Pour une prise en compte des élèves et personnels trans

Quelques éléments de définition

La transidentité est le fait de ne pas s’identifier au genre auquel on a été assigné-e- à la naissance. Les personnes qui s’identifient au genre auquel elles ont été assignées à la naissance sont cisgenres. Les personnes qui ne s’identifient pas au genre auquel elles ont été assignées à la naissance sont trans. On utilise de préférence le terme “trans” qui fait consensus dans la communauté, plutôt que “transgenre” ou pire “transsexuel-le”. Pour plus de précisions, voir l’article dédié ici :
http://svt-egalite.fr/index.php/outils-et-ressources/definitions-et-reflexions/transidentite

Le fait de ne pas s’identifier au genre d’assignation ne signifie pas nécessairement s’identifier à l’autre genre établi par la norme hétéropatriarcale. Certaines personnes ne s’identifient à aucun des deux genres, ou simultanément ou successivement aux deux ; elles sont non-binaires.

L’assignation de genre est un processus qui commence dès la période prénatale et a été largement étudié par le mouvement féministe. Il consiste à attribuer un genre, à établir une série de comportements attendus et dans le même temps une série de comportements condamnés, en fonction de ce genre. Dans notre société hétéropatriarcale tou-te-s les enfants sont assigné-e-s à un des deux genres, même les enfants intersexes. Ce genre est établi sur la base des organes génitaux externes visibles à la naissance, selon des critères cissexistes (imposant le point de vue
cisgenre comme dominant). Les enfants intersexes sont mutilé-e-s pour que leurs organes correspondent à ces critères et faciliter leur perception par le corps médical et leur famille comme appartenant bien à un de ces deux genres : masculin ou féminin.
On parlera de personnes AFAB (assignées filles à la naissance) et de personnes AMAB (assignées garçons à la naissance) pour distinguer des parcours différents sans que cela signifie quoi que ce soit de l’identité de genre réelle de ces personnes.

Des identités de genre assignées et stéréotypées

Les détails de l’assignation de genre masculine et féminine sont bien connus : les enfants assigné-e-s garçons devront être fort-e-s et aventureux-ses, ne pas exprimer leurs sentiments de tristesse en public, et s’illes* se conforment à ce genre illes se verront octroyer des avantages sociaux : plus d’écoute, plus de valorisation, plus de libertés. Les enfants assigné-e-s filles devront prendre soin des autres et de leur apparence, être discrèt-e-s et calmes, démontrer leur sensibilité en public, et se verront confronté-e-s à une oppression systémique : ielles devront davantage prendre part aux travaux ménagers, sont davantage exposé-e-s aux agressions sexuelles et aux viols, leur liberté de mouvement est davantage limitée etc.

Pour autant, les enfants assigné-e-s garçons mais ne s’identifiant pas à ce genre subissent également une oppression spécifique : la transphobie, et pour celles qui s’identifient filles, la transmisogynie ; elles sont aussi impactées par le sexisme et l’hétéropatriarcat (les injonctions présentes dans les productions culturelles notamment). Les enfants AFAB comme AMAB qui ne se conforment pas aux normes de genre seront également victimes de l’homophobie ambiante. Les enfants AMAB non conformes à leur genre d’assignation sont plus durement réprimé-e-s, car nous vivons dans une société qui hait et méprise le féminin et les pairs rejettent avec violence toute trace d’appartenance à un groupe dominé, pour ne pas se retrouver à leur tour ostracisés.

Le vécu des enfants trans AMAB et AFAB est donc différent à bien des égards. Illes seront toutefois tou-te-s brimé-es pour leur manque de conformité par les personnes garantes de l’ordre social  : les familles, les pairs sous la pression collective, ainsi que les personnels éducatifs et l’institution scolaire (rappelons que selon le rapport annuel de SOS homophobie, un quart des discriminations LGBTIphobes dans les établissements sont le fait de personnel d’enseignement ou d’encadrement). Ces discriminations ne s’arrêtent pas à l’âge adulte, et des collègues ayant fait ou faisant leur coming out trans peuvent en être également victimes.

Ces discriminations et violences sont multiformes. Certaines sont communes aux autres victimes de l’hétéronormativité : violence verbale (insultes, propos déplacés), physique, et sexuelle, harcèlement, ostracisation. D’autres sont spécifiques aux personnes trans : violence symbolique par l’utilisation délibérée du prénom d’état civil et du pronom correspondant au genre assigné à la naissance, par les pairs, et la hiérarchie, au quotidien, sur les documents officiels et lors des examens…

Les conséquences de cette transphobie sont lourdes. Ces violences suscitent en effet stress, malaise scolaire et existentiel, qui peuvent se traduire par crises d’angoisse, perte de sommeil et d’appétit, comportements à risque (consommation de drogues et d’alcool, pratiques sexuelles à risque). Ce mal être peut également entraîner un fort absentéisme (stratégie d’évitement des situations/lieux anxiogènes) pouvant aller pour les élèves jusqu’au décrochage scolaire : une étude du CRIPS montre que 21% des jeunes trans ont arrêté leurs études du fait de la transphobie dont illes étaient victimes. L’arrêt des études, l’interruption de carrière ou le changement d’établissement, sont parfois aussi vus comme un passage obligé pour opérer une transition sociale, afin de se présenter dans un environnement totalement nouveau sous son identité réelle (et non celle attribuée à la naissance). Enfin la transphobie tue : elle entraîne des pensées suicidaires pouvant aller jusqu’au passage à l’acte (toujours selon une étude française, 34% des jeunes trans interrogéEs ont fait une tentative de suicide et 67% en ont eu l’idée).

Or en tant que personnel éducatif féministe, antipatriarcal, nous avons une responsabilité particulière pour protéger et accompagner ces enfants et soutenir nos collègues trans.

Cinq axes sur lesquels nous devons être particulièrement vigilant-e-s

Veiller à ne pas renforcer artificiellement l’assignation de genre des enfants et adolescent-e-s

Cela signifie concrètement ne pas traiter les enfants « en tant que filles » ou « en tant que garçons ». En creux, cela renvoie à une éducation non genrée, à la mise en oeuvre de pédagogies antisexistes que nous défendons. On voit bien que leur dicter des comportements en fonction de leur genre supposé ne va pas dans le sens d’une éducation trans-friendly.

Mais cela signifie aussi ne pas astreindre les élèves à des tenues différenciées, à des équipes ou à une non mixité telle qu’elle est pratiquée dans l’Education nationale, c’est-à-dire selon une ségrégation AFAB/AMAB et non une non mixité dominant/dominé incluant les minorités de genre.

Laisser de la place pour que la transidentité s’exprime

Par des discours inclusifs, par la visibilité des thématiques trans dans les supports pédagogiques, dans la littérature, mais aussi par des exercices de théâtre par exemple, on peut permettre aux élèves et collègues trans de se sentir dans un cadre sécure pour sortir du placard. Cela peut passer par exemple par demander aux élèves et collègues le prénom qu’illes veulent pour elles et eux-mêmes, et le pronom ainsi que les accords. Cela pourra paraître absurde à certain-e-s mais le simple fait de poser la question permet de soulever que ce n’est pas une évidence, et progressivement peut permettre à des élèves ou des collègues de s’affirmer.

Soutenir les élèves et collègues trans de façon individualisée

Un-e élève ou un-e collègue qui fait un coming-out trans, à une seule personne ou beaucoup plus publiquement, doit être extrêmement entouré-e et soutenu-e. Souvent la famille va exercer des violences au moins psychologiques à son encontre, ses pairs également (les zones non surveillées et de vulnérabilité comme les toilettes ou les vestiaires sont particulièrement critiques).

Il importe que l’équipe pédagogique/les collègues soutiennent la personne et ce de façon très concrète : faciliter le changement de prénom dans les documents courants, utiliser systématiquement le bon genre pour s’adresser à elle, mais aussi en parlant d’elle même en son absence ; soutenir matériellement si nécessairement (pour l’achat d’une garde-robe, d’accessoires…), se montrer particulièrement vigilant-e vis-à-vis des signes de mal-être qui pourraient apparaître ou s’aggraver. Il est toujours utile de prendre contact avec des associations d’auto-organisation trans et de mettre élève ou collègue en contact avec elles également pour rompre son isolement.

Se baser sur l’autodéfinition

Dans la même logique que les points précédents, mais de manière plus explicite : il est important de laisser les élèves, qui sont des enfants et/ou des adolescent-e-s, et les collègues se définir elles/eux-mêmes. Cela signifie qu’une personne qui n’est pas conforme aux normes du genre qui lui a été attribué à la naissance n’est pas trans tant qu’elle ne l’a pas déclaré. Il existe des femmes qui correspondent plutôt à des normes de genre masculines et des hommes qui correspondent plutôt à des normes
de genre féminines (des femmes ou des hommes cis…ou trans). Les butchs comme les folles par exemple font partie de la culture queer et ne sont pas forcément trans pour autant. Par contre il ne nous appartient pas de juger de la pérennité ou de la légitimité d’une identité : si un-e élève, un-e collègue nous fait part de sa transidentité, en particulier si cette dernière est non binaire, il est inacceptable de jouer de notre position pour exercer une pression à une définition qui nous conviendrait davantage, dans un sens ou dans l’autre. En particulier il n’est pas tolérable de lui faire un laïus pour le/la « convaincre » qu’iel se trompe, qu’iel peut « simplement » être un garçon sensible ou une fille sportive…Ce qui nous amène au dernier point :

Déconstruire sa propre transphobie

Nous vivons dans un monde profondément transphobe, et en particulier transmisogyne. En tant que membre de l’équipe éducative, nous avons un devoir de nous éduquer, de lire, d’écouter, et d’interroger nos propres représentations et réflexes.

Nous pouvons avoir tendance à projeter énormément de normes sur ce que les personnes trans sont censé-e-s être ou ressentir. Il est courant même pour des allié-e-s de bonne volonté de parler de « une fille dans un corps de garçon » ou inversement par exemple. Qu’il soit bien clair : un garçon trans a un corps de garçon, puisque c’est un garçon et que c’est son corps. L’injonction au « passing », c’est-à-dire à correspondre aux normes de genre correspondant à son identité, s’abat de façon contradictoire sur les personnes trans : à la fois on les accuse d’être fausses si elles ne s’y conforment pas, et dans le même temps on les accuse de reproduire et de véhiculer des stéréotypes lorsqu’elles le font. La meilleure position est donc tout simplement de les laisser tranquilles !

La notion de « dysphorie » est également importante. Il faut rappeler que c’est une notion pathologisante, introduite par des psys qui considèrent la transidentité comme une maladie mentale. Elle peut être utilisée par des personnes trans pour exprimer un rapport d’inconfort, voire de rejet profond, de leurs corps et en particulier de leurs caractéristiques sexuelles primaires et secondaires, ce qui est particulièrement vif à l’âge auquel nous avons la charge des adolescent-e-s. Il n’appartient pas à qui que ce soit de juger de la pertinence de ces sentiments. Il s’agit seulement d’aider lorsque c’est possible la personne à soulager cette douleur. Il faut aussi garder deux éléments en tête : d’abord que la « dysphorie » est largement un produit direct de la transphobie : nous ne sommes pas « coincé-e-s dans le mauvais corps », nous sommes coincé-e-s dans la mauvaise société. Pour beaucoup de personnes trans, en particulier jeunes, le rejet de certains attributs vient de ce que ces derniers sont utilisés par les transphobes pour pratiquer le mégenrage (genrer la personne selon son assignation de genre et non son identité de genre). Ensuite, que toutes les personnes trans ne vivent pas de dysphorie, et que cela ne peut pas être un critère de légitimité, d’être « assez » ou « pas assez » trans.

Quelles réponses pédagogiques ? Quelle riposte syndicale ?

Quelques ressources

Assignée garçon, de Sophie Labelle : une bande dessinée qui met en scène différents personnages enfants (des personnes assignées garçons) dont plusieurs sont trans. L’héroïne du premier tome, Stéphie, est une petite fille trans. Cette série est utile pour aborder la thématique trans avec les enfants, mais aussi pour former les
adultes ! Il y a même un cahier de coloriage.

Des romans : Opération pantalon, Cat Clarke ; Normal(e), Lisa Williamson ; La face cachée de Luna, Julie-Anne Peters…et Orlando de Virginia Woolf.

Vous trouverez aussi facilement sur le web des vidéos de jeunes trans s’exprimant à la première personne.

Pour adultes : La transyclopédie : tout savoir sur les transidentités, Karine Espineira, Maud-Yeuse Thomas, Arnaud Alessandrin

Tableau noir, les transidentités et l’école, Karine Espineira, Maud-Yeuse Thomas, Arnaud Alessandrin, Editions l’Harmattan, 2014

L’observatoire des transidentités : http://www.observatoire-destransidentites.
com/

Pour références juridiques et pistes de riposte syndicale face aux discriminations LGBTIphobes à l’égard des personnels, voir la fiche fédérale de SUD éducation
Lutter contre les discriminations LGBTIphobes

Associations

Acceptess Transgenres (Paris), Association Nationale Transgenre, C’est Pas Mon Genre (Lille), Chrysalide Asso (Lyon), Clar-T (Toulouse), Ouest Trans (Bretagne), Association OUTrans (Paris), Association « Prendre Corps » (Picardie), RITA Grenoble(Grenoble), T.TIME TRANS 13 (Marseille), Trans-Info(07/43/48), TRANS INTER action (Nantes).
Le Refuge : ligne d’urgence 7/7 24/24 : 06 31 59 69 50
Guide complet sur : http://www.ftmvariations.org/guide/

SUD éducation, syndicat de transformation sociale, a pour horizon l’émancipation et l’épanouissement de tout-e-s. Et dans ce but, SUD éducation revendique :

- le respect du prénom et du pronom d’usage, changement d’état civil libre et gratuit en mairie sans intervention des pouvoirs judiciaires et médicaux
- l’élaboration de matériel pédagogique spécifique sur les questions de transphobie
- la nécessité pour l’administration de soutenir, aider et défendre tous les membres de la communauté éducative qui, du fait de leur identité de genre, subiraient diverses
formes de brimades, de harcèlement ou de discriminations
, d’où qu’elles viennent (élèves, administration, collègues, parents). L’administration doit accompagner ces membres dans leurs démarches, y compris dans le cadre d’un changement de genre et/ou d’identité, en veillant à leur assurer un environnement sécurisé pour qu’ils puissent effectuer leur parcours sans être mis en danger dans leur milieu éducatif et professionnel
- la ré-intégration du concept de genre dans les textes officiels et sa prise en compte dans des programmes élaborés par la communauté éducative.
- la mise en place de dispositifs dédiés (comme l’étaient les ABCD de l’égalité) permettant aux élèves de réfléchir spécifiquement aux discriminations et stéréotypes de genre, et de les déconstruire
- une politique de prévention (campagne d’information sur les ambiances de travail sexistes, affichage de la loi sur le harcèlement sexuel) et de suivi (accompagnement des victimes dans leurs démarches, notamment judiciaires), via les CHSCT s’agissant des cas de harcèlement, et la mise en place systématique de la protection fonctionnelle, qui est de droit ;
- la mise en place dans la formation initiale de modules obligatoires sur les problématiques de genre, pour les futur-e-s enseignant-e-s (selon un volume horaire identique dans toutes les ESPE), et pour toutes les autres catégories de personnel (CPE, agent-e-s) ;
- un renforcement de l’offre de formation continue sur ces questions