EDS (Enseignements De Spécialité) littéraires et scientifiques.

>> Extrait du rapport : "Dans l’ensemble, les filles font plus le choix d’enseignements littéraires et artistiques tandis que les garçons se tournent majoritairement vers les enseignements scientifiques. En 1re, les filles sont surreprésentées par rapport à leur poids d’effectif en HLP (plus de 78 %), et en arts plastiques (77 %), quasi équilibrées avec les garçons en mathématiques (de l’ordre de 50 %) et sous représentées en NSI (18 %) et SI (15,4 %). En terminale, elles représentent 80 % des élèves en HLP, 76,7 % en arts plastiques, mais 41,8 % en mathématiques (soit une baisse de 9 points par rapport à la 1re), 13 % en NSI (soit une baisse de 5 points) un chiffre stable mais faible en SI. Le sexe constitue un facteur déterminant dans le choix des triplettes d’enseignement de spécialité dans la voie générale en 2019 et 2020. Les filles sont surreprésentées par exemple en HLP – LLCER – SES, où elles représentent plus de 85 % des élèves ; à l’inverse elles ne sont qu’un peu plus de 13 % en mathématiques – NSI – physique- chimie. La proportion des filles et des garçons dans les doublettes de terminale prolonge et accentue les inégalités des choix de spécialités en 1re : par exemple, en HLP – SES ou HLP – LLCER, les filles représentent plus de 80 % des élèves; à l’inverse, en mathématiques – physique chimie il y a 64 % de garçons, ou encore en mathématiques– NSI et mathématiques – SI, il y a à peine respectivement 10 et 13 % de filles."

On voit donc que perdure la répartition genrée "aux filles les matières littéraires, aux garçons les matières scientifiques", conséquence d'assignations et de stéréotypes de genre bien ancrés : l'expression de la sensibilité pour les enfants assignés filles, la rationalité pour les enfants assignés garçons. L'intériorisation de ces stéréotypes est perceptible par le niveau de confiance des élèves de 2de dans leur capacité de succès dans les différents EDS (voir figure 4 du rapport) : sur-confiance (55 à 60%) des garçons dans beaucoup de disciplines, en particulier scientifiques mais aussi SES et HGGSP mais moindre confiance pour les disciplines littéraires HLP et langues, et inversement peu de confiance des filles dans leurs capacités de réussite en EDS scientifiques (à part la SVT) avec 30 à 45%.

A noter que le niveau de confiance des garçons dans leurs disciplines de prédilection est plus homogène et plus élevé que celui des filles dans les leurs. On voit que l'estime de soi reste plus fragile chez les filles, signe encore que les mécanismes de domination patriarcale (ici dévalorisation et infériorisation) sont intériorisés.

L'esprit de la réforme du lycée était soi-disant "d'ouvrir les possibles" en termes de choix de spécialités (idée d'un lycée "à la carte") mais de fait, cela pénalise filles et élèves de classes populaires éloignées du système scolaire et de la connaissance de ses rouages. Par exemple, la sous représentation des filles en école d'ingénieur·e et classes préparatoires scientifiques est liée aux stéréotypes précités, et aussi à la "situation de recrutement des CPGE scientifiques via Parcoursup, hors BCPST, qui en survalorisant mathématiques – physique chimie comme doublette d’EDS nécessaire pour y accéder, induiraient un recrutement fondé sur une discrimination négative des filles et des jeunes issus de milieux populaires" : en effet filles et élèves de classes populaires gardent moins la doublette math-physique en Tle.

Ainsi les diagrammes en annexe du rapport montrent que les filles de classe sociale défavorisée sont celles qui gardent le moins cette doublette, et pour les filles de classe sociale favorisée, l'écart de genre "annule" l'écart de classe sociale (même niveau que les garçons de classe sociale défavorisée, et écart important avec les garçons de classe sociale favorisée). Sont donc particulièrement pénalisées les élèves qui sont à l'intersection de plusieurs rapports de domination, ici de classe et de genre (le rapport ne se penche pas sur le critère de la racisation).

Cette répartition genrée se poursuit ensuite dans le supérieur entre formations littéraires, médico-sociales pour les filles et formations scientifiques et techniques pour les garçons.

Par ailleurs les filles sont sur représentées en licence (60 à 70% des effectifs), et sous représentées dans les filières sélectives type CPGE (42%) ou école d'ingénieur·e (28%). Ces écarts sont à mettre en relation encore une fois avec la mésestime de soi évoquée plus haut, et qui par l'autocensure qu'elle induit permet la perpétuation des rapports de pouvoir. Cette sous-représentation des filles dans ces filières sélectives n'est pas sans conséquences sur leur insertion professionnelle et sur les inégalités salariales qui perdurent entre hommes et femmes.

Quelles mesures proposées par le rapport ?

Pour remédier à ces disparités genrées, le rapport Béjean-Roiron-Ringard propose notamment la création d'instances de "pilotage" , et de "label". Ces mesures d'affichage, et autres instances éloignées du terrain, illustrent la tendance actuelle à un management par le haut qui n'a pas d'effets concrets dans la vie des établissements, et qui privilégie un prisme libéral où un pseudo label vide de sens vient dédouaner l'institution sur sa réelle prise en charge de ces questions.

Le rapport fait aussi la promotion d'une "orientation proactive", et rappelle les 36 et 54 heures d'orientation annuelles de la 4ème à la Tle. Là encore, quelle réalité sur le terrain ? Les attaques contre les psyEN, le démantèlement des CIO, n'ont fait qu'accentuer le manque de moyens dévolus à l'orientation et ont privé les élèves de personnels formés, dont c'est le métier, pour répondre à leurs questions, et pour déconstruire les stéréotypes de genre inhibant les choix d'orientation. La charge de travail retombe sur les professeur·es principaux·ales qui bricolent sur leurs heures de cours quelques séances de conseil sur l'orientation.

Le rapport rappelle en formation initiale, les 18h dévolues à la thématique de l'égalité fille garçons. Outre que ce volume horaire semble bien insuffisant face à l'ampleur des enjeux (construire des pratiques pédagogiques qui déconstruisent les stéréotypes de genre), la prise en considération concrète de ces questions dans les inspe reste souvent à géométrie variable.

Enfin la formation continue sur ces questions est affichée comme un objectif prioritaire. Est-ce à dire que ces formations seraient obligatoires ? Il y a fort à parier que non, or on constate toujours que ce sont les mêmes personnes, déjà en partie sensibilisé·es, qui s'inscrivent à ce type de formations.

De la même façon, pour la formation des jurys de concours, la "mise à disposition d'outils de formation en ligne" préconisée par le rapport ne peut qu'apparaître insuffisante. Il faut des formations en présentiel, et obligatoires sinon le risque est grand que personne ne se saisisse de ces outils.

SUD éducation revendique :
  • la ré-intégration du concept de genre dans les textes officiels et sa prise en compte dans des programmes élaborés par la communauté éducative.
  • la prise en compte de ces questions dans les enseignements
  • la production de manuels qui fassent sa place entière à l’histoire des femmes, non pas sur un strapontin dans des dossiers documentaires annexes, mais dans le corps du texte et le fil de l’histoire (documents-sources d’auteures, féminisation des textes, évocation systématique de la place des femmes, vision genrée des événements et des concepts)
  • la mise en œuvre de pratiques de classe favorisant la circulation égalitaire de la parole, les pratiques collaboratives, l’apprentissage de toutes les disciplines pour toutes et tous dans une école polytechnique
  • la mise en place de dispositifs dédiés (comme l’étaient les ABCD de l’égalité) permettant aux élèves de réfléchir spécifiquement aux discriminations et stéréotypes de genre, et de les déconstruire
  • la mise en place dans la formation initiale de modules obligatoires sur les problématiques de genre, pour les futur·es enseignant·es (selon un volume horaire identique dans toutes les INSPE), et pour toutes les autres catégories de personnel (CPE, agent·es)
  • un renforcement de l’offre de formation continue sur ces questions par des formations obligatoires pour les personnels
  • des formations obligatoires sur les stéréotypes de genre pour les jurys de concours
  • le maintien des DRONISEP, de leurs personnels, des Psy-ÉN, DCIO au sein de l’Éducation nationale
  •  le maintien de tout le réseau des CIO, service public d’orientation de proximité dans l’Éducation nationale