Pour une remobilisation du monde du travail
I. Quelles perspectives syndicales ?
I.1 Face à une offensive du patronat contre l’ensemble des droits des travailleurs/euses, prendre la mesure de la situation
Les difficultés économique, financière, écologique et sociale s’entremêlent et s’autoalimentent. Les effets globaux du capitalisme montrent l’impasse d’un développement capitaliste et productiviste basé sur un partage de plus en plus inégal de la richesse produite, la dérégulation financière, le libre-échange et le mépris des impératifs écologiques.
Au cours des quatre dernières décennies, le patronat, accompagné par les gouvernements, a mené une offensive particulièrement violente contre les travailleur-se‑s. D’une part, il lui fallait remettre en cause un rapport de forces issu de l’après-guerre qui avait permis aux salarié-e‑s de gagner certains acquis sociaux. D’autre part, il s’agissait de modifier la distribution des gains de productivité afin d’augmenter la part des profits et de réduire celle des revenus du travail. Force est de reconnaître que, sur ces deux plans, son attaque a été un succès.
Ce qui se joue actuellement n’est qu’une nouvelle phase de cette attaque. Les mesures d’austérité, menées au nom d’une crise que les contradictions internes du capitalisme ont provoquée et au nom du remboursement de la dette publique pour laquelle les travailleurs/euses n’ont aucune responsabilité, permettent à la classe dirigeante de renforcer ses positions. SUD éducation et Solidaires ont pris position contre le paiement de cette dette par laquelle le capitalisme financier fait payer deux fois la facture de sa propre crise au monde du travail. L’augmentation des inégalités, l’aggravation des conditions de travail, la précarisation des emplois, la disparition de pans entiers des services publics ont déjà représenté le prix à payer des reculs précédents. Cette politique de régression s’exerce aussi dans tous les domaines où l’idéologie réactionnaire et productiviste est assumée par tout ou partie des « élites » au pouvoir : sans-papiers et demandeurs/euses d’asile, luttes environnementales, école, mondialisation, culture, genres.
Nous sommes dans une phase historique où l’ensemble des droits sociaux et des solidarités sont attaqués, selon des rythmes et des modalités diverses, mais avec la même constance. Ailleurs en Europe, là où les politiques d’austérité sont les plus brutales, des résistances importantes existent, mais elles n’ont pour le moment pas débouché sur des victoires sociales. En France, la succession des défaites et des contre-réformes et l’absence durable de mobilisation d’ensemble suffisamment puissante pour imposer de nouveaux droits marquent un rapport de force défavorable au monde du travail.
Sans modification des rapports de force par les luttes, les prochains mois et les prochaines années verront une accélération quantitative et qualitative des contre-réformes. Les porte-paroles de l’idéologie dominante annoncent déjà la suite. Sur fond de mobilisations patronales illustrant (s’il en était besoin) l’actualité et l’intensité de la lutte de classes, ils mettent en place des « réformes de structure ». Au nom de l’impérieuse exigence de compétitivité et de la nécessaire « modernisation » de l’économie, ils réclament l’accélération du démantèlement des droits et protections des travailleurs/euses :
• Un « assouplissement » du droit du travail dont l’objectif est d’abord la disparition du CDI, remplacé par un 140 contrat de travail précaire unique, mais aussi la disparition de toutes les garanties prévues par le Code du travail. Les exemples étrangers (contrat zéro heure en Grande-Bretagne ou mini jobs en Allemagne) devenant la référence ;
• un allongement du temps de travail, qu’il soit hebdomadaire (39h pour tous), annuel (suppression des jours de congés) ou portant sur la durée de la vie active (nombre d’années nécessaires et âge de départ à la retraite), ainsi qu’une intensifcation du travail et de la productivité horaire.
• une politique de l’emploi consistant à « flexibiliser » un marché du travail présenté comme trop rigide, en déréglementant les licenciements et en réduisant les indemnités et les droits des chômeurs/euses ;
• des coupes drastiques dans les budgets publics, des collectivités territoriales et de la Sécurité Sociale, un statut de la Fonction publique réservé aux administrations régaliennes, une externalisation des services publics vers le secteur privé et une amputation des prestations sociales.
I.2. Face aux politiques néolibérales, affirmer un syndicalisme de lutte et de transformation sociale
Cette situation d’ensemble n’est pas le fruit du hasard ou de « mauvais choix » politiques. Le mode de production capitaliste exige un mouvement continu d’accumulation du capital alimenté par une pression constante exercée sur les salaires. Il se nourrit de l’exploitation de la force du travail et des inégalités. Pour nous il ne s’agit donc pas seulement de dénoncer une idéologie (le néo-libéralisme), la politique qui s’en inspire (les déréglementations), ou une forme illusoire de régulation qu’elle prône (le marché), mais un mode de production, de répartition, et de consommation : le capitalisme. SUD éducation doit s’inscrire dans un combat général pour que, des luttes, sorte une alternative sociale, économique, politique et écologique dont l’essentiel reste à inventer. Il n’y a pas d’autre solution. L’action d’un syndicat de lutte ne doit pas seulement viser à rendre un système inique moins injuste, mais à le détruire. Notre tâche générale dans la période actuelle est donc d’articuler des luttes pour les revendications immédiates avec la mise à l’ordre du jour de la perspective d’une alternative d’ensemble. Car l’affirmation de revendications immédiates, aussi urgentes et nécessaires soient-elles, ne suffit pas. SUD éducation se veut syndicat de transformation sociale, cela implique de mener une réflexion (en particulier dans Solidaires) sur un projet d’alternative globale, qui passe par la socialisation et l’autogestion des moyens de production et d’échange, et qui seul pourra donner force et sens à nos combats partiels. Elle est ainsi la condition nécessaire à la remobilisation du monde du travail. Car c’est seulement avec un rapport de force issu d’une mobilisation générale massive que des changements pourront avoir lieu.
C’est dans cette perspective articulant l’immédiat et l’alternative globale que s’inscrivent nos revendications pour le service public d’éducation et ses travailleurs/euses, pour une autre école, une autre université, une autre recherche.
La crise de légitimité du capitalisme et de son système de gestion politique peut rendre les propositions vers un tel projet alternatif plus audibles. Il faut ainsi le réaffirmer avec force : nous ne sommes pas condamné-e‑s aux régressions sans fin, le capitalisme n’est pas l’horizon ultime de l’organisation sociale.
Des événements survenus au cours des trois dernières années, nous pouvons tirer aujourd’hui quelques enseignements. Les politiques d’austérité n’ont fait qu’aggraver chômage, précarité, pauvreté et inégalités. Les gouvernements se succèdent, sans que leur action politique ne sorte jamais du cadre de la société capitaliste : le gouvernement actuel et sa majorité parlementaire ne dérogent pas à cette règle. Ils ont, depuis 2012, confirmé par leurs politiques une orientation résolument néo-libérale. Les politiques antisociales, leur effets sur l’emploi et le niveau de vie, ont provoqué désillusions et découragement, générant pour beaucoup un repli individualiste accentuant la désyndicalisation et le scepticisme à l’égard de l’action collective et, pour certain-e‑s, la tentation de chercher des réponses dans les discours portés par l’extrême droite.
La clarté des politiques néolibérales menées par un gouvernement qui se prétend de gauche a cependant pour avantage d’effacer bien des illusions électoralistes. Plus personne ne peut penser sérieusement qu’il suffira de « bien voter » lors des prochaines échéances électorales pour que ça change. Même si aujourd’hui cela semble plutôt mener à la résignation, cela ouvre aussi d’autres possibilités. Ainsi, le syndicalisme de lutte peut trouver dans cette situation un appui pour convaincre plus largement qu’aucune transformation sociale ne pourra avoir lieu sans des mobilisations massives, s’il trouve les moyens de cette conviction.
II. Paysage syndical, luttes et résistances
II.1. Des salarié-e‑s en plein désarroi, un champ syndical dominé par l’accompagnement
Sur l’ANI (Accord National Interprofessionnel sur la compétitivité et la sécurisation de l’emploi), le pacte de compétitivité, le pacte de responsabilité, sur les nouvelles contre-réformes des retraites…, bref, sur l’ensemble des politiques d’austérité, il n’y a pas eu réellement de mobilisation sociale.
Il y a sans doute à cela un mélange de désarroi et d’incrédulité, mais aussi de repli individualiste, de résignation, de sentiment d’impuissance ou de désespoir. Il y a sans doute également une part de victoire de l’idéologie du TINA (« There is no alternative » : il n’y a pas d’alternative), ressassée jusqu’à la nausée par l’ensemble des pouvoirs et des médias de masse. Depuis 2010 et la défaite sur les retraites la difficulté à mobiliser largement le monde du travail est patente. L’idée qu’il n’y a pas d’alternative possible aux reculs sociaux dictés par le libéralisme et la mondialisation est un mensonge qui fait recette. Combattre ce fatalisme doit être une des premières exigences d’un véritable syndicalisme de lutte.
Mais il y a sans doute également des responsabilités syndicales dans l’absence d’impulsion des luttes.
Lors des mobilisations des années précédentes, les organisations majoritaires jouaient plus souvent le rôle de frein que d’aiguillon. Ce fut encore pire depuis l’élection de François Hollande.
Cette attitude, nous avons trop tendance à l’expliquer par les trahisons successives des directions syndicales. C’est insuffisant. Certes, des tentatives de subornation existent. Les affaires des caisses noires de l’UIMM (Union des industries et métiers de la métallurgie) ou des emplois fictifs en sont des illustrations spectaculaires. Les derniers événements concernant la CGT le montrent également. De même, la fréquentation de cercles où se retrouvent grands patrons et pontes syndicaux crée des connivences douteuses. Mais on ne saurait réduire un phénomène aussi récurrent à la simple traduction de pratiques de corruption matérielle ou idéologique. L’essentiel est ailleurs.
L’attitude des syndicats majoritaires tient davantage au virage stratégique opéré pour certains dès les années 70 et négocié par toutes les autres depuis. À l’image de la plupart des organisations états-uniennes et européennes, elles ont choisi de répondre à l’offensive patronale non par l’affrontement mais par l’établissement d’une relation de partenariat avec le patronat et ses gouvernements. Cette relation partenariale a été encore accentuée avec un gouvernement « de gauche ». Considérant que les transformations structurelles du capitalisme sont inéluctables et que ce système socioéconomique est un horizon indépassable pour l’humanité, leur stratégie consiste alors à négocier des aménagements permettant d’en tempérer les effets les plus graves sur la condition des salarié-e‑s. C’est en ce sens que l’on peut parler de syndicalisme d’accompagnement.
D’un côté, l’appareil syndical fonctionne comme un lobby auprès du patronat et des gouvernements, de l’autre comme un prestataire de services pour les salarié-e‑s auprès desquels il se présente comme tel. À l a limite, un tel syndicalisme peut se passer d’adhérent-e‑s, sa légitimité se gagnant à l’occasion des élections professionnelles. Pour lui, un éventuel appel à la grève ne sert qu’à peser pour obtenir l’ouvert ure de négociations. Toute une partie du monde syndical se vit ainsi comme un véritable corps social intermédiaire entre le patronat et les salarié-e‑s. C’est de cela que découle l’utilisation croissante du terme de « partenaires sociaux » et les modifications de la représentativité syndicale.
Tous les syndicats ne sont évidemment pas engagés au même degré dans cette voie. La CFDT (pionnière) et l’UNSA sont les plus avancés. Mais FO, malgré ses postures de matamore, les suit de près. Les traditions et les modes de fonctionnement hérités de la FEN poussent la FSU dans ce sens malgré les réticences de ses minorités. Enfin, la direction confédérale de la CGT s’aligne de plus en plus sur la CFDT même si cela se heurte à des résistances et à une culture interne de la lutte des classes.
La co-appartenance de la CFDT, de la CFTC, de la CGT, de FO, de la FSU et de l’UNSA à la Confédération européenne des syndicats (CES), dont le moins que l’on puisse dire est qu’il se s’agit pas d’une organisat ion de lutte et de transformation, en dit long sur les convergence s profonde s entre les principales organisations syndicales françaises, malgré des postures et des orientations différentes.
Ce choix stratégique est cohérent. Il repose sur un non-dit. Pour eux, le mouvement ouvrier est historiquement défait. La conséquence à tirer est simple : on ne peut changer l’ordre établi.
Sur la dernière période, de fait, l’intersyndicale interprofessionnelle permanente n’existe plus.
CFDT, UNSA, CGC, CFTC n’ont ainsi bien entendu pas contesté les politiques libérales des gouvernements Hollande. Elles n’ont pas contesté la dernière contre-réforme des retraites, l’ANI, le pacte de responsabilité, etc. Dans l’éducation, le SGEN et le SE ont ouvertement soutenu la politique de refondation et ses divers avatars.
Au niveau interprofessionnel, la FSU s’aligne de manière très générale sur la CGT.
La direction de la CGT refuse de porter une critique suffisamment radicale de l’action du gouvernement PS auprès des salariés. De ce fait elle n’a jamais cherché à créer les conditions d’une mobilisation d’ensemble pour stopper les attaques et imposer par le rapport de force des alternatives.
Au nom d’un « syndicalisme rassemblé » avec des syndicats libéraux comme la CFDT, elle a préféré les actions symboliques 100% CGT à la construction unitaire des mobilisations avec les syndicats prêts à résister. Malgré les sollicitations de Solidaires, la CGT a refusé de tenir des réunions intersyndicales avec la FSU, Solidaires, et éventuellement FO.
FO a refusé les « réformes » sans proposer d’alternatives et privilégie souvent le discours d’affichage faisant la promotion de « Force ouvrière », au détriment de la construction unitaire des luttes. Pour nous, l’école, le service public, la société ont besoin de transformations profondes et des perspectives d’alternatives donnent force à nos luttes. Dans l’éducation, les positions « dures » de FO de refus des réformes s’accompagnent d’un refus égal de penser une autre école. Elles amalgament aussi une certaine contestation du libéralisme avec tous les conservatismes éducatifs et pédagogiques.
FO s’avère en réalité accompagner les politiques libérales. Par les modes de fonctionnement qu’elle propose (centralisés) et les modes d’action (« interpellation » du pouvoir et « grèves carrées » de 24 heures, sans jamais défendre la reconduction), FO ne favorise pas l’appropriation des luttes par les salarié-e‑s et favorise au contraire les pratiques délégataires, tout en ne travaillant pas à construire l’affrontement global nécessaire. FO semble se satisfaire de prendre quelques points aux autres organisations syndicales et en particulier à la CGT.
L’Union syndicale Solidaires, quant à elle, n’a cessé de proposer de construire un rapport de force interprofessionnel et unitaire, malheureusement sans beaucoup d’effets étant donnés les rapports de force intersyndicaux actuels et nos capacités d’initiatives propres. La situation doit nous amener à questionner nos propres responsabilités, les campagnes, initiatives et propositions que nous portons auprès des salarié-e‑s.
II.2. Dans l’éducation et l’enseignement supérieur et la recherche (ESR), des luttes d’ensemble difficiles à développer
Les attaques menées aujourd’hui contre les salarié-e‑s de l’Éducation nationale et de l’ESR s’inscrivent dans une offensive globale menée par les classes dirigeantes contre l’ensemble des travailleur-e‑s, des retraité-e‑s et des jeunes depuis plus de trente ans.
La politique dite « de refondation » s’inscrit dans la poursuite de l’adaptation de l’école aux conditions contemporaines du capitalisme, en promouvant une école du tri social, de la soumission aux intérêts des entreprises et des pouvoirs locaux : école du socle, territorialisation, attribution de moyens soumis à l’austérité budgétaire, logique managériale et dégradation des conditions de travail. Le discours sur la priorité à l’éducation ne peut pas faire illusion : les créations de postes annoncées ne seront pas réalisées, elles seraient de toute façon insuffisantes pour combler les suppressions massives de postes de la législature précédente et elles sont absorbées par le rétablissement d’une année de formation professionnelle et la hausse démographique.
Face à cette politique, force est de constater qu’il n’y a pas eu de riposte à la hauteur. Et là encore, il y a à l’origine de cet état de fait un mélange de manque de combativité des personnels et de responsabilités syndicales.
Le SGEN et l’UNSA ont soutenu sans faillir les différent-e‑s ministres. La FSU a décidé de les accompagner en émettant des critiques essentiellement verbales, sans jamais créer les conditions pour que des luttes se développent. Elle et ses principaux syndicats se sont abstenus sur la loi d’orientation et de programmation comme sur les principales réformes statutaires. Simple addition de syndicats catégoriels, la FSU a été paralysée par les corporatismes, le SNUipp défendant une « priorité au primaire » alors que le SNES veut « revaloriser le second degré »… Fait révélateur, depuis l’élection de F. Hollande, la FSU n’a été à l’initiative d’aucun cadre unitaire significatif pour l’école publique et ses personnels. Quand l’organisation majoritaire dans un secteur refuse de construire des mobilisations, il est plus difficile qu’elles se développent. Ainsi, les budgets, les lois et décrets sont passés sans grands heurts.
Les résistances n’ont certes pas manqué, de nombreuses luttes locales ont eu lieu et ont encore lieu. Si on met à part la lutte sur les rythmes scolaires, il n’y a pas eu de mouvement d’ensemble à dimension nationale. Aucune mobilisation n’a été susceptible d’imposer des modifications des orientations définies par le ministère. Dans le cadre de ce rapport de force dégradé, les combats et résistances engagées les années précédentes ont tendance à s’étioler. La résistance à base- élèves et au livret personnel de compétences (LPC), toujours d’actualité, est par exemple en reflux. Les luttes sur la formation des stagiaires dans plusieurs académies portent essentiellement des revendications d’ adaptation de la formation, des affectations, des modalités de validation et d’entrée dans le métier, mais elles ne parviennent pas à remettre radicalement en cause les principes même sur lesquels s’organise la formation initiale. Les luttes locales sporadiques contre les mesures de carte scolaire et les dotations horaires globales insuffisantes n’ont pas convergé vers un mouvement de contestation du budget d’austérité.
La seule lutte importante qui ait eu lieu dans notre secteur a porté sur les rythmes scolaires. Cette réforme des rythmes scolaires accroît le rôle des collectivités locales et aggrave les inégalités territoriales Elle provoque une désorganisation du temps scolaire préjudiciable aux conditions de travail des personnels et aux conditions d’apprentissage des élèves, qui sont encore plus fatigués qu’avant ! Les nouveautés introduites par Benoît Hamont sont insuffisantes voire dangereuses puisqu’elles permettent l’annualisation des obligations de service. SUD éducation a voté contre le décret Peillon (Comité technique ministériel du 22 janvier 2013) comme contre le décret Hamon (Conseil supérieur de l’Éducation du 5 mai 2014). Surtout, SUD a été à l’origine des mobilisations de 2013 contre le décret, qui avaient permis le report de sa mise en œuvre à la rentrée 2014 pour la plupart des municipalités. Ces mobilisations importantes, leur échec, appellent sans doute un débat pour en faire le bilan et en tirer des enseignements.
Dès le début des travaux sur l’éducation prioritaire SUD éducation a souligné l’ambition insuffisante d’une politique toujours à moyens constants. Le redécoupage de la carte REP/REP+ habille rarement Pierre mais déshabille Paul : les mobilisations importantes sur la question de l’éducation prioritaire, contre la nouvelle carte et les sorties de REP ou les essentiellement des revendications d’adaptation de la formation, des affectations, des modalités de validation et d’entrée dans le métier, mais elles ne parviennent pas à remettre non entrées dans les REP+… ne se sont pas développées pour créer un rapport de force national.
L’enseignement supérieur et la recherche subissent de plein fouet les politiques néolibérales. En créant des COMUE, ensembles d’enseignement supérieur et de recherche hypertrophiés « compétitifs à l’échelle mondiale », mis en concurrence et gérés par une nouvelle super-bureaucratie, la loi Fioraso continue l’engagement dans le « Processus de Lisbonne » pour le grand marché de « l’économie de la connaissance », initié par le LMD, le « Pacte pour la Recherche » et la LRU. La concurrence entre universités, entre laboratoires, entre équipes, et la concurrence de tous contre tous s’installe sous l ’égide d’ une évaluation, purement quantitative et arbitraire, et d’une individualisation accrue des rémunérations. L’assèchement des crédits récurrents a profondément modifié le quotidien des laboratoires qui doivent se concentrer sur des projets à court terme (ANR, …), au détriment de la recherche. Cette course aux contrats génère une asphyxie bureaucratique due à la rédaction et l’évaluation des projets, et promeut le recours massif à l’emploi précaire. Conséquences pour les personnels, les étudiantes et étudiants : précarité, inégalités, souffrance au travail…
Face à cette situation, depuis 2009, il n’y a eu aucune riposte d’ampleur. Un contexte ouvrant des possibilités de mobilisation semble cependant peut-être voir le jour en ce moment, avec des universités mobilisées, des budgets contestés, l’initiative Sciences En Marche…
II.3. Des mobilisations hors des cadres strictement syndicaux
Le changement de personnel politique n’a pas eu des effets uniquement sur les organisations syndicales, toute une partie du mouvement social et associatif a elle aussi baissé les bras. Par exemple, la proposition de SUD éducation, lancée juste après les élections présidentielle et législatives, d’une manifestation nationale pour la régularisation de tou-te‑s les sans-papiers est restée lettre morte, sans trouver de réel appui parmi nos partenaires dans le soutien aux sans- papiers. La solidarité concrète existe heureusement, mais aucune mobilisation d’ensemble n’a été construite, ne serait-ce que sur ce sujet, pour faire plier un gouvernement dont la politique, sur ce terrain aussi, s’inscrit dans une pleine continuité avec les précédentes. Les mobilisations lycéennes et étudiantes contre les expulsions de leurs camarades ont par moment été puissantes, et le pouvoir en a eu peur. Mais les principales organisations n’ont pas agi pour en faire un point d’appui dans la construction d’un rapport de force global.
De la même manière, à part des vagues ponctuelles d’indignation suite à des drames ou à des actes particulièrement choquants qui vont malheureusement jusqu’au meurtre (Rémi Fraisse ou les nombreux jeunes de banlieue tués par la police dans des circonstances souvent plus que douteuses), il n’y a pas de véritable riposte antiraciste ou contre les violences policières.
Les initiatives unitaires antifascistes n’ont pas donné lieu pour le moment à un mouvement large et populaire. Après que notre camarade Clément Méric a été tué par des militants d’extrême droite, des cadres unitaires se sont créés. Des initiatives et une campagne intersyndicales ont également été lancées. Une manifestation nationale antifasciste à l’occasion du congrès du FN à Lyon a été organisée. Cependant, les différences d’approches et de tactiques, la faiblesse des collectifs antifascistes existants et le refus de « grosses » organisations de se lancer pleinement dans la bataille n’ont pas permis aujourd’hui que des campagnes et des mobilisations de masse puissent réellement voir le jour.
L’opposition de la droite traditionaliste et de l’extrême droite à l’instauration du droit au mariage pour tous les couples a suscité des mobilisations quantitativement importantes en sa défense. Mais les reculs du gouvernement, la faiblesse et les divisions des mouvements féministes et LGBTQI (lesbiennes, gays, bisexuel-le‑s, transexuel-le‑s, queers, intersexes) n’ont pas permis d’aller au-delà de ce mouvement en défense de cette seule loi. Ainsi, lorsque le mouvement des Journées de Retrait de l’École a attaqué les ABCD de l’égalité, le gouvernement a préféré céder, et les efforts de SUD éducation pour créer un rapport de force sur cette question n’ont pas reçu là non plus beaucoup de soutien réel. À l’arrivée, c’est une bataille perdue car le nouveau plan ministériel pour l’égalité entre filles et garçon est très pauvre et lacunaire.
Les attentats de Paris ont servi de prétexte à la recrudescence de la répression et à des atteintes aux libertés ; le pouvoir s’est appuyé sur les mobilisations qui ont suivi pour légitimer ces atteintes.
Les difficultés à construire des mobilisations intersyndicales interprofessionnelles n’ont pas empêché des résistances d’exister, dans des cadres associant des syndicats et d’autres types d’organisations, ou contournant largement les cadres organisés du mouvement ouvrier et des associations habituelles.
Il y a bien eu, même si ce ne fût pas à l’initiative des organisations syndicales, des manifestations contre l’austérité. La difficulté pour le mouvement syndical est que l’initiative en a été prise par des organisations politiques (Front de gauche, NPA, Alternative Libertaire…). Parce que nous en partagions largement les mots d’ordres : « contre l’austérité pour l’égalité et le partage des richesses. Nous n’en pouvons plus de voir la droite et l’extrême-droite battre le pavé avec leurs cortèges de haine de l’autre, d’intolérance, de racisme, de sexisme, d’homophobie et d’intégrisme », SUD éducation a ainsi choisi de participer à la manifestation du 12 avril 2014. Cependant, il a ensuite été décidé de ne pas participer au collectif permanent AAA « Pour une Alternative A l’Austérité » issu de cette manifestation, face à l’incapacité de ce cadre à soutenir les mobilisations existantes, à sa volonté de poser des dates de manifestations séparées en week-end, et au risque de voir engager associations et syndicats dans des perspectives électoralistes alors que c’est le rapport de force par les luttes qui permettra de changer la donne.
Solidaires est partie prenante de la mobilisation contre le projet de traité transatlantique, caractéristique des politiques de libre échange visant à casser l’ensemble des normes protectrices pour les travailleurs/euses et l’environnement au bénéfice des multinationales et de leurs actionnaires. Des cadres unitaires larges anti-TAFTA donnent lieu, dans beaucoup de localités, à une mobilisation de longue durée, parfois de basse intensité, mais marquant des points dans l’opinion pour mettre en lumière le monde qu’on nous prépare. Cette bataille doit être poursuivie et amplifiée, dans les cadres unitaires les plus larges possibles. Participant d’un mouvement global de résistance et de remise en cause de l’ordre actuel des choses, le syndicalisme de transformation sociale y a toute sa place.
Ces dernières années ont également vu émerger ou se développer des résistances originales, principalement contre les grands projets inutiles et imposés. Parmi les plus emblématiques figurent les résistances à l’aéroport de Notre-Dame- Des-Landes et au barrage du Testet. Dans les deux cas, ces luttes se mènent dans une articulation, pas toujours facile, entre, d’une part, des cadres relativement classiques regroupant des associations locales (d’habitant-e‑s immédiatement concernées dans leur logement, leurs conditions de vie et de travail) et des organisations traditionnelles (des mouvements syndicaux, démocratiques ou écologistes) et, d’autre part, des militant-e‑s développant des Zones A Défendre (ZAD) par l’occupation physique des espaces menacés et l’opposition matérielle aux projets de construction destructrice. Ces luttes mettent en lumière l’intrication du productivisme et du capitalisme, qui n’a que faire de l’environnement, des êtres humains et de la démocratie. La répétition de ces résistances actives a créé un rapport de force qui rend plus difficile le développement de nouveaux projets de ce type. Les expériences de combat et d’autogestion qui s’y déploient sont utiles et formatrices. Pour toutes ses raisons, SUD éducation et Solidaires soutiennent légitimement ces luttes et en sont parties prenantes. Par leur forme d’action, d’autogestion sans organisation constituée, par leur victoire – au moins temporaire (il n’y en a pas tant !), elles peuvent questionner les formes traditionnelles du mouvement social et le syndicalisme. Pourtant, si elles permettent des victoires ponctuelles, il s’agit encore de luttes défensives.
Parce qu’il n’y aura pas de transformation sociale sans affrontement global avec les classes dominantes, parce que le rapport de force entre capital et travail est déterminant, parce que le syndicat est l’instrument par excellence de la lutte des classes, en ce qu’il permet de rassembler les travailleurs/euses à partir de leur lieux de travail dans un cadre de mobilisation interprofessionnel, il y a plus que jamais nécessité de développer le syndicalisme de lutte et de transformation sociale.
III. Nos priorités pour changer les rapports de force
Le syndicalisme de lutte se trouve aujourd’hui, comme hier en opposition aux politiques de régression sur le plan économique et social et budgétaire, a l’égard des sans-papiers, demandeurs/euses d’asile, et plus largement sur le racisme, comme sur les droits des femmes et des LGBTQI (lesbiennes, gays, bisexuel-le‑s, transexuel-le‑s, queers, intersexes), sur les droits et libertés publiques sur la répression et sur l’écologie.
Assumer ce positionnement sur le plan syndical oblige à reconstruire des mouvements collectifs de revendications. Il nous faut établir des revendications qui permettent de lutter et de rassembler des forces plus larges que simplement les militant-e‑s de SUD éducation et de Solidaires. Pour cela il faut privilégier la rencontre intercatégorielle avec les personnels pour impulser des débats et aider sur le terrain les résistances collectives.
Dans le même temps il faut tenter de préciser nos revendications à moyen termes, de faire les campagnes nécessaires pour les faire connaître.
L’heure est donc à la reconstruction d’une opposition syndicale face au libéralisme du gouvernement actuel et face aux orientations de destruction sociale de la commission européenne. La question pour le syndicalisme de lutte est donc de promouvoir des revendications qui puissent unir les salarié-e‑s dans des luttes réelles, et cela dans des cadres larges où les revendications de SUD éducation ne sont pas nécessairement majoritaires.
Au moment où les départs en retraite sont à un haut niveau dans les franges militantes il est également nécessaire de renforcer et de former nos équipes militantes, de développer nos syndicats.
III.1. Nos campagnes et revendications immédiates
Nos revendications pour le service public d’éducation et ses travailleurs/euses, pour une autre école, une autre université, une autre recherche, s’appuient sur une critique globale de la casse des positions salariales acquises par des décennies de luttes et s’inscrivent dans la perspective d’une alternative globale, qui passe par la socialisation des moyens de production et l’autogestion généralisée de la société.
III.1.1. Contre l’austérité, défendre l’école et le service public d’éducation
L’austérité, on la paie au quotidien. La réalité de l’austérité dans l’éducation, c’est la hausse du nombre d’élèves par classe, la remise en cause des projets, des dédoublements dans le second degré. La réalité de l’austérité, c’est la promesse de réformes, comme celle de l’éducation prioritaire, qui finissent par se faire à moyens constants, c’est-à-dire en prenant de l’argent au sein de l’éducation nationale pour “faire mieux” sans donner plus de moyens. La réalité de l’austérité, c’est le transfert d’une partie du temps scolaire aux collectivités territoriales, prélude à un désengagement de l’Etat en la matière : la réforme des rythmes, répétons-le, c’est avant tout la territorialisation de l’éducation nationale comme moyen de démantèlement du service public d’éducation.
L’austérité, on nous la présente comme incontournable, comme correspondant à des objectifs techniques inéluctables et finalement incompréhensibles : réduction des déficits à moins de 3%, maîtrise de la dette et de l’inflation. Les recettes néolibérales, on essaie de nous les faire avaler en nous expliquant qu’elles vont permettre de renouer avec la croissance et d’inverser la courbe du chômage. Mais force est de constater que depuis plus de trois décennies que ces choix sont hégémoniques, les inégalités n’ont fait qu’augmenter. Et pour cause, elles sont faites pour cela : imposer une répartition des richesses favorable aux patrons et aux actionnaires, les uns augmentant leurs marges et les autres leurs dividendes. L’austérité est une politique de classe visant à accroître les profits du capital au détriment du travail. Et ces dogmes au service des plus riches, c’est nous qui les payons dans nos conditions de travail, et nos élèves dans leurs conditions d’apprentissages.
La défense du service public et en particulier celui de l’éducation. L’un des axes prioritaires des plans d’austérité sera de s’en prendre aux dépenses de fonctionnement et d’investissement des administrations publiques. La défense du service public est donc plus que jamais à l’ordre du jour. Ceci ne signifie pas qu’il faille s’en tenir à la simple défense de l’existant. C’est pourtant trop souvent ce qui se passe dans le domaine scolaire, où la défense d’une prétendue « école républicaine » est, pour certaines organisations syndicales, devenue une fin en soi. Car la question des services publics n’est pas seulement budgétaire.
Dans le domaine scolaire par exemple, si nous devons refuser une logique comptable faisant de la réduction des coûts le premier critère de gestion, si nous devons lui opposer une autre logique dont la priorité serait la satisfaction des besoins collectifs, nous ne devons pas renoncer à remettre en cause une école socialement inégalitaire, porteuse de discriminations de genre et racistes. Nous ne devons pas abandonner non plus la critique de l’organisation hiérarchique des services publics pour lui opposer une alternative autogestionnaire. De même, la promotion des pédagogies émancipatrices est une dimension essentielle d’un projet d’école émancipatrice. Nous devons donc livrer deux batailles parallèles : pour le maintien du service public mais aussi pour une autre école.
Cette approche est tout aussi valable pour l’Enseignement supérieur et la recherche. Notre vision de l’enseignement et de la recherche n’est pas de conditionner les étudiant es et les étudiants à accepter l’idée que la vie ne sert qu’à produire et consommer. Nous refusons l’asphyxie budgétaire et la marchandisation, et nous défendons bien au contraire l’idée d’une Université et d’une Recherche émancipatrices permettant l’accès de toutes et tous aux savoirs et aux résultats de la recherche : leur mission principale doit rester de produire et de diffuser les savoirs et leurs critiques. L’instauration d’un salaire socialisé pour toutes et tous dès l’âge de la fin de la scolarité obligatoire est une projection que nous partageons mais elle reste une revendication lointaine. Il nous faut travailler à des revendications intermédiaires qui permettent aux jeunes issus des classes populaires d’engager et de suivre des études supérieures.
L’extension de leurs domaines et leur accès gratuit doit être une revendication prioritaire. Nous voulons interroger le périmètre et les finalités des services publics, c’est la question de l’égalité des droits qui est en jeu dans leur développement.
Un des axes majeurs de la lutte pour des moyens dans l’éducation est la baisse des effectifs par classe. La baisse des effectifs par classe est un enjeu majeur pour les conditions de travail des personnels comme pour les conditions d’apprentissage des élèves. Les personnels ne s’y sont pas trompés au cours de multiples luttes locales, ces dernières années ; pour la défense des dotations horaires globales dans les collèges et lycées, ou contre les fermetures de classes dans les écoles élémentaires et maternelles, ou encore pour le maintien de leur établissement ou école dans le dispositif d’éducation prioritaire. Des effectifs par classe trop élevés, c’est la garantie de laisser un grand nombre d’élèves de côté, donc favoriser la reproduction scolaire en empêchant les plus fragiles de s’investir dans les activités, et in fine le sentiment pour les personnels de ne pas faire leur travail correctement. La baisse des effectifs par classe, c’est une condition – nécessaire même si non suffisante – pour développer les pédagogies coopératives dont la visée serait l’émancipation individuelle et collective contre la sélection et la reproduction qui s’effectuent de fait dans des classes surchargées.
III.1.2 Contre le libéralisme et le management, construire des alternatives
S’opposer aux nouvelles pratiques managériales issues du privé. Non que les pratiques hiérarchiques eussent été plus souples et positives « avant ». Mais néanmoins, la période est marquée dans notre champ de syndicalisation par le « Nouveau management public », dont l’objectif est d’obtenir plus d’efficience de la part des salarié-e‑s – et donc plus d’obéissance. Ainsi, en 2012, la Cour des comptes publiait son rapport « Gérer les enseignants autrement », qui mettait les dysfonctionnements supposés du corps enseignants sur le compte de l’absence de perspectives de carrière. Au bâton de l’inspection et de la notation – qu’il s’agit de continuer de dénoncer avec force, s’ajoute la carotte de la reconnaissance institutionnelle par la logique de projet, et donc de concurrence pour les financements de pratiques professionnelles et la multiplication des hiérarchies intermédiaires et des reconnaissances symboliques du « dynamisme » de certains collègues (coordinateurs de disciplines, membres du conseil pédagogiques, professeurs référents, coordinateurs réseaux…). Il s’agit bien, pour l’institution, d’individualiser les carrières, d’introduire de la concurrence pour améliorer les résult ats du servi ce public. Cette évolution engendre beaucoup de tension au sein des équipes, de frustration pour les collègues, de renforcement du favoritisme des chefs et, au final, de souffrance au travail pour l’ensemble des personnels. SUD éducation condamne cette évolution avec force et s’y opposer, sur les lieux de travail et au quotidien, est bien une priorité syndicale.
S’opposer plus que jamais au socle commun de compétences, qui est de plus en plus hégémonique dans les enseignements. Les finalités de l’école sont de plus en plus orientées vers les exigences du patronat. Le monde de l’entreprise devient la norme pour la gestion des personnels du service public d’éducation, mais aussi la finalité des apprentissages pour les élèves. Le socle commun a été remodelé, ce qui ne change pas sa logique de fond, issue de l’ERT et des préconisations de l’OCDE : l’adaptation de l’école aux exigences du patronat. L’objectif est que les élèves des classes populaires, les plus susceptibles de quitter l’école à l’âge minimal réglementaire, soient « employables » rapidement, en ayant validé des minima en terme de connaissances (lire, écrire, compter) et en terme d’attitude (esprit d’initiative, comprendre et exécuter des consignes). A l’échelle de l’organisation du système éducatif (remise en cause de la séparation école/collègue, collège modulaire), comme à celle du contenu des enseignements obligatoires (nouveaux programmes), l’ « école du socle » mise en place par la loi Fillon de 2005 devient plus que jamais hégémonique : l’objectif étant de rendre plus difficile la focalisation de la résistance à cette évolution sur tel ou tel dispositif, comme au LPC dans son ancienne version. SUD éducation s’oppose plus que jamais à l’école du socle et à tout objectif d’adaptation des objectifs de l’école au monde de l’entreprise.
Face à ces évolutions, la nécessité d’alternatives autogestionnaires, et donc la critique du système hiérarchique, pour la société en général et dans le service public d’éducation. Il n’y aura pas de démocratie réelle tant que les décisions principales dépendront de la propriété privée. Il faut cependant insister sur la distinction entre la simple nationalisation (où les décisions sont prises par l’Etat) et la véritable socialisation (où les décisions ne sont plus prises par l’Etat mais par des conseils auto-gestionnaires regroupant usagers et personnels). Si nous voulons porter une alternative sociale, les questions de la socialisation et de la démocratisation des moyens de production et d’échange, des services publics et de la sécurité sociale doivent revenir au cœur des discussions. Cela suppose un travail d’explication pour rendre ces propositions accessibles et compréhensibles le plus largement possible. Cela suppose également le développement et la popularisation des pratiques coopératives et égalitaires y compris dans les écoles, établissements et services.
Sur la socialisation comme sur l’autogestion, il nous faut chercher les modalités, à partir de la situation matérielle et idéologique de nos collègues, de leur conditions de vie et de travail, de leurs préoccupations quotidiennes, pour leur présenter ces alternatives af i n qu’elles ne leur apparaissent pas dogmatiques ou irréalistes. Cela suppose de réfléchir à l’adaptation de nos expressions et à l’articulation de nos revendications immédiates avec ce projet de société, et de réfléchir aux moyens d’amener les collègues vers une expérience immédiate de l’autogestion par exemple – même partielle.
Promouvoir la réflexion pédagogique : un syndicalisme de transformation sociale et égalitaire ne peut faire l’impasse sur une réflexion sur les relations enseignant-e‑s/enseigné-e‑s, sur les méthodes d’apprentissage et de transmission des connaissances, sur le fonctionnement général des relations sociales dans les écoles et les établissements, sur les modes d’évaluation, l’organisation du temps scolaire, sur les objectifs même de l’école, sur les contenus et les programmes. Cela suppose également le développement et la popularisation des pratiques coopératives et égalitaires. Il est indispensable de promouvoir ces pratiques dans la gestion des écoles, établissements et services, de rendre compte et de populariser ces pratiques quand elles existent. Parce que nous voulons privilégier l’éducation par l’échange au sein du collectif qu’est la classe, l’enseignement mutuel, le développement de l’esprit critique, la construction patiente d’une pensée autonome chez les élèves, la conviction et le raisonnement au lieu du formatage, nous entendons, au sein du syndicalisme et donc dans SUD éducation promouvoir la réflexion sur les pratiques pédagogiques quotidiennes.
III.1.3. Face aux attaques du patronat défendre les droits sociaux et en gagner de nouveaux
La lutte pour l’amélioration de nos conditions de travail : il faut poursuivre et amplifier le travail de fond engagé ces dernières années, par les formations, la production de matériels adaptés, l’appropriation des outils juridiques et militants par les équipes syndicales et par les personnels. Dans le même temps et sans contradiction, il faut rappeler que l’amélioration véritable des conditions de vie et de travail ne pourra passer que par des transformations des structures de l’école et de la société et en particulier par l’augmentation des salaires, la baisse du temps de travail, la diminution du nombre d’élèves par classe, l’amélioration des conditions matérielles, la remise en cause des structures hiérarchiques…
L a dégradation des conditions matérielles de travail (comme conséquence des politiques d’austérité), le renforcement des pouvoirs de la hiérarchie, l’introduction de nouvelles normes de gestion des personnels et de méthodes de management empruntées au secteur privé rendent de plus en plus difficile l’exercice des métiers. Les personnels ouvriers, techniques, administratifs, de vie scolaire, de santé sont les premier-ère‑s à faire les frais de ces méthodes de management. Les plus fervent-e‑s propagandistes de la libéralisation du système scolaire parlent déjà « d’industrialisation de l’enseignement ». On sait ce que signifie une telle « industrialisation » : logique de marché, critères de gestion et outils de contrôle empruntés aux entreprises privées, mise en concurrence par l’Etat des écoles et des établissements entre eux, du public et du privé ainsi que de leurs personnels Face aux discours des employeurs qui présentent les difficultés rencontrées au travail comme des échecs personnels, nos tâches seront de :
• Mener un travail d’explication pour déconstruire le discours promouvant une prétendue « modernisation » de l’École et dénoncer la logique qui la sous-tend ;
• assurer la défense collective des collègues victimes de ces modes de gestion.
La défense et l’extension des droits sociaux et des solidarités. Dans ce cadre, nous revendiquons notamment :
L’augmentation générale des salaires et la réduction des écarts de rémunération pour aller vers un salaire unique. Dans un contexte difficile où défilent les plans sociaux, les délocalisations et la hausse du chômage, les revendications salariales restent plus que jamais légitimes. Si les salarié-e‑s ont des scrupules, les grand-e‑s patron-ne‑s n’en ont aucun : la crise que Les dirigeant-e‑s font payer au monde du travail ne les empêchent pas de réviser largement leurs revenus à la hausse.
Dans l’Éducation Nationale et les collectivités territoriales, la situation de blocage des salaires et de suppression de postes favorise le recours aux contrats précaires, la surcharge de travail, le recours aux heures supplémentaires, les pressions hiérarchiques. Partout où cela se pose SUD Éducation appelle à construire le refus collectif et individuel des heures supplémentaires, du recours aux emplois précaires et des surcharges de travail.
Les revendications salariales sont le plus souvent exprimées par les directions syndicales sous forme de revendications en pourcentages. SUD éducation n’a jamais partagé cette conception hiérarchique des revendications salariales qui donne plus à ceux qui ont plus et moins à ceux qui ont le moins.
En ce qui concerne les salaires, SUD éducation revendique immédiatement une augmentation inversement proportionnelle aux salaires pour réduire l’éventail des rémunérations, avec un salaire minimum porté immédiatement à 1700 euros net et l’indexation des salaires sur l’inflation pour garantir le maintien du niveau de vie des personnels en activité et à la retraite.
Nous combattons toute rémunération et primes « au mérite ». Nous revendiquons l’intégration des primes et indemnités générales aux salaires, et la compensation des tâches supplémentaires et des con- ditions difficiles par des réductions des services.
Nos carrières sont divisées en échelons, que nous ne passons pas toutes et tous à la même vitesse. Ce système injuste et inégalitaire doit disparaître. Nous revendiquons ainsi la mise en place d’un un salaire unique.
Une diminution significative du temps de travail hebdomadaire, sans perte de salaire ni flexibilité, en réclamant d’abord le passage à la semaine de 32 heures pour toutes et tous (avec une déclinaison sur le temps de travail des personnels de l’Éducation nationale). Cette diminution est une dimension essentielle de la transformation sociale :
1. Pour lutter contre le chômage de masse : alors qu’il y a plus de 5 millions de chômeurs et de chômeuses, à quoi il faut ajouter les temps partiels imposés et les petits boulots précaires, l’idée de partager le travail pour travailler tou-te‑s devrait s’imposer comme un des piliers de la lutte contre le chômage de masse, avec les créations massives d’emplois nécessaires pour satisfaire les besoins sociaux actuellement non comblés (éducation, petite enfance, aide à la personne, …).
2. Pour favoriser la vie démocratique : la réduction du temps de travail est également une des conditions sociales de la participation des salarié-e‑s au débat démocratique, ce qui reste difficilement envisageable de façon continue dans une situation où ils travaillent près de huit heures par jour, sans compter le temps passé dans les transports. Le temps libre devient alors une soupape et un temps consacré à la reconstitution… de la force de travail.
3. Pour vivre mieux : un temps de travail réduit c’est aussi un travail moins stressant, et donc un mieux-vivre au travail. C’est enfin une condition pour que tou te s et tous puissent participer pleinement à une vie associative, créatrice, pour laisser sa place à l’imaginaire, aux rencontres, à la culture et à la fête. Bref, pour vivre autrement !
La diminution des années de travail, avec pour commencer l’annulation de toutes les décotes et surcotes et le retour aux 37,5 années de cotisations pour un départ à la retraite à 60 ans sur la base de 75% du meilleur salaire, pour aller vers une pension unique à 55 ans sans condition. Ces seuls objectifs atteints constitueraient une énorme victoire pour le mouvement ouvrier et ouvriraient d’autres perspectives pour gagner d’autres propositions.
La gratuité dans l’accès aux besoins sociaux fondamentaux, qui ne doit pas dépendre du salaire (soins, transports, etc.)
Le droit à l’emploi stable et au revenu. Non seulement il faut résister aux attaques contre le droit du travail, mais nous devons populariser la revendication de droits nouveaux et notamment l’abolition des licenciements et la création d’un statut du salarié – applicable à tous et toutes et financé par un fonds mutualisé – pour garantir le maintien du salaire et les formations, et garantir à tou-te‑s un revenu socialisé à partir de l’âge de la fin de la scolarité obligatoire. Le droit à l’emploi stable passe aussi par la création d’emplois publics. Dans ce cadre, il faut défendre les garanties attachées aujourd’hui au statut de la fonction publique d’Etat. Les processus de précarisation de l’emploi public qui se perpétuent, se massifient et désormais se diversifient constituent un contournement du statut qui permet à l’Etat employeur l’embauche sans cesse renouvelée de dizaines de milliers de salarié-e‑s jetables. Cette précarité n’a jamais été vraiment mise à mal par les différents « plans de résorption » qui se sont soldés par quelques titularisations par concours et beaucoup de vrais licenciements. Il nous paraît indis- pensable d’aller à la rencontre de ces salarié-e‑s, d’entendre leurs revendications immédiates et de construire avec eux/elles et avec les personnels titulaires le rapport de force nécessaire pour imposer l’arrêt des recrutements de salarié-e‑s précaires et leur réemploi, la titularisation immédiate de ces personnels sans condition de diplôme, de concours ou de nationalité.
Dans l’éducation, Sud éducation lutte contre la précarité en revendiquant la titularisation sans condition de concours ni de nationalité de toutes et tous les précaires.
Cette revendication principale s’appuie sur trois axes revendicatifs pour les personnels en statut ou contrat précaire : de véritables formations sur le temps de travail ; l’alignement des salaires et des droits sur ceux des titulaires ; l’abrogation de toutes les journées de carence en cas d’arrêt-maladie.
Ces axes revendicatifs définissent nos revendications ou exigences à court terme :
Pas de jour de carence en cas d’arrêt-maladie quel que soit le statut ou contrat.
L’emploi sur un seul service ou établissement, ou sinon compensation par une décharge de service.
La fn du sous-effectif chronique, notamment par la création d’une véritable « brigade de remplacement » pour chaque métier.
L’égalité salariale : à travail égal, salaire égal, temps de travail égal.
Le réemploi tacite de tou-te‑s les personnes en fin de contrat précaire, ou saisie de la commission paritaire compétente.
La fin du recrutement par les chef-fe‑s d’établissement.
II.1.3. Contre les réactionnaires : organiser la contre-attaque
Le combat pour l’égalité hommes /femmes et pour les droits des LGBTQI (lesbiennnes, gays, bisexuel-le‑s, trans, queers, intersexes). Face à la montée réactionnaire, suite au mouvement de la Manif pour tous et des Journées de Retrait de l’Ecole, et aux renoncements du gouvernement sur ces questions, nous devons mener la bataille sur tous les plans. Au sein même de l’Education nationale que ce soit en matière de salaire, de division sexuelle du travail, ou d’accès aux postes et fonctions, mais aussi en matière de harcèlement et d’insultes au travail. Dans les pratiques pédagogiques, que ce soit sur les questions d’orientation, d’évaluation, d’outils pédagogiques, de distribution de la parole, de programmes, mais aussi à travers le travail éducatif face aux agissements sexistes et lgbtphobes.
Le développement de nos campagnes antiracistes et contre l’extrême droite. Le fascisme se nourrit du désespoir présent et des peurs face à l’avenir. La base de sa politique est la discrimination et la promotion d’un capitalisme national. Il faut à la fois dénoncer sa réalité, et porter des alternatives pour reconstruire l’espoir collectif en une société plus juste par la convergence des luttes. La politique actuelle qui augmente les inégalités et la misère sociale est le ferment du développement du fascisme et de l’extrême droite. Les combattre suppose de lutter contre le capitalisme et les politiques qui sont à son service.
Nous devons combattre le racisme toutes ses formes et d’où qu’il vienne, en particulier le racisme d’Etat et institutionnel qui le banalise, comme système de discrimination et de division des travailleurs et des travailleuses. Plus que jamais, SUD éducation dénonce la chasse aux Roms et aux sans-papiers, revendique l’égalité des droits pour toutes et tous, sans condition de papier ou de nationalité. Dans une période où le consensus politique s’établit de la gauche à l’extrême droite pour dire qu’ « ils sont trop nombreux », il faut travailler à reconquérir le terrain perdu et recréer les conditions d’une mobilisation pour la régularisation de tou-te‑s les sans-papiers, la liberté de circulation et d’installation.
Il n’est pas possible de considérer l’École comme un sanctuaire protégé des soubresauts qui agitent le monde. Tensions, contradictions, confits la traversent tout autant. Nous n’avons donc pas à rester des spect at eurs/trices passifs/ves. La diffusion de théories réactionnaires justifiant inégalités et discriminations, la banalisation de l’idéologie raciste et xénophobe sont un affront à la conception égalitaire et émancipatrice portée par SUD éducation et une menace dirigée contre la liberté de conscience et la laïcité. Celle-ci ne représente pas seulement un principe à protéger, elle doit être aussi une réalité vivante. La laïcité n’est pas une religion supplémentaire, pas plus qu’elle n’est un dogme contre les religions. Elle est la garantie de la liberté de conscience et donc celle du droit de chacune et de chacun d’avoir ou non une religion. Elle ne peut pas être un instrument servant à légitimer un arsenal de mesures normatives et répressives qui viseraient à définir un « comportement citoyen » imposé à tous les niveaux. C‘est bien cela qu’a tenté de faire le gouvernement et la ministre de l’éducation nationale au lendemain des attentats de janvier 2015 à Paris.
L’appel aux grands principes ne peut remplacer des politiques concrètes pour l’égalité. Il ne suffira pas de cours de morale ou d’éducation civique, de minutes de silence ou d’une « charte de la laïcité ». L’appel aux « valeurs de la République », l’enseignement abstrait d’une morale ne peuvent qu’entrer en contradiction avec les inégalités de la société et de l’école. L’école doit être profondément, structurellement, transformée. Ce qui fait notamment le jeu des fanatiques, c’est un système inégalitaire et le « deux poids deux mesures » : Comment, au nom de la laïcité, multiplier les injonctions et interdictions pour les uns tout en continuant pour les autres à financer à coups de milliards d’argent public l’enseignement privé, essentiellement catholique, sans donner le signe d’un traitement discriminatoire ? Pour toutes ces raisons, SUD éducation continue de condamner le dualisme scolaire qui prévaut en France. Avec l’Union syndicale Solidaires, nous revendiquons la nationalisation de l’enseignement privé et l’intégration de ses personnels à la fonction publique ».
Notre tâche est triple :
Idéologique, en faisant connaître les combats du XXème siècle pour la laïcité de l’école publique, en continuant la dénonciation d’un enseignement séparé, privé qui s’apparente un peu plus chaque année à une école de classe, en diffusant explications sur la nature des enjeux et dénonciations du discours d’extrême droite tant au travers de notre presse que par l’organisation de réunions publiques et de stages.
Pratique, en assurant la défense des collègues menacé-e‑s par les pressions voire les agressions de ceux et celles qui professent l’obscurantisme et travaillent à préparer la régression sociale et culturelle.
D’organisation, en renforçant notre participation aux mobilisations laïques, antisexistes et antiracistes.
III.2. Favoriser l’action collective, re-populariser la grève reconductible
C’est aux personnels de déterminer comment ils veulent mener leur lutte. Tout ce qui construit la lutte est bon à prendre, surtout dans une période de reflux de l’action collective. Mais il faut distinguer sans les opposer les actions qui participent à la construction d’une mobilisation de celles qui permettraient d’imposer une victoire.
Les actions d’interpellation (happenings, flash mobs…) sont bien sur très utiles parce qu’elles permettent de mettre en mouvement collectif les personnels, de mettre publiquement en débat nos revendications et de gagner le soutien populaire. Les rassemblements et les manifestations permettent aussi de renforcer un mouvement mais ne suffisent pas à elles seules dans le contexte actuel à créer un rapport de force victorieux. Les actions de désobéissance et de boycott possèdent les avantages déjà décris mais provoquent encore davantage de débats, elles participent à la radicalisation de la mobilisation, elles désacralisent la légalité. Généralisée elles peuvent rendre une mesure caduque. Cependant ce mode d’action ne peut se substituer aux autres. Il doit s’inscrire dans un cadre collectif avec une solidarité. Il renvoie à des actes individuels qui exposent les collègues et il ne peut être utilisé dans tous les cas comme dans celui des suppressions de postes. Il y a donc de vrais obstacles à sa généralisation dans la durée. Le blocage partiel ou total de locaux (rectorat, établissement, centre d’examen…) est, en accompagnement de la grève, un moyen d’action sans doute très efficace mais qui nécessite au-delà de sa popularisation un haut niveau de combativité des personnels.
S’il est admis dans l’Union syndicale Solidaires que l’on doit rechercher la convergence des luttes en proposant des rendez-vous de mobilisation communs aux différents secteurs d’activité, nos efforts se limitent trop souvent aux appels nationaux construits avec d’autres organisations syndicales, politiques ou associatives. Les difficultés rencontrées à convaincre nos collègues, et plus généralement la population, de participer à ce type de mobilisation, doit nous conduire à développer des stratégies complémentaires. Nous avons pu constater qu’un certain nombre de collègues assimilent souvent les manifestations traditionnelles à des postures politiques sans perspectives ou des rituels inutiles, et que les luttes s’expriment plus clairement pour elles-eux dans la solidarité physique, morale et financière avec des conflits sociaux tels que ceux de PSA à Aulnay, de Goodyear à Amiens, de Virgin à Paris, de la Poste. Nous proposons donc que Solidaires et SUD éducation s’engagent dans des appels plus systématiques et volontaristes au soutien de ce type de lutte et propose d’éventuelles manifestations locales, comme cela avait été proposé auprès des concessions Peugeot lors de la lutte PSA. Nous sommes conscient-e‑s que ces démarches n’ont rien de facile et ne représentent pas un remède miracle à la difficulté de convaincre et de mobiliser, mais elles permettraient peut-être de remobiliser des travailleu-se-r‑s éloigné-e‑s des luttes syndicales habituelles grâce à des objectifs plus concrets de solidarité immédiate.
Nous le constatons depuis longtemps, le scepticisme quant à l’efficacité de la grève gagne du terrain chez les collègues. Depuis 2003 dans l’éducation les possibilités d’une grève générale victorieuse sont largement mises en doute au motif du caractère non productif et non bloquant de l’éducation. C’est encore plus vrai aujourd’hui. Dans le même temps chacun se rend bien compte que les journées isolées sont inefficaces, même si aujourd’hui l’existence même de la grève isolée est en question, au moins au niveau national. Pourtant ces grèves peuvent permettre aux salarié-e‑s de monter leur opposition, de lancer une mobilisation, même si elles ne constituent pas à elles seules une stratégie victorieuse. Une journée de grève et de manifestation ne sera jamais suffisante pour faire reculer le patronat et le gouvernement, mais par son ampleur, une grève de 24h peut appeler la suite – même si la répétition des grèves de 24h, secteur par secteur lasse les plus motivé- e‑s sans convaincre celles et ceux qui le sont moins.
Il faut redire que la seule grève qui pèse vraiment, c’est la grève qui bloque ou entrave le fonctionnement économique ou institutionnel dans notre secteur. Cela implique sa reconduction. Dans la construction d’un rapport de force il faut rechercher à la base des alliés potentiels que sont notamment les parents d’élèves, les lycéens et les étudiants de nos établissements. Autour de la grève des personnels, leur action sur le blocage des lieux de travail et sur la popularisation des luttes est localement souvent décisive.
Pour en convaincre les collègues. Il faut un patient travail d’explication des échecs précédents et des succès locaux. Il faut surtout, en l’articulant à ce travail, un développement des luttes locales, auto-organisées, reconduites et victorieuses, qui prouvent « par les faits » l’importance et la nécessité de l’action gréviste. Les syndicats SUD éducation s’y emploient quotidiennement. Ces luttes, relayées dans les expressions des syndicats comme de la fédération, sont autant d’appui pour re-populariser la grève reconductible auprès de nos collègues de travail.
Des luttes sectorielles victorieuses sont possibles mais seule une victoire interprofessionnelle peut changer le rapport de force. Porter la grève reconductible à un niveau interprofessionnel ne peut pas se faire sans des secteurs eux-mêmes déjà mobilisés dans la grève. Le travail des syndicats SUD éducation réside donc dans la construction résolue d’une grève de la maternelle à l’université soutenue par la population et porteuse d’alternatives pour les élèves, les étudiant-e‑s et les personnels. Car si nous savons que la grève n’est qu’un moyen, elle reste un moyen qui, à l’échelle nationale et dans la durée, peut faire reculer ce gouvernement si elle va au bout de sa logique de blocage du fonctionnement institutionnel et/ou économique. Ce qui suppose notamment de se préparer à aller jusqu’au blocage des centres d’examen.
III.3 Construire l’unité des travailleurs et travailleuses et l’auto-organisation des luttes
Lorsque les droits sociaux, les solidarités et les services publics sont attaqués dans leur fondement même, la responsabilité des syndicalistes est de participer à la construction des mobilisations les plus larges. La question de l’unité reste déterminante pour le présent et l’avenir des luttes. « Ensemble on est plus fort-e‑s » reste une idée dominante pour la masse des salarié-e‑s, dans l’éducation comme ailleurs.
Nous ne pensons pas que l’unité soit seulement une question d’appareils nationaux ou locaux. Sans unité à la base, rien n’est possible. Nous défendons l’auto-organisation des salarié-e‑s en assemblées générales de lutte définissant elles-mêmes leurs modalités d’action, et la coordination démocratique de ces assemblées. SUD éducation doit continuer à apporter tout son soutien militant et logistique aux luttes construites et conduites par les personnels. La lutte pour les conditions de travail au quotidien, dans les services, les écoles et les établissements permet de diffuser au mieux nos idées et nos revendications. SUD éducation apportera une attention particulière à la défense des personnels et aux luttes à la base inter-catégorielle et interprofessionnelle.
Il ne faut cependant pas opposer unité à la base et recherche d’unité d’action des organisations syndicales, m ai s a u contraire chercher à développer les luttes localement en leur donnant, grâce aux intersyndicales les plus larges possibles, la plus grande audience (départementale, académique et nationale) et la plus grande ampleur possible vers la grève reconductible.
Nous ne voulons pas renoncer à nos principes et à nos revendications au nom de l’unité d’action entre des organisations syndicales différentes. Mais nous ne voulons pas davantage nous complaire dans un syndicalisme de témoignage qui s’autoproclamerait détenteur de la vérité quand bien même les travailleurs et les travailleuses continueraient de l’ignorer, ne partageraient pas ses mots d’ordre et ses revendications, ne s’approprieraient pas ses propositions d’action. Les positions revendicatives de SUD éducation doivent donc être défendues en intersyndicale et dans les mobilisations mais nous devons avoir comme principe de nous engager pour le soutien des luttes et de ne refuser notre accord que si cela contredit ouvertement nos mandats. Nous continuons de promouvoir l’unité d’action syndicale, à chaque fois qu’elle est utile aux luttes ou à la construction d’un rapport de force, tout en portant auprès des travailleurs et des travailleuses nos propres orientations.
Nous ne devons pas nous laisser paralyser par l’absence d’unité d’action la plus large. Nous pouvons prendre des initiatives, seul-es ou dans des cadres intersyndicaux partiels.
Sur des sujets définis et des campagnes précises, comme par exemple pour le TAFTA ou les droits des sans-papiers, la constitution de cadres d’action unitaires rassemblant des organisations de types divers, selon les situations et les contextes (collectifs, associations, réseaux, organisations politiques, mouvements…) est utile. C’est une réalité militante dans laquelle SUD éducation continuera de s’investir.
S’affirmer dans le champ syndical de l’éducation : dans la lignée de nos précédents congrès, nous devons travailler à des dynamiques unitaires pour favoriser l’action. Cela peut passer par des appels intersyndicaux larges ou plus restreints, à l’image de l’arc intersyndical CGT-FO-SUD qui a été construit lors de la bataille sur les rythmes scolaires. L’un n’étant pas exclusif de l’autre, notre boussole étant la possibilité qu’offrent ces cadres unitaires de construire une dynamique favorable à l’action des personnels.
III.4. Développer des relations avec les militant-e‑s de l’émancipation, vers la constitution de collectifs pour des alternatives pédagogiques et sociales
Celles et ceux qui portent l’exigence d’une alternative émancipatrice et égalitaire aussi bien au niveau social que sur les questions scolaires et pédagogiques ont du mal à se faire entendre, pas uniquement mais notamment à cause de leur dispersion. Ces militant-e‑s se trouvent en effet divisé-e‑s syndicalement, ils et elles agissent aussi dans divers mouvements pédagogiques, des mouvements d’éducation populaire, des associations, des collectifs de lutte ou de résistance, des réseaux, dans l’animation de sites web, de revues, dans des initiatives d’universitaires, etc.
La fédération Sud éducation décide lors de son VIIe Congrès de se fixer comme perspective de tisser des liens avec ces militant-e‑s et leurs organisations et de promouvoir le rassemblement des forces et militant-e‑s qui portent un projet émancipateur indissociablement social et pédagogique, pour faire entendre le plus largement possible ces voix alternatives, leur donner toute leur place dans le combat idéologique et dans la construction des mobilisations.
Nous engageons une série de rencontres bilatérales nationales et nous lançons un appel à la construction de collectifs pour des alternatives pédagogiques et sociales (appel en annexe).
Le Conseil Fédéral réunissant les délégué-e‑s syndicats SUD éducation cinq fois par an aura la maîtrise et le contrôle de l’ensemble du processus, il débattra et définira les mandats pour les rencontres et initiatives dans le cadre de cette perspective stratégique générale de constitution d’un pôle alternatif pédagogique et social.
Développer SUD éducation, un outil syndical alternatif au service des luttes et de l’interprofessionnel
Depuis sa fondation, Sud éducation cherche à « grandir et se développer, intervenir et peser dans la vie politique et sociale », à faire vivre un « autre syndicalisme » qui soit « un outil au service des luttes sociales pour qu’elles aboutissent à une véritable transformation des rapports sociaux » (Congrès de fondation, Lyon, 1998). Notre outil pour cela, c’est notre fédération.
La perte de notre représentativité nationale dans l’Éducation nationale, l’évolution de notre champ professionnel, doivent nous interroger sur ce projet initial. Force est de constater que notre fédération, globalement, stagne depuis près de dix ans tant du point de vue de ses effectifs que dans sa capacité à peser auprès des personnels de l’éducation, de la maternelle à l’université.
Pour autant, doit-on abandonner ce qui est au cœur de notre projet syndical ? Nous pensons que non. Le pire serait un repli localiste et/ou corporatiste au détriment de la construction d’initiatives, de campagnes fédérales fortes qui portent la voix de SUD éducation. Les quatre années à venir doivent être l’occasion de réaffirmer l’existence de la fédération SUD éducation, de la rendre audible, crédible et plus que jamais porteuse de cette alternative syndicale que nous cherchons à construire au quotidien.
Les élections professionnelles ont été une mascarade notamment liée au faible taux de participation. La représentativité institutionnelle de SUD éducation dans l’enseignement dans l’enseignement supérieur et la recherche a été confirmée. Ces élections ont montré un tassement de SUD éducation parmi les votant-e‑s dans l’enseignement scolaire.
Ces élections, avec le progrès en voix et en pourcentage enregistré par les organisations syndicales conservatrices et réactionnaires de l’Éducation nationale, traduisent une évolution de la composition sociale et une inflexion idéologique des personnels, comme le désarroi d’ une partie d’ent re eux confrontés à la dégradation de leurs conditions de vie et de travail. Nous interprétons aussi ces résultats comme des1850 effets d’une droitisation et de la montée du corporatisme. Mais il faut sans doute analyser nos propres carences à endiguer ce phénomène. Nous devons nationalement trouver les moyens de mieux tirer profit de nos positionnements en phase avec les collègues comme lors des mobilisations sur les rythmes.
Au-delà de l’activité reconnue de la CE, que nous devons maintenir, la production et la diffusion d’un matériel en direction de toutes les catégories (enseignant-e‑s, agent-e‑s, personnels administratif, de santé et sociaux, de vie scolaire, titulaires ou précaires) doit être amplifiée aux enseignant-e‑s, aux précaires mais aussi aux personnels administratifs, de santé et de vie scolaire.
En aucun cas cela ne remet en cause le projet porté par SUD éducation. Chercher à l’infléchir au nom d’un réalisme électoraliste signifierait qu’il n’a plus de raison d’être. Cela nous oblige cependant à nous interroger sur la manière dont nous nous adressons à l’ensemble des personnels.
Un travail d’explication, d’explicitation de nos positions, est indispensable sur le terrain. Nos collègues sont pour la plupart très éloigné-e‑s des positions que nous défendons, qui peuvent leur paraître irréalistes si elles sont présentées trop brutalement. Elles peuvent alors jouer le rôle de repoussoir. Réfléchir à la manière de communiquer nos idées pour convaincre, ce n’est pas y renoncer, c’est chercher à les partager plus largement. Le développement de SUD éducation passe sans doute aujourd’hui par un effort non plus seulement pour rassembler les personnels qui partagent avec nous une critique radicale de l’ordre social actuel, mais également de mener la bataille des idées auprès de l’ensemble de nos collègues pour une adhésion aux revendications et au projet défendu par SUD éducation.
De même, dans un contexte général de désyndicalisation et même de suspicion à l’égard du syndicalisme, il ne suffit pas de rappeler la nécessité de s’organiser collectivement sur les lieux de travail. Il faut aussi apporter la preuve que se syndiquer à SUD c’est faire un choix de nature différente. Appeler à la resyndicalisation, c’est d’abord renforcer ce qui fait la spécificité du syndicat, sur le plan de son fonctionnement, de sa pratique (en réclamant la priorité à l’auto-organisation des luttes) et de ses prises de position en revendiquant l’indissociabilité des questions professionnelles et interprofessionnelles et en affirmant sans complexe la légitimité du syndicat à s’exprimer sur toutes les questions sociales et politiques en débat dans la société. Cette spécificité doit continuer à s’incarner sur le terrain par une action déterminée de défense collective et individuelle des salarié-e‑s qui reste souvent la première étape pour les faire adhérer à notre syndicalisme.
Le contexte dans lequel nous intervenons est particulièrement difficile. À l’offensive menée par les classes dirigeant es, aux conditions socio-économiques nées de la crise du capitalisme, s’ajoutent la résignation et le repli sur soi individualiste de trop de collègues. La désaffection qui nous touche comme les autres menace l’existence même du syndicat. Ce travail de resyndicalisation est donc urgent.
Le renforcement de la fédération SUD éducation : cela passe par une adaptation de notre outil fédéral comme de notre intervention spécifique. Des campagnes fédérales régulières doivent être organisées, plus et mieux coordonnées et dont les bilans doivent être tirés collectivement (implication des syndicats, participation des adhérent-e‑s, mobilisation des personnels) afin d’adapter notre intervention sur un temps long et non au coup par coup comme c’est encore trop souvent le cas. Nous devons construire collectivement des campagnes afin de se développer plus largement, notamment par une véritable campagne de syndicalisation.
Expliquer notre projet d’école égalitaire et émancipatrice et notre projet de société alternatif avec en son principe la socialisation et l’autogestion, porter des revendications unifiantes, défendre l’École laïque, publique et gratuite, défendre les personnels, redévelopper le sens de l’action collective, convaincre de la nécessité du rapport de force, donner à voir la spécificité démocratique et interprofessionnelle du syndicalisme que nous portons, développer nos syndicats, l’Union syndicale Solidaires et ses structures interprofessionnelles locales pour être utiles à nos collègues, aux luttes, à la transformation sociale : telles sont les tâches que se donnent pour les années qui viennent les syndicats SUD éducation réunis en congrès à Brest en mai 2015.
Annexe
Appel à la construction de collectifs pour des alternatives pédagogiques et sociales
Appel issu du VIIe congrès de la fédération des syndicats SUD éducation
La période dans laquelle nous sommes est lourde de dangers pour les libertés publiques, les droits sociaux, les solidarités, les services publics. Le service public d’éducation, de la maternelle à l’université, subit les assauts de l’austérité et du libéralisme, qui vise à adapter la formation aux conditions contemporaines du capitalisme, mais aussi des forces réactionnaires, qui gagnent du terrain.
La défense du service public est donc plus que jamais à l’ordre du jour. Ceci ne signifie pas qu’il faille s’en tenir à la simple défense de l’existant. Si nous devons refuser une logique comptable faisant de la réduction des coûts le premier critère de gestion, si nous devons lui opposer une autre logique dont la priorité serait la satisfaction des besoins collectifs, nous ne devons pas renoncer à remettre en cause une école socialement inégalitaire, porteuse de discriminations de genre et racistes. Nous ne devons pas abandonner non plus la critique de l’organisation hiérarchique des services publics pour lui opposer une alternative autogestionnaire.
De même, la promotion des pédagogies coopératives est une dimension essentielle d’un projet d’école émancipatrice. Nous devons donc livrer deux batailles parallèles : pour le maintien du service public mais aussi pour une autre école. Cette approche est tout aussi valable pour l’Enseignement supérieur et la recherche, qui ne doit pas conditionner les étudiantes et les étudiants à accepter l’idée que la vie ne sert qu’à produire et consommer. Nous refusons l’asphyxie budgétaire et la marchandisation, et nous défendons bien au contraire l’idée d’une Université et d’une Recherche émancipatrices permettant l’accès de toutes et tous aux savoirs et aux résultats de la recherche : leur mission principale doit rester de produire et de diffuser les savoirs et leurs critiques.
Il y a urgence à faire entendre des voix alternatives, à les porter dans le débat d’idées et dans les mobilisations.
L’histoire du syndicalisme et des mouvements pédagogiques visant l’émancipation est traversée par une conviction plus que jamais d’actualité : l’alternative sociale et l’alternative éducative sont indissociables : il ne peut pas y avoir d’école réellement émancipatrice dans une société socialement hiérarchisée, fondée sur l’inégalité et l’exploitation de la force de travail par les propriétaires des capitaux ; il ne peut pas y avoir de société égalitaire sans une école émancipatrice. Cela n’amène à aucun cercle vicieux dont il serait impossible de sortir, mais à la nécessité de mener de front les deux combats, pour une autre école, une autre société, toute séparation entre les deux dimensions de la transformation étant une impasse.
Celles et ceux qui portent l’exigence d’une alternative émancipatrice et égalitaire aussi bien au niveau social que sur les questions scolaires et pédagogiques ont du mal à se faire entendre, pas uniquement mais notamment à cause de leur dispersion. Ces militant-e‑s se trouvent en effet divisé-e‑s syndicalement, ils et elles agissent aussi dans divers mouvements pédagogiques, dans des mouvements d’éducation populaire, des associations, des collectifs de lutte ou de résistance, des réseaux, dans l’animation de sites web, de revues, dans des initiatives d’universitaires, etc.
Le VIIe Congrès de la fédération SUD éducation lance un appel au rassemblement, à la construction de collectifs pour des alternatives pédagogiques et sociales.
Cet appel n’exclut personne : dans l’autonomie par rapport aux organisations politiques, il s’adresse à tou-te‑s les militant‑e‑s, à tou-te‑s les organisations, tendances et courants syndicaux, à toutes les associations, collectifs et réseaux, qui luttent à la fois contre le capitalisme et les inégalités et pour une école émancipatrice et des pédagogies coopératives.
Cet appel n’est pas un coup de communication : c’est l’expression d’une volonté de construire avec les partenaires intéressé-e‑s. Il ne s’agit pas pour nous de décider d’un cadre, d’une plateforme ou d’une dénomination, mais de prendre notre part dans la construction d’un processus qui ne nous appartiendra pas.
Cet appel ne vise pas une construction uniquement « par en haut » ou uniquement « par en bas » : nous souhaitons que se crée un cadre national pour impulser et donner à voir ce processus, mais il s’agit surtout de créer des collectifs locaux pour porter ensemble débats et initiatives.
Toutes les organisations, associations, tous les courants, groupes, collectifs, réseaux, militant-e‑s, etc., sont invité-e‑s à prendre contact avec nous pour échanger sur cette proposition.
Un syndicalisme féministe en lutte contre toutes les formes de sexisme et de LGBTQIphobie
Si elle a connu dans les 20 et 21ème siècles des avancées significatives quant aux droits et au statut des femmes, notre société est toujours porteuse d’inégalités et de discriminations à l’encontre des femmes et des personnes LGBTQI. Les attaques sexistes et LGBTQIphobes se multiplient actuellement (Manif pour Tous, Journées de retrait de l’école, lobbying contre des œuvres plastiques et destructions, mobilisation contre les ABCD de l’égalité). Malgré des proclamations en faveur des libertés fondamentales, nous avons vu le gouvernement multiplier les reculs (retrait du terme « genre » des textes officiels, abandon des ABCD, entre autres…) et se mettre en place une régression générale du statut des femmes ( travail de nuit, travail du dimanche, développement de la précarité et du sous-emploi, prégnance de modes cosmétiques et/ou vestimentaires assignants et/ou hypersexualisants, y compris bien avant la puberté, valorisation de la maternité, restriction de l’accès à l’avortement, remise en cause de la contraception féminine ‚…).
Face aux inégalités et discriminations sexistes et LGBTQIphobes , face aux attaques des uns et aux renoncements des autres, il est essentiel pour SUD Education, syndicat de lutte et de transformation sociale, de rentrer avec plus de détermination encore dans la bataille féministe, de défendre un engagement fort, qui se traduise dans des actions et des revendications portées avec constance et visibilité.
Nous débattons dans ce congrès sur l’école que nous voulons. La nécessité de la lutte, à l’école comme ailleurs, contre sexisme et LGBTQIphobies, doit aussi nous interroger sur le projet féministe que nous portons pour l’école.
I Combativité : un féminisme en lutte contre toutes les formes de sexisme et de LGBTQIphobies
Syndicat de lutte, SUD éducation veut être de tous les combats qui se jouent au sein de l’école contre les discriminations et inégalités découlant du système de domination patriarcal et hétérosexiste, traduites par les stéréotypes de genre. Ces combats concernent tous les acteurs et actrices des établissements.
1° Les élèves
Face à l’offensive réactionnaire et au comportement rétrograde de l’institution scolaire, il nous faut réaffirmer nos revendications : une école qui garantisse l’épanouissement des élèves, qui leur permette de se construire en dehors des stéréotypes et des hiérarchisations aliénantes, qui promeuve l’égalité entre tou-te‑s, filles, garçons, qu’elles ou ils soient hétéros, lesbiennes, gays, bi-e‑s, trans, cis, intersexué-es, qui permette à tout‑e élève de penser sa vie comme un possible et son identité comme son bien propre.
Pour cela, SUD Education revendique :
• la ré-intégration du concept de genre dans les textes officiels et sa prise en compte dans des programmes élaborés par la communauté éducative.
• la prise en compte de ces questions dans les enseignements
• la production de manuels qui fassent sa place entière à l’histoire des femmes, non pas sur un strapontin dans des dossiers documentaires annexes, mais dans le corps du texte et le fil de l’histoire (documents-sources d’auteures, féminisation des textes, évocation systématique de la place des femmes, vision genrée des événements et des concepts)
• la mise en œuvre de pratiques de classe favorisant la circulation égalitaire de la parole, les pratiques collaboratives, l’apprentissage de toutes les disciplines pour toutes et tous dans une école polytechnique
• l’effectivité des séances d’éducation à la sexualité prévues dans les textes officiels et la prise en compte dans ces séances d’une perspective non hétérocentrée, qui mette sur un pied d’égalité toutes les orientations sexuelles et toutes les identités de genre
• la mise en place de dispositifs dédiés (comme l’étaient les ABCD de l’égalité) permettant aux élèves de réfléchir spécifiquement aux discriminations et stéréotypes de genre, et de les déconstruire
• la promotion de projets par exemple via les CESC (Conseil d’éducation à la santé et à la citoyenneté), et d’interventions d’associations ou organisations laïques (Planning Familial, SOS Homophobie par exemple) pour compléter les actions et pratiques pédagogiques mises en œuvre dans les établissements.
2° Les personnels de l’Education nationale
Comme ailleurs, les discriminations sont effectives dans notre champ professionnel. Dans l’Education nationale, à ancienneté égale, le salaire des femmes progresse moins vite que celui des hommes (l’indice moyen des hommes est supérieur à celui des femmes, qui ne représente que 90% de l’indice moyen masculin) notamment à cause de retard de notation du fait de congés maternité ou parental (la note administrative étant gelée pour partie), et d’un avancement de carrière plus lent. Cet écart de salaire se répercute au moment de la retraite. Par ailleurs, le métier est largement féminisé mais la hiérarchisation patriarcale se reproduit : la hiérarchie est largement masculine (à plus de 75%), et plus on avance dans le système scolaire vers des postes plus valorisés socialement, moins il y a de femmes (elles sont plus de 80% chez les PE, mais seulement 35% à l’université). Les vœux d’emplois du temps dans le second degré, ou les prises de temps partiel, sont le plus souvent chez les femmes contraints par des obligations familiales, auxquelles elles sont astreintes pour une large part, du fait de la répartition majoritaire des tâches dans les couples. De plus, comme sur tout lieu de travail, l’Education Nationale n’échappe pas aux problématiques de harcèlement à l’encontre de tous les personnels féminins (enseignantes, agentes, AED…). Enfin, les personnels reçoivent peu de formation sur les questions de genre et sur les moyens de mettre en œuvre des pédagogies ou des pratiques de travail antisexistes et antiLGBTQIphobes.
On le voit, le chantier est immense. Ainsi SUD éducation revendique :
• l’inscription dans les textes de l’arrêt du gel de la note administrative en cas de congé maternité ou parental (comme c’est déjà le cas dans la fonction publique hospitalière) ;
• la suppression de toute notation, de toute inspection et des mécanismes de cooptation patriarcale (jurys des concours, corps d’inspection largement masculins) qui affectent principalement l’avancement des femmes, avec un salaire unique aligné sur le plus favorable ;
• la suppression de la précarité (dont sont victimes majoritairement les femmes), par une titularisation sans condition de tou-tes les précaires, et l’arrêt du recrutement de nouveaux et nouvelles précaires ;
• une politique de prévention (campagne d’information sur les ambiances de travail sexistes, affichage de la loi sur le harcèlement sexuel) et de suivi (accompagnement des victimes dans leurs démarches, notamment judiciaires), via les CHSCT s’agissant des cas de harcèlement, et la mise en place systématique de la protection fonctionnelle, qui est de droit ;
• la mise en place dans la formation initiale de modules obligatoires sur les problématiques de genre, pour les futur-e‑s enseignant-e‑s (selon un volume horaire identique dans toutes les ESPE), et pour toutes les autres catégories de personnel (CPE, agent-e‑s) ;
• un renforcement de l’offre de formation continue sur ces questions ;
• le développement des services de la petite enfance (modes de garde individuels et collectifs) pour que les choix professionnels (temps partiels, disponibilités, congés parentaux…) puissent en être vraiment ;
• une rotation des tâches chez les ATTEE pour ne pas reproduire une division sexuée du travail où les femmes sont le plus souvent assignées aux tâches polyvalentes (faire le ménage, servir les repas) tandis que les hommes occupent les postes techniques ou de supervision (chef cuisine, chef d’équipe) ;
• plus largement, notre horizon est celui d’un corps unique dans lequel toutes et tous nous assurerions par l’autogestion une polyvalence des tâches nécessaires à la vie d’un établissement scolaire.
3° Les militant-e‑s/représentant-e‑s syndicaux
Les stéréotypes de genre et les mécanismes de domination patriarcale sont aussi un frein à la participation des femmes à la vie syndicale.
SUD Education intègrera dans son fonctionnement :
• la mise en place de modes de garde (en priorité autogérés et en parité) pour les réunions fédérales (CF, commissions) de SUD éducation, avec une prise en charge financière par les syndicats ;
• concernant les Conseils Fédéraux et les congrès :
• la mise en place de statistiques genrées systématiques lors des CF
•La mise en place d’une liste canadienne : les syndicats n’ayant pas encore parlé sont prioritaires dans le tour de paroles
•la limitation des temps de parole lors des CF à 3mn pour la première intervention puis 2 mn pour les suivantes
•une vigilance accrue sur la féminisation des candidatures et de la représentation dans nos instances, à tous les échelons de représentativité du syndicat
•le développement de matériel syndical, de stages, portant sur les questions de genre, la lutte contre sexisme et LGBTQIphobies.
SUD éducation portera au sein de Solidaires ces propositions de fonctionnement.
II Intersectionnalité : un féminisme attentif aux autres formes de domination
La domination patriarcale n’est pas la seule forme de domination qui pèse sur les individu-e‑s : capitalisme et système de classes, racisme et discriminations/stigmatisations, traditionalisme et obscurantisme, viennent confluer avec patriarcat et hiérarchisation hétérosexiste. Il est nécessaire de penser ces formes de domination comme articulées les unes aux autres. Cette imbrication doit influer sur nos stratégies de lutte et sur notre vigilance militante, pour ne pas laisser le féminisme se faire instrumentaliser et servir des argumentaires xénophobes notamment pour empêcher la confiscation ou le détournement de la lutte féministe, une lutte qui œuvre pour l’émancipation de toutes et tous.
L’exclusion de fait des seules femmes voilées des sorties scolaires, consécutive à la circulaire Chatel, est un exemple de cette double machine à broyer et exclure, associant sexisme et racisme : circulaire sexiste par le fait qu’elle vise spécifiquement les femmes, les renvoie chez elles et les coupe de la sociabilité liée à la vie des écoles ; circulaire raciste car elle vise majoritairement les femmes issues de l’immigration et des quartiers populaires.
SUD éducation réaffirme :
• sa détermination à lutter contre toutes les formes de domination : de classe, raciste, de genre, d’idéologie, de religion, de courant spirituel ;
• sa volonté de dénoncer l’instrumentalisation du féminisme et la réécriture par des groupes de pression de l’histoire du féminisme, pour servir des mesures ou des postures racistes et discriminatoires, qui aboutirait à des discours et des pratiques à l’encontre de l’autonomie, de l’émancipation, de l’indépendance de la pensée de toutes les femmes et la liberté des individus.
SUD éducation revendique l’abrogation de la circulaire Chatel (reconduite par le gouvernement actuel) entraînant l’exclusion des femmes voilées des sorties scolaires, et la possibilité pour tous les parents de participer à la vie de l’école, notamment les sorties et voyages scolaires, dans le cadre de la laïcité, donc en respectant la liberté de culte des parents, tout en prévenant les propos prosélytes, religieux ou politiques.
III Vers un féminisme solidaire, unitaire et démocratique
Toutes et tous nous devons pouvoir être actrices et acteurs du mouvement d’émancipation féministe. Ce mouvement d’émancipation est un processus dynamique, toujours à construire, toujours à conquérir, contre les forces réactionnaires extérieures, contre nous-mêmes aussi parfois, qui sommes tissé-e‑s par notre histoire personnelle, nos représentations, nos propres stéréotypes. Pour que ce mouvement d’émancipation soit saisi par tou-te‑s, il doit être à la fois ambitieux et modeste : ambitieux par son exigence de lutte et de libération, modeste dans la conscience que les formes d’émancipation peuvent être multiples, que chaque chemin est singulier, que personne ne détient une clé universelle qui vaudrait pour tou-te‑s. Chacun‑e doit pouvoir entrer dans cette dynamique avec ses mots, ses actions, son histoire.
Nos aspirations démocratiques, notre vœu de relations humaines débarrassées de hiérarchie et notre souci d’être attentif-ves à l’auto-organisation des luttes doivent logiquement nous conduire à faire de l’implication de toutes et tous un des mots d’ordre de notre féminisme.
SUD Education revendique :
• la participation des élèves dans la réflexion et les pratiques pédagogiques antisexistes et antiLGBTQIphobes, pour déconstruire de façon concertée et collaborative les stéréotypes
• la participation de toutes les catégories de personnels car cette lutte ne peut être que globale et certainement pas catégorielle
• la participation de tous les parents, d’où qu’ils/elles viennent, de classe moyenne ou de quartier populaire, français ou étranger (avec ou sans papiers), de famille hétéro ou homoparentale, athé-e‑s ou croyant-e‑s.
Tou-te‑s, car cette lutte ne peut être que globale et certainement pas catégorielle, nous devons pouvoir avoir notre mot à dire, notre pierre à apporter, pour être acteurs et actrices à part entière, contre le patriarcat et les volontés de domination sur les êtres humains, d’un mouvement de lutte laïque, égalitaire, collectif et solidaire, qui a pour horizon l’émancipation et l’épanouissement de toutes et tous.
Autogestion et coopération dans le service public d’éducation
Le mouvement syndical est actuellement extrêmement faible, à l’image du mouvement social dans son ensemble et des différentes forces qui œuvrent pour la transformation sociale. Face à cette faiblesse, les différentes organisations syndicales assument – à certaines nuances près que nous ne développerons pas ici, et sans préjuger de la combativité de certaines de leurs équipes militantes – une pratique syndicale d’accompagnement, censée redonner confiance dans l’efficacité de l’engagement syndical. Dans ce contexte pour le moins morose, l’Union syndicale Solidaires revendique la « transformation sociale » comme horizon de l’action syndicale et entreprend, sans y parvenir toutefois de manière suffisamment cohérente, de définir un projet de société au delà du capitalisme. C’est ainsi que fut discuté au dernier congrès de Solidaires – mais dans une table ronde, ce qui illustre bien les contradictions de notre Union syndicale – le texte « Nationalisation, privatisation, socialisation, autogestion : le droit de propriété en question », qui se limite globalement à l’enjeu du secteur privé.
En ce qui concerne notre champs de syndicalisation, les organisations syndicales revendiquent au mieux, et avec plus ou moins de conviction, la défense du service public, lorsque leur intervention ne se limite pas au syndicalisme qu’elles qualifient d’« utile », c’est-à-dire à l’accompagnement des carrières. Nous pensons avec notre Union syndicale qu’à l’inverse de la stratégie adoptée par la quasi-totalité du mouvement syndical, c’est bien la capacité à élaborer un projet de société alternatif – et à le construire dans les Assemblées générales de lutte, mais aussi au quotidien sur nos lieux de travail – qui manque pour susciter l’adhésion des personnels à l’action collective. Ainsi, nous devons lutter pour défendre pied à pied le service public d’éducation et les conditions de travail des salarié-e-es, mais en se donnant les moyens de proposer un autre service public, ce qui commence par rendre crédibles d’autres formes possibles d’organisation du travail, plus respectueuses des travailleurs et travailleuses comme des usager-e‑s.
Sud éducation revendique l’autogestion comme autre forme d’organisation du travail pour le service public d’éducation, c’est-à-dire le contrôle de l’outil de travail par les travailleurs et les travailleuses. Pour en faire un horizon possible de la transformation sociale, cette revendication historique du mouvement ouvrier ne peut rester incantatoire, mais doit se confronter à la réalité de l’organisation des écoles, établissements et services. Des réflexions ont vu le jour au sujet du premier degré, et notamment des directions d’écoles, formalisées lors du congrès de Cherbourg. Notre texte propose d’étendre les principes d’organisation autogestionnaire du travail pour toutes les écoles et établissements de l’Education Nationale, de la maternelle à l’université.
De plus il est important de développer au niveau des élèves ce que nous revendiquons au niveau des adultes. Par conséquent, nos revendications autogestionnaires doivent trouver leur écho au niveau du fonctionnement de la classe. C’est pourquoi la rencontre avec les pédagogies coopératives est nécessaire dans le projet politique d’une autre société et d’une autre école.
I. L’autogestion dans le service public d’éducation
1. Pourquoi remettre en question l’organisation hiérarchique du travail ?
L’organisation hiérarchique du travail génère de la souffrance : pressions hiérarchiques ( convocations , remontrances verbales etc) qui ont pour but de soumettre les individus ; notation infantilisante qui oriente les pratiques professionnelles dans l’objectif de satisfaire le ou la chef-fe et non dans l’intérêt du service et des travailleurs et travailleuses ; organisation spatiale et temporelle imposée sans lien avec les pratiques professionnelles des individus, sans mise en accord, et souvent contre l’intérêt du service, qui entraîne des sentiments d’impuissance, de gâchis, de désorganisation, de travail inutile.
L’organisation hiérarchique du travail empêche le travail d’équipe : soumises à la décision finale des chef-fe‑s, les équipes peuvent renoncer à s’investir et à passer du temps sur des projets ou dispositifs qui risquent d’être refusés ou vidés de leur sens. Dans le premier degré, les dernières réformes tendent à généraliser ce modèle d’organisation hiérarchique dans le but plus ou moins avoué de casser les collectifs de travail et de lutte. L’expérience quotidienne, nous permet d’affirmer que les équipes organisées collectivement et solidaires, résistent mieux aux difficultés du métier et sont plus efficaces contre la « souffrance au travail ». Pour cela, une relation de coopération et de confiance réciproque doivent être le quotidien. Coopération et confiance peu probables dans une gestion autoritaire, hiérarchique et parfois incompétente comme c’est déjà le cas dans le second degré à l’université.
L’organisation hiérarchique du travail encourage un comportement individualiste : elle empêche les travailleurs et les travailleuses de prendre en main leur outil de travail, de s’investir pour en améliorer le fonctionnement, au bénéfice du service et des individus. Lorsque la décision et la responsabilité finale reposent sur un seul individu, le reste des travailleurs et travailleuses est empêché de se poser la question des conséquences de ce qu’il fait, et de se pencher sur l’ensemble des contraintes et des possibilités qui existent au sein d’un établissement. La vision globale est réservée à la direction, et les travailleurs et les travailleuses ne peuvent agir que sur une petite partie de l’ensemble. Plus encore, ils et elles sont poussé-e‑s dans une logique concurrentielle qui les amène à rechercher les avantages individuels sans se soucier de l’intérêt collectif et du service public. C’est cette même logique qui empêche l’émergence d’une solidarité de classe. L’exercice isolé de la fonction de direction conduit souvent à une déresponsabilisation des enseignant-e‑s et à des dérives qui ne leur laissent que peu de pouvoir réel. Par exemple dans le premier degré, le pouvoir des conseils des maîtres s’amenuise au gré des réformes. Les individus en charge de la direction s’éloignent de plus en plus de l’acte d’enseignement, renforçant la division enseignant‑e/directeur-trice. La réforme des métiers de l’enseignement issue de la refondation de 2014, qui hiérarchise un peu plus la direction d’école, n’apporte en aucun cas plus de cohérence collective dans les pratiques des un-e‑s et des autres. Par ailleurs à notre connaissance, aucune étude ne permet d’établir le lien entre une organisation hiérarchique et l’efficacité contre l’échec scolaire et pour le plus haut niveau de qualification pour toutes et tous. Il suffit de regarder la situation des établissements du second degré pour constater que la hiérarchie n’est pas opérante contre l’échec scolaire.
→ L’autogestion (réelle ou visée) doit donc permettre à chacun‑e de se sentir maîtresse et maître de son existence au travail, mais aussi responsable de son travail, de son bien-être et de celui des autres. Elle doit permettre la transformation de l’organisation du travail, et par la même occasion donner envie de se battre pour l’améliorer et la défendre.
2. Quelle organisation du travail dans un établissement autogéré ?
Il s’agit donc de généraliser un fonctionnement collégial permettant de se passer des personnels de direction et où les décisions à prendre sont discutées entre pairs. Ainsi, se pose la question des instances de décisions et celle de l’égalité entre les travailleurs et travailleuses.
Précisons si besoin est que les outils répertoriés ici ne sont pas des projections théoriques mais sont issus des différentes expériences historiques de démocratie directe portées par le mouvement ouvrier.
Les instances de décision
Il existe aujourd’hui en France et dans l’Éducation nationale des structures alternatives qui tentent de répondre à ce questionnement et les voies explorées sont diverses. Lycée expérimental de Saint-Nazaire, lycée autogéré de Paris, collège Clisthène à Bordeaux, collège lycée expérimental d’Hérouville-Saint-Clair, directions collégiales d’écoles dans le premier degré… toutes ces structures ont des modes d’organisation spécifiques au sein desquels il existe différents degrés d’autogestion, quels que soient leurs limites par ailleurs. Assemblée générale, conseil d’établissement, groupes de base, commissions, mais aussi mandatement de membres de l’équipe ou encore conseils des maîtres. Leur point commun est que les décisions sont en partie discutées et partagées, de même qu’une partie de la gestion de l’établissement. C’est dans ce même objectif que nous posons ci-dessous des principes de fonctionnement pour l’ensemble des établissements scolaires.
Toutes les décisions ne pouvant être débattues par tout le monde en même temps, et toutes les décisions ne concernant pas obligatoirement tous les travailleurs et travailleuses, il s’agit d’instaurer des temps et des lieux où les individus concernés se réunissent et décident selon les modalités qu’ils auront eux-mêmes choisis.
Il peut parfois s’agir de toutes les catégories de travailleurs et travailleuses (agent-e‑s, profs, vie scolaire, médico-social…), mais aussi parfois de seulement une ou deux catégories, ou encore d’une équipe pédagogique.
Ces réunions doivent se faire en groupe restreint pour garantir la qualité des débats et faciliter l’expression de toutes et tous. Cela implique donc de multiplier les groupes et de se doter d’une structure chargée de compiler et de rendre accessibles à tous et toutes les demandes et décisions de chaque groupe.
Cela implique également que ces temps fassent partie du temps de travail, soient donc compris dans les services, et aient par conséquence un caractère obligatoire.
Enfin il est indispensable de veiller à la mise en application des décisions, et donc de pouvoir mandater des personnes sur des tâches précises pour lesquelles du temps leur est dégagé. Pour éviter de recréer ainsi une hiérarchie qui ne dit pas son nom, ces mandats doivent avoir une durée limitée dans le temps et être révocables, les mandataires rendent compte, et le principe de rotation doit être imposé.
De plus, il est nécessaire de permettre des temps d’échange entre établissements, notamment entre écoles dans le premier degré, ou encore entre premier et second degré par exemple.
La division du travail et le statut unique
La mise en place d’instances démocratiques ne suffit néanmoins pas pour qu’un collectif de travailleurs et travailleuses soit en état de prendre des décisions réellement partagées. Même s’il est d’ores et déjà possible d’organiser des assemblées générales où chacun‑e a sa place, où chacun‑e peut avoir une voix et un pouvoir de décision quels que soient son statut et sa position, pour que ces structures soient véritablement démocratiques il est indispensable d’instaurer une réelle égalité entre salarié-e‑s. En effet, pour débattre d’égal‑e à égal‑e chacun‑e doit avoir les mêmes droits et le même salaire, et chacun‑e doit avoir une vision la plus globale possible de l’établissement de manière à en appréhender correctement tous les aspects, à en comprendre la complexité et les enjeux. Il est possible d’imaginer dès maintenant le partage d’un certain nombre de tâches et de missions, et la mise en place d’une polyvalence des travailleurs et des travailleuses : accompagné‑e et formé‑e par un‑e collègue, un‑e enseignant‑e peut prendre en charge une partie de l’entretien et du ménage d’un bâtiment, de même qu’un‑e agent‑e technique peut prendre part à l’enseignement d’une discipline ou à l’animation d’un atelier. Il en va de même pour le service de restauration, le secrétariat, la vie scolaire etc. Le temps de travail de chaque travailleur et travailleuse doit donc être divisé entre une partie liée à sa spécialisation (actuellement sa catégorie), et une partie consacrée aux tâches partagées entre tou-te‑s et à la formation en interne de ses collègues. Cette polyvalence doit également permettre de tenir compte de la complémentarité des individus, des goûts et envies de chacun‑e, et doit permettre une évolution tout au long de sa carrière professionnelle. Dans le cadre de cette polyvalence organisée (volontaire pour certaines tâches comme l’enseignement, imposée pour d’autres tâches comme les tâches à responsabilité liées à l’autogestion des établissements et écoles ou liées à l’exercice de certains mandats), il nous faut construire toutes les différentes passerelles possibles entre tous les métiers.
C’est pour ces raisons, parce que nous sommes contre la division sociale du travail et parce que nous sommes un syndicat inter-catégoriel et au sein d’une union syndicale interprofessionnelle que nous revendiquons un statut unique qui préserve la diversité des métiers et affirme leur égalité. Tout personnel et tout usager d’établissement scolaire est de fait considéré comme partie prenante de la communauté éducative. Les revendications du statut unique, de l’égalité salariale, et de la polyvalence s’en trouvent donc étendues à l’ensemble des salarié-e‑s des établissements scolaires.
Nous voulons aller vers la fusion de tous les statuts dans un statut unique. Dans l’immédiat, nous proposons la fusion de tous les corps de personnels intervenante‑s auprès des élèves (enseignement, vie scolaire, orientation,…) dans un corps unique, cela sans nier la spécificité des métiers et des activités.
3. Dans l’immédiat, quelles pratiques autogestionnaires ?
Le chemin peut paraître long avant de voir aboutir une revendication de cet ordre. Seul un mouvement social de grande ampleur et interprofessionnel permettrait aux travail-leurs et aux travailleuses de reprendre réellement la main sur leur outil de travail. Mais cela ne veut pas dire qu’il n’y a rien à faire d’ici là. Au contraire, c’est dès aujourd’hui que se prépare un tel changement.
Organiser et gérer un établissement scolaire demande des compétences techniques, des habitudes de débat et de prise de décisions qui ne s’inventent pas du jour au lendemain. C’est d’ailleurs souvent ce qu’on nous oppose lorsque qu’on évoque le sujet. Il est donc nécessaire de montrer qu’il est possible d’acquérir ces compétences et habitudes, et que c’est d’autant plus facile si on le fait collectivement, pour que cette revendication apparaisse comme possible auprès des collègues.
C’est dans la pratique que nous apprenons à faire.
De nombreuses occasions s’offrent alors à nous :
• Les discussions autour des dotations horaires globales dans le second degré et de leur répartition sont une occasion de questionner collectivement les choix pédagogiques des établissements, mais aussi d’appréhender la complexité de la répartition des moyens et de se confronter à la réalité du terrain. Les équipes qui s’en emparent et qui font ce travail de répartition soulèvent des questions cruciales : Quel équilibre entre les disciplines ? Quel dispositif faut-il développer et quel autre ne fonctionne pas ? Quelles sont les conséquences sur les postes, sur les services ? Quelle stratégie de refus des heures supplémentaires ? Quel impact sur la stabilité des équipes ? Et surtout, qui est le mieux placé pour décider, la direction ou les travailleurs et travailleuses, des gestionnaires ou des praticien-ne‑s ?
• les conseils d’administration, coquilles vides s’il en est, sont l’occasion de créer du travail collectif s’ils sont préparés en assemblée générale ou heure d’information syndicale. Il permettent au moins de débattre ensemble de la gestion administrative et financière des établissements et de prendre des décisions (qui ne sont malheureusement presque jamais suivies d’effet, mais c’est un autre débat).
• les dispositifs pédagogiques particuliers qui existent dans de nombreux établissements (pédagogie institutionnelle, pédagogie Freinet, travail interdisciplinaire, classes sans note, modules relais, classes à projets, classes coopératives…) sont une occasion de créer du travail collectif pour les faire fonctionner, les alimenter, et les intégrer au travail de chacun‑e. Mais ce sont aussi des occasions de questionner leur impact sur les élèves et sur les personnels. Ils provoquent des débats au sein du collectif de travailleurs et travailleuses, qui permettent de réfléchir ensemble au sens de ce que l’on fait, et à la manière dont on le fait, entre la liberté de chacun‑e et l’intérêt du collectif ;
• pour le premier degré, une direction collégiale institutionnalise le rôle du conseil des maîtres-es et inscrit l’exercice de la direction d’école dans un cadre collectif diversifié selon les modalités choisies par l’équipe enseignante. Avec une décharge de direction collective et non individuelle, chacun‑e est appelé‑e à partager son temps entre enseignement et prise en charge d’une partie des tâches administratives. Par ce partage des responsabilités qui pèsent pour l’instant sur un‑e individu, la résistance collective aux pressions hiérarchiques est de plus facilitée. Enfin, le renforcement du rôle du conseil des enseignant-es facilite la cohérence des divers projets au sein de l’école, l’élaboration d’outils communs, … ;
• de façon plus pragmatique, la défaillance et l’autoritarisme des directions donnent l’occasion à nombre d’équipes de prouver qu’il est possible de faire fonctionner au moins en partie un établissement scolaire sans eux, voire contre eux. Cela à la seule condition que le collectif de travailleurs et travailleuses parvienne à s’entendre sur un mode de fonctionnement.
Il s’agit donc, partout où c’est possible, de pousser pour une prise en main collective de tous les aspects de l’organisation du travail et des établissements, s’immiscer dans la moindre faille, saisir la moindre occasion de mettre le collectif de travailleurs et travailleuses en capacité de décider et d’agir. L’institution, sur le temps de travail, de concertations portant sur les choix pédagogiques ou sur l’organisation du travail des personnels, leur mise en place avec des ordres du jour décidés par les personnels, peut être un moyen. Dans tous les cas, l’organisation régulière d’assemblées générales ou conseils structuré-e‑s est indispensable. Ces assemblées doivent être des lieux de parole ouverts, respectueux des diverses positions qui existent dans le collectif, et surtout décisionnaires. Enfin, il est tout aussi indispensable de respecter scrupuleusement les décisions qui y sont prises, qu’elles correspondent ou non à nos positions, car c’est la seule manière de donner à ces instances une importance auprès des collègues, une existence réelle et une légitimité.
Pour finir, soulignons que la mise en place de pratiques autogestionnaires sert les luttes car cela permet aux travailleurs et aux travailleuses de s’approprier leur outil de travail, de s’en sentir responsable, de le transformer pour qu’il réponde aux besoins et exigences collectives. Au lieu de perpétuer un système générateur de souffrance, inégalitaire et qui vide de sens nos métiers, ou pire, les formate pour correspondre à l’idéologie de la classe dominante, se battre pour ce qu’on a construit et ce dans quoi on s’est investi devient une évidence.
4. Quelles revendications pour l’autogestion dans le service d’éducation ?
Ce chapitre se concentre principalement sur l’organisation du travail dans les établissements du premier et second degré. Il n’ignore pour autant ni le supérieur, ni les services administratifs dans lesquels une telle réflexion peut s’appliquer, et est déjà amorcée à divers titres dans notre fédération. Il n’ignore pas non plus que réfléchir à l’autogestion dans les établissements scolaires ne peut se faire sans une réflexion d’ensemble sur ce que serait une organisation autogestionnaire dans le service public d’éducation en général, réflexion qui doit tenir compte de la place que les usagers doivent y tenir. En effet, on ne saurait penser tel ou tel établissement autogéré dans un service public fortement hiérarchisé ou centralisé : cela reviendrait à la même contradiction que celle qui conduit des coopératives autogérées à subir malgré leur bonne volonté les effets de concurrence imposés par le marché, et c’est dans cette contradiction que se trouvent certains établissements alternatifs évoqués plus haut ! La problématique à garder à l’esprit est ainsi celle du fonctionnement autogestionnaire du service public d’éducation, avec ses différentes possibilités, sans pour autant évincer le questionnement d’une structuration garante de l’égalité territoriale.
Évaluation des personnels :
Nous revendiquons la suppression immédiate de toute notation des personnels.
L’orientation adoptée au congrès de Montpellier dans le texte « Évaluation des personnels : imposons des alternatives au management ! » est toujours d’actualité.
Réappropriation de la formation continue :
Le contenu de la formation continue doit être choisi et porté par les participant-e‑s, et basé principalement sur l’échange de pratiques. Dans ce cadre, l’administration doit permettre aux participant-e‑s de faire appel à des intervenant-e‑s divers : mouvements d’éducation populaire et d’éducation nouvelle, chercheurs,…
Nous appelons au boycott des formations numériques à distance et des formations imposées par l’institution.
La formation doit être considérée comme un droit et pas une obligation administrative.
Dans l’immédiat, nous revendiquons la possibilité pour les participant-e‑s aux réunions de mouvements se réclamant d’une pédagogie coopérative (ICEM, GFEN, AFL, pédagogie institutionnelle, mouvements d’éducation populaire,…) de faire comptabiliser leurs réunions dans leur plan de formation ou obligations de services.
Soutenir activement la mise en place de structures coopératives autogérées :
Comme préalable à une véritable liberté pédagogique, il s’agit d’en finir avec les hiérarchies. Sud éducation revendique la suppression de la fonction de chef-fes d’établissement dans le second degré, et son remplacement par une direction collégiale composée de personnels issus des différentes catégories et déchargés d’une partie de leur temps de travail habituel, dans le cadre d’une démocratie directe, mandataire et partagée, comme exposée dans ce texte.
L’administration doit reconnaître le statut d’établissement autogéré et la direction collégiale d’école. Dans l’immédiat les co-directions d’écoles doivent être permises par l’administration, par l’attribution de décharges aux écoles et non à des individus. Cette gestion de la décharge par l’équipe pédagogique permet de la répartir entre une et plusieurs personnes : c’est l’équipe qui se partage les tâches qu’elles soient administratives ou pédagogiques.
Cela passe également par la reconnaissance du pouvoir de décision des conseils de personnels et d’usagers (professeur-e‑s, agent-e‑s, assistant-e‑s, élèves et parent-e‑s d’élèves). Ces conseils, de droit, peuvent revendiquer l’autonomie dans l’utilisation des moyens financiers publics.
Les personnels doivent bénéficier de temps banalisés collectifs sur le temps de travail pour organiser la vie démocratique des écoles et établissements : assemblées générales, conseils,… Ces instances démocratiques doivent être institutionnalisées et renforcées : une fréquence hebdomadaire semble indispensable pour en faire un lieu d’in formation, d’échanges, de débats, mais aussi un lieu de prise de décisions relatives à la vie des établissements. Dans le premier degré, afin de permettre une rotation des tâches sur différentes plages ou journées (enseignement, tâches administratives, participation aux réunions avec les partenaires de l’école, lien avec le personnel municipal,…) nous revendiquons 5 enseignant-e‑s pour 4 classes. Donc, de fait, nous revendiquons pour les Professeurs des écoles 18h + 6 (18h devant élèves et 6h pour concertation).
Dans le second degré, pour les enseignant-e‑s, afin de permettre un véritable travail en équipes interdisciplinaires, et décloisonner les matières, nous revendiquons une prise en compte d’un temps de travail hors élèves : 14 h de cours plus 3 h en Collège (pour les PE, les agrégés, les certifiés).
Dans le premier et le second degré, nous revendiquons une baisse du temps de travail à 32 heures pour tous les personnels annualisés, en intégrant tous les personnels dans un fonctionnement collégial.
Afin de favoriser une nouvelle organisation de l’école, tant dans nos pratiques pédagogiques que dans l’organisation de la classe, nous revendiquons la mise en place de maxima d’élèves par classes.
D’un point de vue pratique et syndical, il faut multiplier les stages de formation syndicale ouverts à tous les personnels sur le thème de l’autogestion des établissements et écoles. La Fédération s’engage à accompagner les personnels qui souhaitent s’inscrire dans de tels projets :
• En mutualisant les outils, les expériences, les contacts de personnes ressources ;
• en intervenant si besoin face à l’administration et/ou auprès des collègues dans les établissements et écoles (par exemple : stage d’école ou d’établissement avec intervenant-e‑s de Sud éducation ) ;
• en organisant des stages fédéraux sur ce thème.
Tous les syndicats qui le souhaitent pourront s’inscrire dans cette dynamique de formation.
II. Pourquoi Sud éducation doit-il s’intéresser davantage aux pédagogies coopératives ? L’autogestion du point de vue des élèves.
Les pédagogies coopératives sont porteuses d’un modèle éducatif émancipateur dont nous nous revendiquons et c’est la raison pour laquelle nous nous y référons dans un grand nombre de textes (voir notamment les derniers sortis sur les rythmes scolaires et les statuts du second degré), pourtant nous ne sommes pas porteurs de revendications syndicales qui s’y rapportent et ceux qui les expérimentent le font à titre individuel. On assiste donc à une sorte de contradiction qu’il est nécessaire de dépasser. En effet nous souhaitons souvent que notre action ne soit pas uniquement défensive et pourtant nos textes de propositions restent très succincts vu le manque d’accord et de réflexion sur les questions pédagogiques : comment avoir de réelles propositions si nous ne faisons pas de vrais choix concernant l’école que nous souhaitons ?
La contradiction n’est pas uniquement syndicale mais aussi au sein de nos pratiques pédagogiques : si la plupart d’entre nous ne défendent pas les pédagogies coopératives ils ne défendent pas non plus la pédagogie qui est induite par l’école telle qu’elle existe aujourd’hui ! Or cela ne se perçoit pas nécessairement dans les pratiques, de telle sorte qu’entre ce que l’on défend et ce que l’on dit, on peut assister à de grands écarts qui sont porteurs de souffrance si on s’en rend compte et de forte illusion si on a laissé cette question aux oubliettes. La contradiction est peut-être moins forte dans le premier degré que dans le second et chaque professeur peut avoir dans sa classe des pratiques qui rompent avec le système mais on ne peut nier que la pédagogie dominante à laquelle nous avons été formé-e‑s est nécessairement là pour reproduire le système. Il semble donc logique qu’un syndicalisme de rupture en fasse la critique et amène une subversion des pratiques.
En effet la dissociation entre pédagogie et syndicalisme est relativement récente et n’est pas légitime : le syndicalisme révolutionnaire était porteur d’un modèle pédagogique émancipateur et les pédagogies coopératives en sont l’héritage.
Politique et pédagogie n’ont pas à être séparées. Ne dit-on pas à Sud éducation « Une autre école pour une autre société » ? Cela ne veut-il pas dire qu’un projet politique et syndical est aussi un projet pour l’école et qu’il n’y a pas de vrais projets pour l’école sans penser un changement politique ?
Il semble bien que la dissociation actuelle soit fort nocive car à vouloir faire de la pédagogie sans politique, on édulcore les projets émancipateurs à un tel point qu’on leur fait perdre leur âme : c’est ce que font les organisations syndicales co-gestionnaires et les réformes gouvernementales qui se contentent de reprendre la facture extérieure des pédagogies coopératives sans mettre les moyens adéquats mais surtout en se débarrassant du projet politique qui lui donnait du sens et en le remplaçant par un tout autre projet politique. On sait combien les libéralismes de tout poil ont des capacités à détourner et à utiliser des idéologies et des discours qui leurs sont pourtant contraires, cela ne doit pas être un argument suffisant pour les mettre de côté.
Si le syndicalisme que nous défendons ne se contente pas de défendre les personnels mais est aussi porteur d’un projet de changement social, on voit mal comment il peut éviter de s’intéresser aux pédagogies qui se sont fondées sur un tel changement.
Les théories et pratiques pédagogiques coopératives semblent globalement correspondre à ce que nous défendons ou peuvent être l ’ occasion de revendications qui vont dans ce sens.
En annexe, des exemples des principes de mouvements pédagogiques coopératifs mis à l’épreuve de nos fonctionnements et revendications syndicaux.
Des possibilités nouvelles de syndicalisation et de combat militant
Cela fait trois ans maintenant que Sud éducation (accompagnée de la CNT et de mouvements de pédagogie coopérative) organise des stages fédéraux sur les pédagogies coopératives et leur succès est manifeste : ils ont compté jusqu’à 350 inscrits ! Nous devons utiliser l’attrait que ces pédagogies suscitent chez les collègues. Dans une période où le syndicalisme de lutte peine à s’élargir, où le milieu enseignant semble se morfondre dans le défaitisme et la nostalgie d’une école républicaine qui relève plus du mythe que de la réalité, les pédagogies coopératives offrent une possibilité de militer nouvelle et pleine de dynamisme. Bien sûr cela ne peut se substituer à nos autres combats mais seulement s’y rajouter. Par ailleurs si notre engagement syndical se manifeste au sein même de nos pratiques, nous serons plus lisibles pour nos collègues et cela permettra de constituer des équipes militantes et pédagogiques plus facilement.
Quelles revendications autour des pédagogies coopératives ?
En premier lieu, nous revendiquons la liberté pédagogique et des programmes adaptés à celle-ci :
• Des programmes qui favorisent l’expérimentation , l ’ esprit critique , l a coopération, la démocratie à tous les niveaux dans l’école, la classe…
• des programmes qui ne hiérarchisent pas les domaines de connaissance (abandon du socle commun, réaffirmation de l’importance de toutes les disciplines) ;
• du temps pour les pratiques artistiques, culturelles et sportives.
Dans l’immédiat, tout personnel s’impliquant dans un projet coopératif (de classe, d’école, d’établissement) a droit à une pondération de ses obligations de service pour dégager le temps nécessaire à la concertation aussi bien pour la mise en place que pour le fonctionnement desdits projets.
Toujours dans l’immédiat, ces personnels peuvent bénéficier ponctuellement de temps supplémentaire pris en compte (décharges ponctuelles, temps de formation d’école ou d’établissement, etc…). Ces temps sont bien entendu en dehors de toute supervision hiérarchique et utilisés pour les projets coopératifs.
D’un point de vue pratique et syndical, il faut multiplier les stages de formation syndicale ouverts à tous les personnels sur le thème des pédagogies coopératives. La Fédération s’engage à accompagner les personnels qui souhaitent s’inscrire dans de tels projets :
• En mutualisant les outils, l e s expériences, les contacts de personnes ressources ;
• en intervenant si besoin face à l’administration et/ou auprès des collègues dans les établissements et écoles (par exemple : stage d’école ou d’établissement avec intervenant-e‑s de Sud éducation ) ;
• en organisant des stages fédéraux promouvant les différentes pédagogies coopératives, en lien avec les mouvements, ainsi que des stages centrés sur l’échange des pratiques pédagogiques ;
• en élaborant un matériel (brochure, …) à destination des tou-te‑s les personnels de l’Éducation nationale en vue de populariser les pratiques pédagogiques émancipatrices et de revendiquer les moyens humains et matériels nécessaires à leur mise en œuvre. La revendication de la hausse des moyens est nécessaire à l’amélioration de nos conditions de travail mais aussi à celle de nos pratiques pédagogiques.
Néanmoins les pratiques coopératives ne s’arrêtent pas à la sortie de la classe : Sud Éducation revendique l’implication de tou-te‑s les personnels dans l’apprentissage des élèves. Les équipes de Vie Scolaire et les équipes d’animation péri-scolaire ou encore les personnels administratifs, techniques, de santé et sociaux doivent être impliqués dans un projet pédagogique émancipateur. Parce que tou-te‑s les travailleur-euse‑s sont détenteur/trices‑s de savoirs, on peut imaginer l’élaboration de projets coopératifs avec tous les personnels enseignants ou non enseignants. Nous participons tou-te‑s à l’éducation des élèves dans les classes mais également sur tous leurs temps de présence dans les écoles et établissements scolaires.
Tous les syndicats qui le souhaitent pourront s’inscrire dans cette dynamique de formation.
De plus, une rubrique « pédagogies coopératives » est développée sur le site fédéral, visible et accessible sur la page d’accueil et alimentée par les syndicats (compte-rendus de stages, matériel pédagogique, etc.).
Enfin, on ne peut envisager les pédagogies coopératives et l’autogestion sans avoir une réflexion de fond sur l’évaluation des élèves ainsi que sur l’école polytechnique. Au sein de la fédération doivent s’engager des débats concrets sur ces questions.
Dans l’immédiat, Sud éducation revendique moins d’évaluation et une évaluation uniquement formative.
III. Autogestion et coopération : pourquoi et comment lier les deux ?
En conclusion, revendiquer l’autogestion des personnels tout en maintenant les élèves dans un rapport de soumission à l’adulte et de fonctionnement autoritaire et arbitraire nous semble une contradiction majeure qu’il faut dépasser. C’est pourquoi la Fédération Sud éducation doit impulser une dynamique générale autour de ces questions et les lier.
Une grande campagne de stages autour des questions d’autogestion et de coopération est organisée par la Fédération Sud éducation , à l’image de la campagne de stages sur les conditions de travail.
La commission « Quelle école ? » a pour mandat supplémentaire de coordonner et de dynamiser ces différents stages et d’aider les syndicats à les mettre en place, à l’image de la commission fédérale « Et voilà le travail ! ».
Annexe :
L’exemple de la pédagogie Freinet
• Une pédagogie de l’expression, de l’élève auteur et autonome.
Un des traits principaux de cette pédagogie est de faire de l’élève l’auteur de son apprentissage (même si la présence du maître/de la maîtresse est indispensable), chaque enfant est donc traité‑e comme étant capable de savoir et d’apprendre à égalité avec tous/toutes les autres : il semble bien que ce soit la base d’une démocratie réelle. Cela permet de ne pas instituer une figure autoritaire du maître/de la maîtresse qui sait tout et de ne pas faire des citoyens/citoyennes qui attendront la parole d’expert-es notamment en matière politique.
L’élève choisit donc ce qu’il/elle va étudier au sein d’un plan de travail et se lance dans une recherche documentaire préparée par le/la professeur‑e ; il/elle est auteur‑e de textes, de colloques, d’exposition, de performance et il/elle travaille selon un plan qui est fixé en commun avec le/la professeur‑e.
Il semble bien que cela aille de paire avec nos revendications autogestionnaires et de refus de la hiérarchie.
• Une pédagogie de la démocratie
La pédagogie Freinet mais aussi la pédagogie institutionnelle donnent une grande place à la décision en commun et au partage des tâches de la petite communauté : les élèves décident des règles collectives ainsi que des projets qu’ils/elles veulent mener et résolvent ensemble les confits. Or dans l’école telle qu’elle existe et notamment lorsque les élèves sont presque adultes, on les maintient dans une tutelle qui les laisse ensuite désemparé-e‑s dans le supérieur et construit ensuite des citoyen-ne‑s passif-ve‑s pour la plupart.
Là aussi l’autogestion et la démocratie semblent des fondements communs entre nos syndicats et ces mouvements. Il est donc logique que nous défendions pour les élèves une extension de leurs pouvoirs de décision : on sait par exemple que les organes de démocratie qui existent dans le second degré sont purement fantoches (Le Conseil de Vie Lycéenne).
• Une pédagogie de la coopération
Si la pédagogie Freinet est une pédagogie de l’expression, elle n’est pas individualiste comme l’est notre système : en effet il ne s’agit pas de mettre en concurrence les élèves notamment en les évaluant pour les hiérarchiser mais de développer la coopération entre ceux/celles qui savent et ceux-celles qui ne savent pas mais aussi en leur faisant construire des projets en commun et en développant l’apprentissage mutuel.
C’est ainsi que les élèves en pédagogie Freinet construisent ensemble des projets interdisciplinaires ; ils/elles travaillent en petits groupes hétérogènes en âge et en compétence. L’évaluation se fait en commun avec l’élève sous la forme d’un entretien ou de manière collective lorsque les élèves disent ce qu’ils/elles pensent d’un des travaux de leur camarade.
Sud éducation doit se prononcer pour moins évaluer et pour une évaluation formative. Il faut tenir toujours les deux bouts, à la fois critiquer l’évaluation par les compétences telle qu’elle est mise en place mais ne pas oublier de critiquer ce qui existe autrement dit l’évaluation par les notes (qui en plus d’être stigmatisante, n’est qu’une évaluation à un moment t et pousse du coup à un apprentissage à très court terme).
• Une École pour tous et toutes
Freinet écrivait pour les prolétaires et sa pédagogie s’inscrit dans un contexte de révolution sociale et politique. Nous ne sommes malheureusement pas dans un tel contexte et les pédagogies ne peuvent se substituer à la politique : la pédagogie seule ne pourra changer la société et il serait bien illusoire de le penser. Cela dit les pratiques pédagogiques ne sont pas neutres non plus en matière d’inégalités. L’école française est une des plus inégalitaires, plus inégalitaire encore que dans certains pays où le privé est très développé ! Ce constat doit nous poser problème.
Les pratiques dominantes contribuent à cette reproduction des inégalités mais on ne pourra pas, par la pédagogie abolir les inégalités présentes dans la société, peut- être peut-on essayer alors au moins de ne pas les reproduire ! Faire vivre, durant leurs années d’école, de collège, de lycée, et d’université des pratiques égalitaires peut aussi contribuer à ce que ces adultes-là acceptent moins les inégalités de la société et les combattent.
Contrairement à ce que l’on entend parfois ces pédagogies ne fonctionnent pas seulement avec des publics aisés : les écoles Freinet présentes dans les milieux populaires montrent que les résultats officiels sont nettement supérieurs à ceux de même milieu dans l ’école traditionnelle et on ne peut évaluer les acquis de ces pédagogies seulement en matière de notes, ce serait un comble. Cela dit, on ne dépasse pas complètement les inégalités car cela voudrait dire que l’on parvient par la pédagogie à modifier la structure de classe, ce que l’on a déjà réfuté précédemment.
Qu’est-ce qui est modifé sur ce point par les pratiques coopératives ? L’absence de note évite de stigmatiser les difficultés et d’assigner à un élève une identité négative ; il semble bien que la personnalisation du travail permette également de mieux prendre en compte les difficultés spécifiques de chacun. Sur ce point on peut reprendre la critique du modèle républicain : le fait de traiter les élèves à égalité contribue à reproduire les inégalités puisque la situation de départ n’est pas égalitaire. Cela signifie alors que la personnalisation ne doit pas être refusée en bloc mais qu’elle peut être un moyen de revaloriser l’élève et de répondre à ses besoins spécifiques. Toutefois, nous ne devons pas oublier que la mutualisation des pratiques entre élèves est une démarche qui peut leur permettre d’être dans des activités identiques tout en profitant des acquis des uns et des autres. C’est à plusieurs qu’on apprend à faire tout seul.
Il semble bien aussi qu’un autre chantier de réflexion doit être mené sur la valorisation des compétences techniques et artistiques qui sont largement dévalorisées dans l’école traditionnelle : nous parlons de « collège polytechnique » dans nos textes mais cette notion reste bien floue. En revalorisant les compétences techniques qui sont plus fortes dans les milieux populaires et donc en valorisant dans l’école « le faire » et pas seulement le savoir, on contribuerait à réduire la hiérarchie entre le professionnel, le technique et le général et ainsi promouvoir un modèle de société où toutes les capacités seraient valorisées. En pédagogie Freinet une place importante est laissée aux enseignements technologiques et artistiques. Sud éducation doit revendiquer la disparition de cette scission et la revalorisation des compétences techniques dès l’école primaire.
Motions d’orientation sur la syndicalisation et le développement dans le supérieur
Motions : ces motions sont des vœux et ne pourront pas statutairement s’imposer aux syndicats locaux qui décident de leur organisation interne. Cependant, elles permettent de donner un cadre référent non imposable, mais souhaitable.
Motion I/Sections ESR
1/La fédération des syndicats Sud-Éducation favorise le travail syndical de groupes d’adhérent.e.s des syndicats dans les établissements d’enseignement supérieur et de recherche, appelés sections.
2/Les sections Sud-Éducation dans l’ESR peuvent regrouper des militant.e.s de différents départements. Tous les camarades d’une section peuvent appartenir s’ils/elles le souhaitent à un seul et même syndicat même s’ils/elles travaillent dans des départements différents.
3/Afin de faciliter la réactivité et l’action sans lourdeur ni méfiance a priori, une section peut agir si nécessaire sans accord du syndicat concerné, mais en respect avec la ligne politique qui y est définie et en rendant ensuite des comptes de son activité.
4/Toute section se donne les moyens d’assurer sa présence dans les instances décisionnelles du syndicat (AG) et fait des comptes-rendus d’activité lors de ces AG.
Motion II/Relations avec Solidaires-Étudiant-e‑s
1/La Fédération Sud-Éducation favorise les échanges et actions avec Solidaires-Étudiant-e‑s.
2/Les sections Sud-Éducation dans l’ESR cherchent à aider au développement de Solidaires-Étudiant-e‑s. Inversement, quand Sud-Éducation n’est pas implanté dans une université où il existe un syndicat Solidaires-Étudiant-e‑s, le syndicat met à sa disposition du matériel de Sud-Éducation pour qu’il puisse être communiqué aux contacts que le syndicat Solidaires-Étudiant-e‑s a parmi les personnels de l’établissement.
Faisons appliquer le droit du travail par notre employeur-euse
Lors des congrès précédents de Cherbourg et Montpellier, la fédération SUD éducation s’était donné comme objectifs :
• de contraindre l’employeur à organiser les visites médicales de prévention et du travail,
• de généraliser la fourniture et l’usage des équipements de protection individuelle (EPI),
• de mettre en place et d’utiliser les Registres de Santé et de Sécurité au Travail (RSST), ainsi que le Registre de Danger Grave et Imminent (RDGI)
• d’agir contre les risques psychosociaux (RPS) constitutifs de souffrance au travail,
• d’agir contre les risques routiers…
• d’obtenir des conditions de travail adaptées, garantes de la santé des personnels.
Les syndicats de la Fédération ont travaillé à partir de ces orientations et des avancées sont constatées quant à :
• la mise en place et l’usage des RSST ; le ministère, au travers du CHSCTM (comité hygiène sécurité et conditions de travail ministériel), inscrit maintenant ces préconisations, présentées sous forme « d’orientations stratégiques », dans ses instructions de rentrée aux recteurs. Il reste encore un long chemin à parcourir pour que l’usage du RSST soit efficient ;
• la mise à jour annuelle, ou après un accident, du Document Unique d’Évaluation des Risques (DUER) et du Plan de Prévention. Cette mise à jour est d’autant plus importante que les Risques Psycho-Sociaux font depuis 2012 partie intégrante des DUER (accord cadre).
• la récupération du pouvoir d’agir des salarié-e‑s par l’usage de ces pratiques ; l’action syndicale se développe, s’articule autour de celles-ci, dynamisant les équipes.
• la reconnaissance de suicides imputables au service, quel que soit le lieu du suicide.
Ce travail s’est appuyé notamment sur la formation syndicale des personnels et l’action des représentant-e‑s en CHS et CHSCT, en liaison avec leur syndicat. En effet, la lutte passe par l’articulation de l’action des travailleuses et travailleurs sur le terrain avec celle des représentant-e‑s et des syndicats.
La fédération SUD éducation s’est impliquée dans cette démarche par une campagne offensive de stages de formation syndicale (locaux et nationaux), par la rédaction et la diffusion d’une brochure « Et voilà le travail », par la mise en place d’un groupe de travail Tripalium maintenant devenu commission « Et voilà le travail » , sans oublier la participation à la commission « conditions de travail » de Solidaires, qui est nécessaire pour ancrer ce travail dans une vision interprofessionnelle d’amélioration des conditions de travail et de mutualisation des luttes, notamment grâce au mensuel « et voilà … » qui est un « Petit bulletin des conditions de travail et de la santé au travail pour les équipes syndicales ».
Il ne s’agissait là que d’une étape. La fédération SUD Éducation et l’ensemble des syndicats devront développer ces pratiques. Mais d’autres orientations découlent de ces avancées. Il faut maintenant construire si possible en intersyndicale le rapport de force nécessaire pour imposer l’application du droit du travail.
Pour dénoncer les conditions de travail dégradées et voir se développer d’efficaces politiques de prévention des risques, la fédération SUD Éducation devra s’attacher à :
Continuer à généraliser la campagne de demande de visites médicales de prévention ou du travail ;
Mettre en évidence via les registres les conditions de travail dégradées et permettre des avancées significatives dans le respect du code du travail ;
Contrôler l’application par la hiérarchie du décret 82 – 453 du 28 mai 1982 et des articles L 4121 – 1 et suivants du code du travail [1] ;
• demander l’imputabilité au service pour tous types d’accidents y compris ceux liés à la souffrance au travail pour contraindre la hiérarchie à les reconnaître ;
• accompagner les personnes concernées tout au long de ces démarches longues et moralement coûteuses ;
• exiger que les enquêtes après accident (méthode de l’arbre des causes), qui sont de droit, soient enfin réalisées. Elles doivent permettre, d’une part, une réparation aux victimes à hauteur des préjudices subis, un retour au travail dans de meilleures conditions, et d’autre part, la prévention nécessaire pour éviter à l’ensemble des personnels la survenue de ces accidents. Il faut absolument éviter un retour au travail dans les conditions pathogènes qui ont conduit à l’accident ;
• dénoncer dans les rapports d’orientations stratégiques du Ministère de l’Éducation Nationale ce qui bafoue le code du travail ;
• lancer une campagne pour la remontée des RSST auprès des représentant-e‑s en CHSCT ;
• exiger la transformation des CHS des EPLE en CHSCT et l’instauration de CHSCT aux niveaux déconcentrés pour le primaire (un par circonscription par exemple)
• amplifier la formation afin de créer un maillage syndical de lutte (dossier d’accident de service, accompagnement aux commissions de réforme…) ;
• organiser des conférences de presse sur les sujets comme le suicide, le radon, l’amiante, la pollution électromagnétique, …
A travers ces outils dont chacun‑e peut et doit se saisir, la Fédération SUD éducation se donne les moyens de réagir et d’agir dans toutes les circonstances, pour tous les personnels et en créant du collectif, base nécessaire à toute action syndicale. Il est nécessaire de dépasser la posture défensive pour construire une démarche de lutte collective et de transformation sociale.
La fédération revendique l’amélioration des conditions de travail des personnels au-delà des préconisations du MEN et des rectorats, lesquels œuvrent à limiter autant que possible le pouvoir des instances comme le CHSCT, réduit à un simple organe de diffusion d’information. A nous d’en faire des lieux de décision et d’orientation des politiques de prévention.
[1] « L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent :1°) Des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail ;2°) Des actions d’information et de formation ;3°) La mise en place d’une organisation et de moyens adaptés. L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes »
Combattre la hiérarchie : un axe majeur du syndicalisme de lutte
a domination capitaliste impose aux prolétaires la soumission à la sacro-sainte hiérarchie. Loin d’être une force émancipatrice, capable de soustraire les individus à une telle oppression, l’école, de la maternelle à l’université, tend en réalité à reproduire cette domination par sa structure hiérarchisée et son fonctionnement hiérarchique. Or en quelques années, cette tendance s’est fortement accentuée : les pressions hiérarchiques ont été renforcées par des chefs recrutés dans l’administration publique ou privée et formés aux pratiques managériales ; la liberté pédagogique des enseignants a été restreinte au nom d’impératifs communs toujours plus nombreux ; et l’informatique est devenu l’outil d’un flicage généralisé.
Le risque de reproduction spontanée des structures hiérarchiques
Dans l’école, les relations hiérarchiques ont tendance à se reproduire sur trois plans différents : le plan catégoriel, le plan institutionnel et le plan pédagogique.
Sur le plan catégoriel, des relations hiérarchiques s’établissent trop souvent, à l’insu ou non des personnels, entre des individus appartenant à différentes catégories (institutionnalisées ou non) : entre les enseignants et les parents d’élèves ; entre les enseignants et les agents techniques ; entre les chefs de cuisine et « leurs » agents ; entre un tuteur et son stagiaire ; entre les anciens et les nouveaux (les débutants, en particulier) ; entre les titulaires et les précaires ; entre les titulaires en poste et les titulaires-remplaçants ; entre les agrégés et les certifiés ; entre les professeurs, les maîtres de conférence, les PRAG, les ATER, les allocataires-moniteurs et les chargés de cours, à l’université ; entre les CPE et les surveillants ; entre les directeurs et les professeurs des écoles, entre les professeurs des écoles et les ATSEM ; entre les PE, les directeurs et les AVS ; entre les directeurs et les aides administratifs ; etc.
Sur le plan institutionnel, la participation aux différentes instances de gestion des établissements induit également l’instauration plus ou moins consciente de relations hiérarchiques : dans l’enseignement secondaire, le fait de siéger au Conseil pédagogique, conçu comme une structure d’encadrement et de relais du pouvoir des chefs d’établissement, transforme certains collègues en de véritables « cadres » au service de la direction ; le titre pompeux de coordonnateur de discipline en incite d’autres (qui sont souvent les mêmes) à se comporter comme de « petits chefs » ou des « contremaîtres » ; et les élus au CA prennent trop souvent leur élection pour une délégation de pouvoir qui leur confère le droit de s’exprimer au nom de leurs collègues. Dans le premier degré, cette reproduction des structures hiérarchiques s’installe insidieusement avec un conseil des maitre-sse‑s de moins en moins (re)connu par l’institution comme lieu de décision collective.
Sur le plan pédagogique, l’adhésion spontanée au modèle dogmatique et l’autorité disciplinaire dont sont investis les enseignants les incitent à concevoir la relation pédagogique qu’ils entretiennent avec les élèves comme un mode de domination.
Combattre la hiérarchie à l’école
On dispose de deux moyens pour combattre la hiérarchie à l’école : la pratique quotidienne et les revendications syndicales.
Du point de vue de la pratique syndicale quotidienne, nous devons développer le mode de fonctionnement autogestionnaire dans les équipes pédagogiques, donner l’exemple dans les réunions d’information syndicale et les AG décisionnelles pendant les luttes ; mais aussi lutter concrètement contre les pressions hiérarchiques : refus des tâches supplémentaires arbitrairement imposées par les chefs, refus des missions particulières proposées dans le 2nd degré, refus d’inspection, élaboration de réponses collectives, accompagnement systématique des collègues qui doivent rencontrer la hiérarchie, etc. Pour ne pas risquer de reproduire spontanément les structures hiérarchiques, nous devons encore refuser le tutorat (nous aiderons certes les collègues qui débutent, mais ne participerons pas à leur évaluation) ou le remplissage du livret de compétences, boycotter le Conseil pédagogique. Nous pouvons aussi boycotter le CA selon le contexte local.
Du point de vue des revendications syndicales, nous devons exiger la destruction pure et simple du système hiérarchique qui structure l’école. Celle-ci passe par l’obtention d’un statut unique pour tous les travailleurs de l’éducation (plus de relations hiérarchiques) ; un salaire unique aligné sur les conditions les plus favorables (plus d’échelons, plus d’évolution de carrière) ; un temps de travail unique, lui aussi aligné sur les conditions les plus favorables (avec embauches correspondantes) ; et la suppression de toute notation et de toute inspection.
On ne peut défendre l’École contre le fascisme sans combattre le capitalisme !
La lutte contre le racisme s’articule avec la lutte contre le fascisme. Le racisme peut être compris comme un système social et économique de domination d’un groupe majoritaire sur un groupe minoritaire ayant pour effet la production de groupes « racisés ». Il n’est pas l’apanage des milieux fascistes, même si les milieux fascistes sont des propagateurs d’une idéologie qui légitime le système raciste. Le fascisme quant à lui est une idéologie mettant en avant la grandeur et la primauté d’une communauté par rapport aux autres. Son objectif est de sauver cette communauté, supposée victime de la décadence de la société. Il poursuit cette objectif selon deux modalités : par la mise en place d’un système d’autorité et d’encadrement soudée derrière l’autorité d’un chef et par le renforcement de l’unité et de la pureté de ladite communauté. Ces deux systèmes sont imbriqués et sont donc intimement liés. Le texte et les revendications qui suivent s’articulent donc avec le texte intitulé « Contre le racisme d’Etat, une école pour toutes et tous ».
La gangrène se répand
Des « manifs pour tous » aux résultats des dernières élections, les réactionnaires et les extrémistes de droite de toutes sortes gagnent du terrain. L’École, partie intégrante de la société, n’est pas épargnée. En témoignent la montée récente des syndicats de droite aux élections professionnelles, la création du collectif Racine (« les enseignants patriotes », collectif d’enseignant-e‑s affilié-e‑s au FN, qui veut lutter pour le « redressement de l’école » en prônant une école élitiste du tri social), ou encore les JRE (Journées de Retrait de l’École ; groupe de parents d’élèves dans le sillage de la Manif pour tous recyclée dans la lutte « anti-gender », qui s’est emparé de la lutte contre les ABCD de l’égalité et entend à présent faire pression sur l’ensemble des contenus d’enseignement) contre une prétendue « théorie du genre », qui se sont propagées rapidement et ont parfois surpris par leur ampleur des collègues démuni-e‑s. Et les attaques réactionnaires contre l’École ne font que commencer. Forts de leur réussite, les activistes des JRE ont fondé la FAPEC (Fédération Autonome de Parents Engagés et Courageux, qui revendique le retour au ministère de l’instruction publique), parmi ses objectifs : former les parents d’élèves de l’école primaire au lycée, avec un « pôle formation » pour enseigner la méthode syllabique et dispenser des stages de grammaire, d’orthographe, de calculs et d’histoire ; formations en histoire aux lycéens (France des Rois avec des personnages décisifs comme Clovis, Saint Louis ou Jeanne d’Arc), aider les adolescents à se défendre de cette période qui les entraîne vers un abîme intellectuel et un abîme concernant leur identité sexuelle, lutter contre le nouvel ordre mondial, contre la « théorie du genre », donner une alternative à l’Ecole de la République qui, après avoir séparé les enfants de dieu, veut les séparer de leur famille. La finalité de la FAPEC n’est pas tant d’agir pour transformer l’école que d’en extraire les enfants et de s’y substituer. C’est pourquoi elle encourage de plus en plus de parents à choisir soit l’instruction à domicile soit les écoles hors contrat, restaurer la France chrétienne dont nous avons besoin… Car au delà de l’école, il s’agit d’imposer un véritable projet global de société profondément inégalitaire basée notamment sur la complémentarité des sexes et l’inégalité fondamentale dans le domaine privé pour un retour à un ordre social pré-établi.
Ces idées véhiculées par des partis et des réseaux de plus en plus organisés et séducteurs s’invitent dans de nombreux foyers. Internet (les sites web, les blogs, les réseaux sociaux, …) est devenu un vecteur puissant de leur propagation et les médias de masse, à la recherche de sensationnel, ouvrent grand leur porte au Front National et consorts. L’avancée des idées d’extrême droite, racistes, néo-nazies, des fondamentalistes religieux de toutes obédiences n’est pas un accident marginal ni un « défaut » de la république, mais un fruit de la crise sociale. La politique actuelle leur ouvre un boulevard. Les travailleurs/euses qui se sentent trahi-e‑s par un gouvernement « de gauche » qui diminue les droits sociaux, fait des cadeaux au patronat, mate les mouvements sociaux, expulse les camps de Roms… faute d’autre alternative, peuvent tomber dans les pièges d’un discours faussement social ou extrémiste religieux.
L’École de la république, au service du capitalisme, est le terreau des violences sociales.
Face à ces menaces, la résistance doit s’organiser à l’École comme dans la société toute entière. Pour SUD éducation, il est illusoire de croire que l’École de la République constitue un rempart contre ces idées nauséabondes. Au contraire, depuis sa création, les valeurs qu’elle promeut constitue le terreau de tous les sectarismes et de la violence sociale. La méritocratie et l’élitisme républicain conduisent les jeunes à penser qu’il y a dans la société les méritant-es et les autres, et justifient l’exclusion de celles et ceux qui échouent à l’école, ainsi que la constitution d’une élite dont la société aurait besoin. Ces concepts sont à la base d’un système éducatif très inégalitaire. Contrairement aux idées reçues, l’ « École de la IIIème république [1] », édifiée après l’écrasement de la Commune de Paris en 1871, n’a pas été mise en place pour le bien des classes ouvrière et paysanne, mais, d’une part, pour affaiblir le poids très important des congrégations religieuses dans l’instruction et dans les mentalités1 (voir note de bas de page), d’autre part pour servir les besoins du capitalisme montant de la fin du XIXe siècle : former des ouvrières et des ouvriers sachant lire, écrire et compter. Ces apprentissages fondamentaux, s ’ils favorisaient de manière décisive l’accès à la lecture et aux savoirs d’un plus grand nombre, s’inscrivaient d’emblée dans le cadre d’un formatage disciplinaire et idéologique visant la soumission aux classes dominantes et à leur État, l’hégémonie de la langue française, les concepts de patrie et de colonialisme et la formation de soldats prêts à mourir pour récupérer l’Alsace et la Lorraine et faire régner l’ordre dans les colonies. De même, les orientations apparemment plus humanistes d’après-guerre, sous couvert de donner une place plus importante aux valeurs d’épanouissement et de « citoyenneté », ont amené la mixité garçons-filles dans les écoles et l’allongement du parcours scolaire du plus grand nombre, tout en tentant, en faisant le grand écart avec les discours tout frais sur l’anti-fascisme et la libération nationale, de continuer » l’oeuvre civilisatrice » dans les territoires colonisés. Les exigences capitalistes de compétitivité, de concurrence ou encore d’employabilité ont de tout temps pris le pas sur les valeurs éducatives et émancipatrices. L’École devient alors un lieu de sélection et de formation de futur-es salarié-es, les moins performant-es ou les plus récalcitrant-es n’ayant pour horizon que chômage et précarité.
Nos propositions
SUD éducation sait que les problèmes de l’École de ceux de la société, c’est pourquoi nous défendons le projet d’ « d’une autre école, d’une autre société ». Les valeurs éducatives de cette École sont la solidarité, l’émancipation, l’épanouissement et la coopération. Les moyens pour les concrétiser sont un même enseignement polytechnique pour tous [2] de la maternelle au lycée. Mais ce projet n’a de sens que dans le cadre d’une transformation de la société, imprégnée elle aussi de ces valeurs.
Sud Éducation considère que le personnel d’éducation doit tout faire pour armer de savoir la jeunesse, ouvrir les esprits contre cette société en décomposition avancée, déconstruire le discours de ceux qui la dominent encore et de ceux qui voudraient la dominer. Le personnel d’éducation ne peut rester neutre face au fascisme montant, face aux tentatives pour asservir les parents et la jeunesse des quartiers populaires avant tout autres car ce sont elles et eux les plus discriminés, les plus rejetés, elles et eux pour qui l’École de la république n’est qu’un lieu de sélection, d’élimination, de racisme qui les amène parfois à commettre des actes fortement symboliques, comme la destruction par l’incendie des écoles, gymnases, bibliothèques… Une telle neutralité apolitique transformerait en un couteau sans manche, tous les efforts d’enseignement et d’éducation libérateurs. Face aux agressions contre le savoir et les élèves, qu’elles viennent du pouvoir, des fondamentalistes religieux ou de l’extrême ou ultra-droite, notre syndicat ne se replie pas sur l’école de Jules Ferry, il refuse d’asservir l’éducation aux besoins du capitalisme ou des idéologies à la volonté hégémonique. Nous savons que les meilleures des pédagogies ou les adultes les plus motivé-e‑s ne suffiront pas pour convaincre nos élèves les plus en difficulté, celles et ceux qui en ont le plus besoin, de l’utilité du savoir.
C’est pourquoi SUD éducation dénonce l’imposture sociale des divers mouvements d’extrême droite et/ou réactionnaires qui ne s’attaque pas aux véritables causes de la fracture sociale que sont la compétition permanente et la concurrence entre les diverses catégories de travailleuses et de travailleurs, les aggrave en y superposant différenciation et antagoniste entre nationalités, genres, spiritualités et religions, couleurs de peau, identités et/ou orientations sexuelles mais que nous dénonçons aussi les « républicains » des gouvernements successifs qui prétendent représenter le peuple et la démocratie en répétant qu’il n’y a pas d’alternative (« TINA » [3]) à la politique libérale et en bafouant les votes quand le résultat leur déplait [4] ou en les empêchant (loi Macron, février 2015). Ce mépris de la classe dominante, que constitue les capitalistes et les gouvernements qui les servent, nourrit le ressentiment et la colère qui, mal analysés peuvent être utilisés par les courants sectaires et fascisants. C’est pourquoi nous affirmons qu’on ne peut défendre l’École (et la société toute entière) contre le fascisme sans combattre le capitalisme.
SUD éducation s’engage donc à :
• continuer la lutte pour obtenir la titularisation de tous les travailleurs et toutes les travailleuses de l’Education, sans conditions, notamment de concours, de diplôme ou de nationalité ;
• participer à construire un front syndical antifasciste dans l’Education Nationale, par exemple VISA, afin de refuser largement que l’extrême droite ne s’implante dans notre secteur ;
• revendiquer la mixité des personnels enseignant-e‑s et non-enseignant-e‑s de la maternelle à l’université ;
• continuer à défendre les élèves sans-papiers ;
• soutenir les luttes sociales contre l’offensive capitaliste qui conduit notamment à la dégradation de notre protection sociale et de l’ensemble des services publics ;
• développer à la base des réflexions et initiatives sortant de la logique capitaliste afin de permettre au plus grand nombre de se dégager des pièges que nous tendent les multiples formes des fascismes ;
• contribuer à la solidarité internationale avec les peuples opprimés
Depuis sa fondation, SUD éducation s’inscrit dans la lutte contre le racisme, le fascisme, le sexisme, l’homophobie et les réactions de tous genres. Cette lutte n’est donc pas nouvelle pour nous, mais dans le contexte actuel, elle doit être réaffirmée comme prioritaire, se donner des armes adaptées et se renforcer au plus vite.
[1] rappelons que l’église catholique, voulant conserver, dans une période de déchristianisation, son emprise sur les esprits, bataillait très fermement pour le repos du dimanche ( jour du Seigneur) et pour les congés payés, afin que les masses provinciales immigrées dans la région parisienne, plutôt que de vivre en concubinage, puissent aller se marier « au pays », les habitudes de l’époque étant qu’on se mariait une fois qu’on avait présenté sa ou son futur‑e à ses parents.
[2] Voir les textes de congrès définissant plus précisément le projet d’Ecole de SUD éducation.
[3] « There Is No Alternative » doctrine thatchérienne signifiant que le capitalisme, le marché et la mondialisation sont nécessaires et bénéfiques et que toute organisation sociale qui prend une autre voie court à l’échec.
[4] En 2005, le Traité Constitutionnel Européen a été rejeté par référendum en France (ainsi qu’aux Pays Bas et en Irlande), malgré une campagne médiatique intense en sa faveur. Trois ans plus tard, le gouvernement français ratifiait le Traité de Lisbonne, quasiment identique … sans référendum.
Quelle école ?
I) INTRODUCTION
En 1984, Jean Pierre Chevènement alors ministre de l’éducation nationale dans le gouvernement Fabius donnait pour mission au système éducatif de conduire 80 % d’une classe d’âge au Baccalauréat. Juste après la capitulation sur la laïcité, il convenait de redonner une « ambition » à l’école publique sans trop s’interroger sur le sort des 20% restants. Trente ans plus tard, l’élévation du niveau d’instruction de la population est effective puisque la proportion de bachelier.e.s dans une classe d’âge est passée de 25 % en 1976 à plus de 70% aujourd’hui. Si davantage d’enfants d’une même génération accèdent au baccalauréat, y compris des enfants des classes populaires, cela ne suffit pas à faire du système éducatif une école égalitaire.
Dans le système capitaliste, l’école est destinée à organiser et justifier la reproduction de la division sociale du travail. Il est donc illusoire d’imaginer une école qui échapperait à ce déterminisme. L’école, institution assurant l’instruction et l’éducation, peut ouvrir des brèches et développer, chez les futur.e.s adultes des capacités à comprendre cette reproduction et à y résister, par exemple, par la mise en place de pédagogies alternatives, coopératives et émancipatrices. Mais, étant un instrument d’instruction et d’éducation, elle développe en même temps chez les futur.e.s adultes des capacités à comprendre cette reproduction et à y résister. Il est alors possible d’ouvrir des brèches.
Nous voulons « une école publique laïque, égalitaire et émancipatrice, qui permette une éducation polytechnique pour tou-te‑s jusqu’à 18 ans. »
Une école dégagée des intérêts économiques immédiats. Les contenus et les formes de l’école n’ont pas à être influencés par les intérêts des entreprises.
Cela suppose de revenir à nos fondamentaux en (re)définissant ce que nous mettons sous chacun des termes :
Qu’est-ce, pour nous, qu’une école publique ? une école laïque ? une école égalitaire ? une école émancipatrice ? Qu’est-ce que l’éducation dans le cadre scolaire ? une éducation polytechnique ? une éducation pour tou-te‑s ? Et après les 18 ans ?
II) UNE ECOLE POLYTECHNIQUE
Quelle éducation polytechnique ?
1. Une éducation qui mêle sans les hiérarchiser les apprentissages théoriques et pratiques et les disciplines littéraires, scientifiques, technologiques, manuelles, artistiques, physiques (cette hiérarchie est bien sûr induite par la société, mais elle est reproduite par l’école) Les taux d’accès au baccalauréat général par rapport aux bacs technologiques ou professionnels sont très différents selon les populations. Le triptyque « général – technologique – professionnel » ne peut pas être vu comme une simple organisation de trois voies vers la réussite du plus grand nombre. Il reste bien, et plus encore en période de maintien et d’augmentation du chômage de masse, le processus de reproduction social adossé à la division capitaliste du travail (décision, conception, exécution).
2. Une éducation qui n’ignore pas l’interdisciplinarité et la transdisciplinarité
3. Une éducation qui valorise les capacités individuelles sans les hiérarchiser
Il faut en finir avec les filières et donc leur hiérarchisation jusqu’à la fin du lycée. Dans l’immédiat, il faut développer de vraies passerelles entre les filières actuelles (sans quota). L’égalité d’accès à toutes les formations doit être assurée. Dès la maternelle, favorisons tous les modes d’apprentissage et d’expression (manipulation, expérimentation, théorisation,…).
Quelle éducation pour tou-te‑s ?
Une éducation sans structures spécifiques (hors cas particuliers).
Absence de filières tout en maintenant des choix d’options ouverts avec des possibilités de changement.
Un seul type d’établissement (école, collège, lycée) pour tou-te‑s les élèves.
III) UNE ECOLE PUBLIQUE
I) Quelle école publique ?
1. Une école publique, avec des personnels fonctionnaires titulaires et formés, formation initiale, continue et en partie autogérée (c’est-à-dire les enseignant-e‑s se formant entre elles et eux) garantissant compétences et efficacité des enseignant-e‑s en renforçant la confiance qui doit nécessairement leur être accordée.
Dans cette optique, SUD éducation pousse à une prise en main collective de tous les aspects de l’organisation du travail et des établissements, et soutiendra la mise en place de structures coopératives autogérées (voir le texte adopté en congrès « Autogestion et coopération dans le service public d’éducation »).
2. Une école qui postule l’éducabilité de chacun‑e et déconstruise la notion d’échec scolaire.
L’échec scolaire est une construction socio-politique apparue il y a un demi siècle quand la sélection ouvertement sociale (les deux systèmes éducatifs parallèles) a cédé la place à une école en apparence unique, pour permettre de maintenir une sélection sociale mais désormais individualisée et intégrée. C’est donc à l’école de déconstruire cette notion.
3. Une école qui développe l’esprit critique et refuse de conformer les élèves et qui lutte contre les stéréotypes, les inégalités. Il faut que les contenus et les formes d’enseignement ne soient pas la simple application de l’idéologie dominante.
L’école fera ainsi par exemple la promotion des logiciels libres, permettant d’éveiller un regard critique sur le système technicien.
4. Une école qui aide à devenir autonome, responsable et épanoui, notamment à travers la mise en place de la coopération dans la classe.
5. Une école qui ne s’attache pas qu’au résultat, qui refuse la concurrence et la compétition et élimine toutes les formes de classement (des élèves, des écoles ou établissements, des académies) au profit d’évaluations formatives.
II) Quelle éducation dans le cadre scolaire ?
1. Une éducation et une pédagogie qui ne « transmettent » pas des savoirs mais qui, à la différence de l’instruction, les font acquérir, et où la didactique a sa place. L’enseignant‑e est un‑e professionnel-le qui, dans le cadre des programmes, élabore les contenus et les formes de son enseignement.
2. Une éducation qui développe aussi des savoir-faire et une pluralité de savoir-être.
IV) UNE ECOLE LAIQUE ET POUR TOUT-E‑S
Quelle école laïque ?
1. Une école préservée des groupes de pression idéologiques et d’où le prosélytisme est exclu.
2. Une école où la laïcité fait partie des apprentissages.
Une école qui offre un égal accès à tou-te‑s jusqu’à 18 ans.
1. Une gratuité réelle de la scolarité.
2. Une sectorisation scolaire qui doit être redéfinie afin de favoriser une mixité sociale.
3. La lutte contre la pauvreté : la gratuité d’accès à certains services sera assurée à tous les élèves, collégiens, lycéens. La cantine scolaire comme les ateliers de pratique artistique et culturelle seront gratuits.
Et après les 18 ans ?
1. La possibilité pour tou-te‑s de recevoir une formation professionnalisante.
Malgré l’augmentation du nombre de bacheliers dans toutes les catégories sociales, le nombre d’enfants des classes populaires qui obtiennent un diplôme universitaire n’augmente pas et le nombre d’enfants d’ouvrier.e.s qui deviennent enseignant.e.s diminue. ‘Egalité des chances’ et ‘ascenseur social’ sont deux mystifications destinées à faire croire à la réalité et aux vertus de la prétendue démocratisation scolaire.
2. Un accompagnement, y compris financier, à l’entrée dans la vie autonome (études ou formation professionnelle).
V) UNE ECOLE EGALITAIRE
I) Quelle école égalitaire ?
1. Une école qui met en œuvre l’égalité des droits au lieu d’une « égalité des chances ».
La massification de la scolarité en lycée n’est donc pas à confondre avec une démocratisation de l’enseignement. Dans cette période de massification, l’idéologie dominante dans le système éducatif de la maternelle au baccalauréat, réaffirmée par tous les gouvernements de droite comme de gauche et reprise par les syndicats réformistes ou d’accompagnement de la politique gouvernementale, est celle de « l’égalité des chances ». Cette chance également répartie viendrait constituer une situation originelle à partir de laquelle les différences de parcours, les réussites et les échecs ne seraient plus le fait que du mérite des élèves et de leur famille. L’équité rangerait ainsi l’égalité au magasin des accessoires.
Plus généralement, la démocratie ne repose pas sur des « chances », mais sur des droits. L’égalité que nous revendiquons ne repose pas sur une « chance égale » mais sur un « droit égal », à charge pour la société et l’institution de faire en sorte que ce droit soit effectif et non théorique, qu’il soit mis en œuvre et ne reste pas sur le papier. Le contraire de l’égalité des chances, ce n’est pas l’inégalité des chances, c’est l’égalité des droits effectivement mis en œuvre. Revendiquer un droit pour tous, et le faire appliquer, c’est se placer dans une optique égalitaire.
Revendiquer une chance, c’est se placer dans une optique concurrentielle. Là où il y a égalité, il n’y a pas besoin de chances.
2. Une école où l’égalité fonctionne aussi en interne
1)Une éducation qui combatte les discriminations, notamment pour affirmer et affermir l’égalité filles/garçons et contre les stéréotypes de genre.
Un rapport rendu au ministère en septembre 2010 s’inquiétait de la banalisation à l’école des comportements discriminatoires concernant le handicap, le sexe, l’orientation sexuelle ou l’origine.
2)Les mêmes droits doivent être respectés pour tous les élèves dans les faits.
Le droit d’expression et la possibilité d’agir sur le système doivent être développés.
3) Une éducation aux droits doit permettre aux élèves de pouvoir les exercer.
3. Une école qui développe un apprentissage collectif et mutuel au lieu de l’individualisation.
II) Quelle position syndicale de Sud éducation par rapport à l’ « école inclusive » ?
La loi 2013 – 595 du 8 juillet 2013 réaffirme « la promotion d’une école inclusive » ; le ministère évoque « une dynamique qui s’amplifie », tandis qu’aujourd’hui 260 000 élèves en situation de handicap sont scolarisé.e.s en milieu ordinaire et qu’en 8 ans ce nombre a doublé et continue d’augmenter chaque année de plus de 10%. Mais derrière les grands principes affichés, les conditions de scolarisation des élèves en situation de handicap bien souvent, ne répondent pas aux enjeux éducatifs tandis que notre charge de travail s’intensifie.
Trois logiques cohabitent concernant la scolarisation des élèves en situation de handicap et des élèves en grande difficulté scolaire :
• l’exclusion du système scolaire commun, par la création de structures spécialisées,
• l’intégration (partiellement, socialement, pédagogiquement),
• l’inclusion au système scolaire commun par l’accueil dans les classes ordinaires, avec la mise en place d’aménagements spécifiques.
Un syndicat de transformation sociale comme le nôtre se retrouve dans les principes d’une école inclusive, c’est-à-dire dans une posture éthique qui affirme que l’école est pour tou-te‑s. Nous revendiquons une école démocratique, émancipatrice, qui n’exclut pas. L’enjeu est de permettre à des enfants reconnu.e.s être en situation de handicap ou en grande difficulté scolaire d’être scolarisé.e.s, en milieu ordinaire, dans la mesure de leurs capacités, en prenant en compte les dimensions sociales et culturelles. Mais le principe d’une école réellement inclusive et d’un collège vraiment pour tou-te‑s est un objectif à atteindre, mais, compte tenu des conditions actuelles de scolarisation et dans une logique de moyens constants, la dilution des SEGPA dans un dispositif fou d’inclusion n’est pas une solution satisfaisante pour y parvenir.
L’inclusion actuelle, telle qu’envisagée par le ministère, est loin d’être une inclusion réelle.
L’école actuelle est pensée par rapport à une norme, où on « sélectionne » et non par rapport à la différence. Pour « inclure » les élèves en situation de handicap ou les élèves « à besoins éducatifs particuliers », il faut que l’école s’adapte aux besoins de tous les élèves, ce qui est un changement de manière de penser majeur. L’école inclusive ne concerne pas que les élèves en situation de handicap et n’est pas de « l’intégration poussée ». Actuellement la scolarisation des élèves en situation de handicap repose uniquement sur la responsabilité de l’enseignant.e. Ce qui génère une dégradation forte des conditions de travail
Élèves en situation de handicap ou avec des besoins particuliers doivent pouvoir trouver leur place au plus près d’une scolarisation commune, comme tous les autres. Il faut donner la priorité au projet de tous les enfants et trouver les dispositifs pour les accompagner dans leur parcours scolaire.
Cela nécessite des moyens :
• Moins d’élèves par classe ;
• des « dispositifs » souples à imaginer accueillant enfants en situation de handicap ou non ;
• du temps dégagé pour le travail en équipe ;
plusieurs enseignant-e‑s par classe ou dispositif s’il le faut, en lien avec les partenaires du médico-social si nécessaire. En Italie, dès 1977, la loi prévoyait un‑e enseignant‑e de soutien pour quatre enfants en situation de handicap… Les RASED doivent être développés, les services de soins comme les SESSAD doivent pouvoir intervenir dans les établissements scolaires avec des personnels Éducation Nationale. La place des SEGPA doit être réaffirmée, elles ne doivent pas être diluées au nom de l’inclusion.
• des personnels avec une formation adaptée (initiale et continue) capable de répondre à la diversité des élèves, des missions redéfinies, de vrais statuts, en lien avec les autres corps de métier, et pouvant s’appuyer sur des personnels spécialisés.
• stopper la logique unique de compensation individuelle : les moyens humains doivent être attribués à des dispositifs (à créer) et non aux personnes principalement (comme c’est le cas pour les AESH par exemple).
Il existe de nombreux lieux où parents, enseignant-e‑s, professionnel-le‑s expérimentent l’école inclusive. Mais la généralisation de ces expériences nécessite de repenser l’école pour ne pas laisser enfants, adultes et enseignant-e‑s dans des situations difficiles, face à une hétérogénéité impossible à gérer dans le cadre normatif que nous connaissons.
Pour SUD éducation, l’école inclusive comme nous la souhaitons, ne peut être mise en œuvre sans modifications importantes des politiques actuelles, sans repenser la formation, sans concevoir un réel budget à la hauteur des ambitions, sans repenser le cadre global de la société. C’est en luttant contre toutes les dérives exclusives que nous y parviendrons.
Contre l’école néo-libérale et pour une internationalisation des luttes
Ces dernières décennies ont vu l’imposition d’une nouvelle politique planétaire, auto-justifiée (TINA [1]), le néo-libéralisme capitaliste. Le néo-libéralisme accompagne la globalisation capitaliste, d’une manière hautement politique tout en se donnant l’air d’un phénomène aussi inéluctable que la chute des corps. D’une nature exclusivement économique, il se fait « pour notre bien » grâce à une croissance sans fin. Il implique évidemment des conséquences et des orientations dans le champ de l’éducation.
L’ordre néo-libéral veut que les institutions supra nationales (BM, FMI, OMC, OCDE, CE [2]), hors de tout contrôle démocratique, armées de directives et préconisations, imposent leurs vues aux pouvoirs politiques prétendument impuissants. Le principal aspect de ces plans est de ramener nos sociétés, nos échanges, nos vies à l’unique économie, c’est à dire l’argent.
L’Occident, en voie de désindustrialisation car le travail et ses coûts socialisés sont ici plus élevés qu’ailleurs, a recours à la marchandisation des services non délocalisables pour préserver son rang . Dans une éducation, dont la place sociale et économique est développée de longue date en Occident, et donc possible source de profits, cela se traduit par la mise en place de « l’économie de la connaissance ».
1. L’économie de la connaissance
Elle fut définie dans ses principes par l’OCDE et ses lobbys puis dans son application par la CE à Lisbonne en 2000. Ses orientations, en dehors de toute novlangue qui elle nous promet le bonheur au travers une élévation du niveau d’éducation pour tous, ont pour conséquences :
Globalement
La création de « liens entre l’école et l’entreprise » : adaptation des formations aux besoins patronaux locaux, semaine de l’entreprise à l’école, nécessité dans la formation des enseignants d’un stage en entreprise, …
L’imposition dans le service public d’éducation du fonctionnement des entreprises (projets, objectifs, évaluation des résultats, concurrence,…).
Le culte de l’évaluation (PISA [3] de l’OCDE) et la mise en place de quantifiables « compétences » standardisées, ceci même si on ne sait pas exactement ce qui est évalué afin d’entrer dans les cases d’un « livret de compétences ».
La disparition de la recherche scientifique au profit de « l’innovation » marchandisable.
Une confusion entretenue entre éducation et formation à un métier.
Le développement de l’utilisation du numérique, outil présenté comme une panacée, notamment du « e‑learning » (remplacer le professeur par un ordinateur, « m@gistère », « pairform@nce », …), ainsi qu’un fichage généralisé (Base élèves, LPC, Passeport Orientation Formation, projet « FOLIO » pour les enseignements artistiques, …).
Un modèle d’enseignement supérieur marchand dans une concurrence mondiale bien loin de l’université.
Individuellement
Le développement de « l’esprit d’entreprise » pour tous et la conformation à l’économie libérale.
L’OFPTLV [4] pour une meilleure « employabilité » afin que chacun soit vendable sur le marché du travail, avec son outil de contrôle le Passeport Orientation Formation, résurgence d’un livret ouvrier à l’ère numérique.
La fin du service public d’orientation centré sur les choix et intérêts personnels pour un SPRO [5] visant l’optimisation dans la vente de la force de travail de chacun sur un marché local de « l’emploi » maîtrisé par les patrons et faussé par le chômage de masse.
L’individualisation des intérêts de tous les travailleurs (objectifs, évaluation, salaires, …) entraînant la compétition de tous contre tous donc, la fin des solidarités et une prétendue obsolescence de la lutte des classes.
La « responsabilisation » de chacun, enseignant comme apprenant, dans ses choix personnels pour la constitution de son « capital humain » ou « capital social » vu comme un investissement (donc marchandable au travers par exemple des frais d’inscription, payables à crédit).
Dans la gestion du système éducatif
L’autonomie financière et décisionnaire des structures de l’éducation (régionale ou par établissement) avec pour corollaire un management entrepreneurial des travailleurs.
La mixité public/privé dans les financements, donc la gestion et les orientations de chaque structure (LRU [6], création de GIP [7] dans la formation professionnelle publique)
L’uniformisation internationale des structures éducatives, LMD [8] dans l’enseignement supérieur.
2. Néo-conservatisme avatar du néo-libéralisme
Ce néo-libéralisme s’accompagne depuis ses débuts d’une caution, le néo-conservatisme qui n’est pas seulement une doctrine politique mais aussi individuelle à tendance moraliste, religieuse voire obscurantiste [9]. On peut constater que les pays où le néo-libéralisme règne sont aussi ceux où ce néo-conservatisme moral domine quasi naturellement.
De la dénonciation d’une « théorie du genre » au refus du mariage pour tous en passant par l’instrumentalisation d’une laïcité blanche et chrétienne à des vues xénophobes, l’actualité récente montre une montée de cette doctrine dans la société française.
Il ne faut pas s’y tromper, les récents assauts néo-conservateurs sur la société et son école sont aussi à percevoir comme le corollaire au néo-libéralisme économique appliqué à la vie quotidienne d’individus perçus comme auto-entrepreneurs sociaux, uniquement mus par leurs intérêts et l’accroissement de leur capital économique ou social.
Une fine distinction doit être faite entre ce néo-conservatisme et l’historique fascisme, populisme d’extrême droite nourri de désespérance sociale et de rejet du « système » politique. Ceci même si les deux doctrines arrivent souvent à se confondre, le fascisme n’est pas libéral a priori, le néo-libéralisme est anti-démocratique par intérêt afin de s’imposer à tous.
3. Résistances
Le programme européen néo-libéral de Lisbonne 2000 pour l’éducation, sous son déguisement progressiste et humaniste du « bien pour tous dans un monde qui change » ne fut qu’un demi succès qui engendra un correctif « Europe 2020 » du même tonneau. Ce sont essentiellement les freins dus aux principes historiques fondant notre système éducatif qui en furent la cause plus que les résistances démocratiques et syndicales.
A titre d’exemple l’outil néo-libéral du « chèque éducation », pompe à finance de l’argent public vers le secteur privé, ne suscita guère de tollé quand il fut évoqué par notre ex président il y a quelques années. Par contre, il ne fut pas appliqué (tout au plus la loi Carle, sans aucune commune mesure avec les montants évoqués pour le « chèque éducation » ou l’historique financement des salaires de l’enseignement privé par l’argent public) car pas encore applicable, faute de volonté politique du pouvoir, par peur donc, face à une société encore empreinte dans ses principes des valeurs, certes mises à mal, du CNR [10].
Le néo-libéralisme , contrairement à ce que l’on essaye de nous faire croire n’a pas encore gagné. Il convient d’ailleurs à ce propos de distinguer l’image qui nous en est présentée, créée essentiellement par les médias, abondée par les politiques, du néo-libéralisme triomphant sans autre alternative et la réalité qui nous entoure, qui comporte des solidarités, des liens sociaux et des échanges non marchands dans une société où les richesses sont encore largement socialisées et mises au pot commun par l’impôt et la cotisation sociale.
On peut par contre fortement s’inquiéter du déni de démocratie que représente son acceptation uniforme par les pouvoirs politiques successifs, et leur prétendue impuissance face à ces politiques.
On doit aussi être conscient que si nationalement ce néo-libéralisme ne progresse que lentement, il progresse. Mais surtout qu’au niveau mondial, hors de toute structure politique, il permet au capitalisme financier d’accaparer, à nos dépens, une part croissante des richesses produites. Enfin que ce « laisser-faire » néo-libéral s’attaque, par simple appât du gain, à nos richesses naturelles communes et nous mène écologiquement droit dans le mur.
Pourtant, l’éducation n’est pas une marchandise, ni ici, ni ailleurs. Les travailleurs et les travailleuses de l’éducation l’affirment par leurs luttes.
4. Pour une alternative syndicale au plan international
Ainsi, ces derniers mois, la fédération SUD éducation a soutenu les grèves dans l’enseignement en Italie, en Espagne, en Grande-Bretagne, au Brésil, au Burkina, en Tunisie. Et ce n’est là qu’un aperçu des mouvements revendicatifs qui touchent le secteur de l’éducation à travers le monde. Le démantèlement du service public d’éducation est une réalité à l’échelle mondiale ; comme celui de l’ensemble des servies publics, comme les attaques patronales envers les travailleurs et les travailleuses.
L’internationalisme est une des valeurs fondamentales du syndicalisme que nous construisons. Il ne s’agit pas là d’un choix « affectif » ou « moral » mais d’une orientation politique : la lutte des classes ne s’arrête pas aux frontières des Etats, … et le patronat le sait !
Au nom de la « sacro sainte crise », on nous martèle que l’austérité (pour nous, pas pour les riches !) est inévitable mais en réalité nous n’avons pas à payer leur crise. Récemment la troïka pour l’Europe, depuis longtemps le FMI pour les pays de l’Amérique Latine, d’Asie et d’Afrique, imposent leurs diktats aux Etats et gouvernements qui obéissent docilement. La mise « sur le marché » du service public d’éducation est un des versants de leurs plans. Nos écoles, nos hôpitaux, nos transports en commun, tous les services publics, leurs infrastructures, leur personnel statutaire et formé, correspondent à des besoins collectifs qui doivent être satisfaits.
Travailleuses et travailleurs de l’Education, nous devons nous organiser afin de combattre ce modèle mondial. La Confédération Européenne des Syndicats [11], l’Internationale de l’Éducation [12] et les syndicats nationaux de la FSU ont été, et sont, beaucoup trop passives face à cette politique. C’est ce qui nous a conduits, depuis notre création, à rechercher une alternative syndicale, aussi au plan international.
Dans la suite du travail réalisé depuis des années, avec notre Union syndicale Solidaires la fédération SUD éducation a participé, en mars 2013, à la création du Réseau syndical international de solidarité et de luttes. Il rassemble d’ores et déjà une soixantaine d’organisations syndicales, d’Europe, d’Afrique, d’Amériques et d’Asie. S’agissant bien d’un outil syndical, il repose à la fois sur une dimension interprofessionnel et un travail professionnel. En ce sens, la fédération SUD éducation a un rôle à jouer, tant dans notre champ fédéral propre qu’au sein de la commission internationale de l’Union syndicale Solidaires.
L’activité syndicale internationale ne « s’ajoute pas » à notre lutte du quotidien dans nos établissements ; comme la dimension interprofessionnelle par exemple, elle en fait partie. Notre syndicalisme de contre-pouvoir se construit, à la fois sur la défense quotidienne des salarié-es et sur la perspective d’une profonde transformation sociale ; c’est un syndicalisme de lutte, pour la construction de réels rapports de forces permettant de contrer les politiques libérales. Celles-ci ne se limitent pas au cadre national, c’est une raison supplémentaire pour ne pas y circonscrire notre syndicalisme.
Agir localement contre les décisions patronales ou gouvernementales est indispensable ; cela peut suffire pour les organisations syndicales réformistes, pas lorsqu’on veut, comme nous, changer la société ! Il est nécessaire de construire des rapports de forces à un niveau plus élevé, de coordonner les luttes ; c’est ce que nous voulons faire au plan national interprofessionnel, c’est ce que nous devons faire aussi au plan international, notamment dans le secteur de l’éducation pour ce qui nous concerne.
Les luttes locales doivent être divulguées, relayées voire reprises par nous toutes et tous, c’est l’objectif des réseaux internationaux auxquels nous participons. Il est urgent de s’attaquer ensemble, entre autres, à la marchandisation de l’éducation c’est pour cela que SUD éducation a proposé une campagne européenne du Réseau européen des syndicats alternatifs et de base, contre le fichage des élèves et la logique néolibérale des compétences.
La grève internationale demeure un de nos objectifs. Mais nous ne voulons pas d’un syndicalisme qui se contente de slogans sans lendemain. Construire de tels mouvements impose de s’en donner vraiment les moyens. A juste titre, nous revendiquons un syndicalisme qui repose sur le travail à la base. C’est donc à ce niveau aussi que doivent être pris en compte les enjeux internationaux. La collectivisation de la prise en charge de ce secteur demeure difficile. La fédération SUD éducation en fait une de ses priorités. Enraciner l’international dans notre activité quotidienne suppose de mettre à disposition des syndicats et des syndiqué-es SUD éducation du matériel utilisable dans nos établissements. Le travail d’information sera poursuivi, notamment au travers des tracts réalisés avec des organisations d’autres pays, dans le cadre de nos Réseaux syndicaux (international et européen ‑voir annexe-). Lé fédération poursuit la parution de la note réalisée par la commission fédérale, qui permet de donner aux équipes syndicales les informations sur notre activité internationale et de rendre compte du mandat.
Annexe
Nos contacts et les réseaux dans lesquels nous travaillons [13]
• Réseau syndical international de solidarité et de luttes : création collective en 2013 à l’initiative de CSP- Conlutas (Brésil), CGT (Etat espagnol) et l’Union Syndicale Solidaires (France)
• Réseau Européen des Syndicats Alternatifs et de base : création collective et adhésion depuis 2010, date de sa création avec la « Déclaration de Paris », mais ce réseau existait déjà de façon plus informelle et avec un travail et des rencontres ponctuelles auparavant. Composé de :
État Espagnol : CGT* – Confederación General del Trabajo – héritière de la CNT-AIT de 36 ; Solidaridad Obrera ; IAC – Intersindical Alternativa de Cataluña ; Confederacion Intersindical – une intersyndicale nationale
Italie : CUB – Confederazione Unitaria de Base ; USI – Unione Sindicale Italiana ; Unicobas – unions anarchistes ; USB – Unione de Sindicatos di Base
Allemagne : TIE – Transnational Information Exchange – réseau regroupant les sections et syndicalistes qui essaient de lutter au sein de leurs organisations peu combatives en elles-mêmes, a notamment soutenu et soutient encore la FAU* (Fédération Anarchiste Unitaire) qui essaie de se monter.
Pays-Basque : LAB* Euskadi
Suisse : SUD Canton de Vaud*
Grèce : ESE
France : CNT‑f ; CNT-SO ; Union Syndicale Solidaires
• Réseau Euro-Méditerranéen des syndicats alternatifs et de base : existe depuis 2007 (Malaga)
Etat Espagnol : CGT depuis le début, IAC et Intersindical
Italie : CUB /USI
Maroc : Tendance syndicale Voie Démocratique (VD) présente dans des syndicats comme UMT et CDT, notamment Rabat essentiellement ODT* – Organisation Démocratique du Travail dont ODEducation ; ANDCM – Association Nationale des Diplômés Chômeurs du Maroc
Algérie : SNAPAP [14] – Syndicat National des personnels de l’Administration Publique, auquel sont affiliées des fédérations de l’Éducation, dont les contractuel-le‑s ; CLA3 – Conseil des lycées d’Alger ; SESS* – Syndicats de l’Enseignement Supérieur Solidaires, ancien CNES dissout par le pouvoir.
Tunisie : UGTT [15] – Union Générale du Travail de Tunisie – plus particulièrement les syndicats de l’éducation , dont le SGES*, un syndicat par branche : primaire, secondaire, COP… et des postes ; UDCT – Union des Diplômés Tunisiens
Égypte : CTUWS – Central Trade Union Workers Services
des contacts avec le Syndicat autonome des impôts fonciers à l’origine d’une toute nouvelle Fédération de syndicats autonomes
• Autres contacts avec des syndicats du secteur éducation hors réseaux :
Burkina Fasso : SYNATEB (Syndicat National des Travailleurs de Base de l’Education
Nationale – primaire, Syndicat du secondaire.
Argentine : Central de los trabajadores de Argentina – CTA
Mexique : Coordinación Nacional de los Trabajadores de la Educación – CNTE
[1] « There Is No Alternative » Il n’y a pas d’alternative (Margaret Thatcher)
[2] Banque Mondiale, Fond Monétaire International, Organisation Mondiale du Commerce, Organisation de Coopération et de Développement Économiques, Commission Européenne
[3] Program for International Student Assessment pour Programme international pour le suivi des acquis des élèves
[4] Orientation et Formation Professionnelles Tout au Long de la Vie
[5] Service « Public » régional d’Orientation, mêlant régions, éducation, formation, syndicats patronaux et de salariés pour l’OFPTLV
[6] Loi relative aux libertés et responsabilités des universités (dite loi LRU ou loi Pécresse
[7] Groupement d’Intérêt Public, structure de droit public acceptant du capital privé
[8] Licence-Master-Doctorat
[9] Lire Wendy Brown Les habits neufs de la politique mondiale : Néolibéralisme et néo-conservatisme, Les prairies ordinaires, 2007
[10] Conseil National de la Résistance
[11] CES, en France CGT, CFDT, FO, UNSA, CFTC
[12] en France, les fédérations CGT, CFDT, FO, UNSA
[13] Les organisations, syndicats etc… marqués « * » sont ceux dans lesquels il y a des contacts « éducation » avec un suivi du travail sur le secteur
[14] En cours d’adhésion à la CSI. Comme la fédération autonome égyptienne fondée par le syndicat des impôts fonciers.
[15] Adhérente à la CSI
Enseigner et apprendre en milieu carcéral : quelle école en prison ?
Pour qu’en milieu carcéral l’école ne soit plus une prison dans la prison, pour que dans ces lieux où les êtres sont privés d’aller et venir,l’école soit un droit pour tou.te.s les détenu.e.s et non un privilège, le lieu d’une émancipation possible et non une institution disciplinaire.
Il ne s’agit pas ici de se prononcer sur la nécessaire existence ou non des prisons, mais de constater que l’Education nationale et ses personnels sont présents en prison, et qu’à ce titre Sud Education a vocation à les défendre et à exiger pour les personnels comme pour les élèves de meilleures conditions de travail et d’apprentissage et à lutter pour une école qui ne soit pas phagocytée par les logiques disciplinaires et coercitives du milieu carcéral.
Ce texte ne traite pas du cas spécifique de l’enseignement pour les mineur.e.s en milieu pénitentiaire, qui soulève des enjeux qui nécessitent un temps de réflexion plus important, notamment en ce qui concerne le caractère obligatoire des cours pour les mineur.e.s.
Si la situation des prisons françaises apparaît désastreuse, il n’est pas évident que les conditions d’enseignement dans ces établissements parviennent à y faire exception. Certains obstacles sont structurels : on n’a cessé d’incarcérer davantage, au cours de ces dernières années et les moyens de l’éducation nationale peinent à suivre le rythme de cette tragique croissance ; et, par un effet de corrélation instructif, constitutif des « prisons de la misère », une part importante de la population que l’on incarcère présente des difficultés considérables de maîtrise de la langue écrite ou ne dispose d’aucun diplôme.
Dans ce contexte, les enseignant.e.s sont recruté.e.s de manière opaque, souvent vacataires, sans formation, avec peu de contacts avec leurs collègues, sans instances permettant de construire de dynamique collective. Dans ce contexte, l’acheminement des élèves dans les salles de classe ne se fait pas sans difficultés. De multiples raisons peuvent les empêcher de venir suivre les cours : rendez-vous avec les familles, l’avocat.e ou l’infrmier.ière, des mouvements de déplacement bloqués pour raisons de sécurité, l’information non fournie au ou à la surveillant.e d’étage, le bon-vouloir de ce/cette dernier.e à laisser le/la détenu.e se rendre en classe… les situations sont très variables en termes de dotation matérielle, certain.e.s ne disposent d’aucun matériel, ou alors très réduit, très exceptionnellement d’un ordinateur. De plus, du fait de la réglementation et du manque de moyens, aucun.e ne dispose d’une connexion internet. Le contenu des formations et le cadre d’enseignement qui leur sont proposés sont souvent peu réfléchis pour des adultes et de ce fait infantilisants, en prison plus qu’ailleurs ; ils sont à l’opposé d’une visée émancipatrice.
Construire des espaces de liberté devrait apparaître à la fois comme une condition de possibilité d’un enseignement véritable et comme objectif de toute démarche éducative. De tels espaces de liberté sont peut-être antagoniques avec le contexte pénitentiaire lui-même, mais tant qu’il y aura des prisons, c’est au sein de ce cadre qu’il nous faut contribuer à desserrer l’étau.
Les personnels
Pour que la prison ne soit pas une zone de non droit pour les personnels de l’Education nationale
Etat des lieux
Le bilan officiel de l’enseignement en prison (justice.gouv.fr) fait état, pour 2012, de 471 postes titulaires (1er et 2d degré) et de 4 407 heures supplémentaires. En retranchant un nombre théorique de 2 HSA par titulaire, un rapide calcul permet d’estimer à près de 1 000 le nombre de vacataires, soit plus des 2/3 des enseignant.e.s. Il existe 3 types de recrutements chez les enseignant.e.s. Les postes de professeurs du premier et du second degré titulaires à temps plein sont inscrits au mouvement des mutations. Ce sont des postes spécifiques donc les collègues sont soumis à un entretien et donc à une décision subjective. Les professeurs du second degré qui interviennent en HSE sont soit recruté.e.s par le RLE (responsable locale d’enseignement) avec accord du proviseur de l’UPR (unité pédagogique régional) et du Rectorat soit directement par le proviseur. Pour les non-titulaires qui interviennent aussi, le recrutement est beaucoup plus opaque. C’est souvent par connaissance et sur proposition d’un professeur que la candidature est proposée au proviseur de l’UPR.
Nous, personnel enseignant, avons pour fonction de contribuer à l’insertion ou la réinsertion de la personne incarcérée. C’est une fonction officielle, affichée depuis 1995 dans la convention liant l’administration pénitentiaire à l’éducation nationale. La finalité de l’enseignement pénitentiaire est exactement, d’après la loi, de « permettre à la personne détenue de se doter des compétences nécessaires pour se réinsérer dans la vie sociale et professionnelle. » (Art. D. 435 du code de procédure pénale). Ça, c’est la théorie. La « réinsertion », objectif affiché, n’est qu’un vain mot : l’Etat n’est pas à une contradiction près : il feint de mettre en œuvre des formations diplômantes pour les prisonnier.e.s, tout en les empêchant d’entrer dans la fonction publique par la suite. Dans la pratique, nous, personnel enseignant, avons surtout pour fonction de contribuer à peu de frais à la demande sociale d’une prison à l’apparence humaine. Peu importe ce que nous faisons devant nos élèves, peu importe la manière dont nous avons été recruté-e‑s et formé-e‑s, peu importent les affectations et les rémunérations. Nous devons, puisque la société le demande, assurer des cours.
La prison est un révélateur puissant des imperfections de la société. Précarisation de la profession, manque de moyen, absence de contre-pouvoir, dégradation des conditions de travail… tout cela est amplifié entre les murs d’un établissement pénitentiaire. Les cours en prison s’organisent au sein d’ULE (unité locale d’enseignement), gérées par un‑e RLE (responsable local d’enseignement) et chapeautées par une UPR (unité pédagogique régionale). Ces UPR sont dirigées par un.e proviseur.e. Comment ? Nous n’en savons rien, et pour cause : aucun.e représentant.e du personnel, aucune présence syndicale dans la structure de ces UPR. Pas de conseil d’administration pour surveiller la gestion financière ou la répartition des heures et des moyens, pas de CHSCT pour assurer un suivi des conditions de travail, pas de CTSD pour connaître et infléchir la création ou la fermeture de filières ou de postes… Tout se passe dans des entretiens informels entre l’UPR, le personnel, et l’administration pénitentiaire.
La situation des personnels de l’éducation nationale dans les établissements pénitentiaires est désastreuse. La plupart sont des vacataires, pour l’essentiel des enseignant.e.s du premier et du second degré qui acceptent, par idéalisme ou par manque d’argent, de faire 2h à 6h supplémentaires par semaine. Pour ces vacataires, aucune formation et une rémunération différée. Pour les titulaires en milieu pénitentiaire, c’est-à-dire ceux/celles qui effectuent la totalité de leur service en prison, assurer quelques heures supplémentaires n’est même plus une question de principe. Aujourd’hui, le problème est de savoir comment elles seront payées. En effet, les heures supplémentaires en prison, assurées toute l’année par des titulaires et inscrites dans leur emploi du temps, ne sont pas considérées comme des HSA mais comme des HSE. La moindre absence vous fait ainsi perdre une partie de vos revenus. Les maigres protestations des RLE ne changent rien : l’UPR fait ce qu’il veut, les contre-pouvoirs n’existent pas. Si un.e enseignant.e se montre trop remuant, l’administration n’hésite pas à utiliser une arme imparable : la suppression du laissez-passer. Rien n’est plus facile que d’interdire à quelqu’un.e d’entrer en prison, il n’est même pas nécessaire de le justifier.
Le traitement et la rémunération des enseignant.e.s est un problème, leurs conditions de travail sont lamentables. Arrivé.e devant la prison, le ou la nouvel.le enseignant.e découvre qu’il ou elle n’est pas vraiment le ou la bienvenu.e. « Obligé.e de montrer sa carte d’identité, de laisser à l’entrée son téléphone portable, voire sa clé USB, il/elle est aussi bien souvent contraint.e d’attendre de quelques minutes à une demi-heure l’ouverture de la première porte. Il/elle apprend vite qu’il/elle est, comme tou.te.s les autres intervenant.es, plus toléré.e qu’accepté.e. Après tout, il/elle occasionne une charge de travail supplémentaire pour les surveillant.e.s… Arrivé.e au centre scolaire, l’enseignant.e découvre avec effarement qu’il/elle n’aura pas forcément d’ordinateur, pas de vidéoprojecteur, à peine un tableau crasseux, des salles jamais nettoyées, des tables défoncées et, comme dans toute la prison, un bruit permanent de choc contre des barreaux, de cris, de conversations bruyantes résonnant dans les couloirs nus de toute la détention ; par-dessus tout ça, une odeur prégnante de cantine froide et de poubelle. A l’arrivée des premier.e.s élèves, il/elle constate, déjà résigné.e, qu’ils/elles n’ont ni stylo ni cahier, et que la plupart ne savent pas vraiment pourquoi ils/elles sont là. Déprimé.e, il/elle doit faire cours, puisqu’on vous dit que la prison fait tout pour la réinsertion des personnes incarcérées.
Sud éducation revendique pour les personnels de meilleures conditions de travail :
Revendications immédiates
• Transformation des UPR en EPLE dotés de toutes les instances de contrôle prévues par les textes. (conseil d’administration, CHSCT…). Election immédiate des représentants des personnels.
• Paiement des heures supplémentaires inscrites dans les emplois du temps en HSA et non en HSE pour les enseignant.e.s dits « permanent.e.s », (titulaires d’un service plein en milieu pénitentiaire)
• Formation réelle de tou.te.s les enseignant.es en milieu pénitentiaire, y compris les vacataires.
Revendications à court terme
• Décharge dans leur établissement d’affectation pour tous les enseignant.e.s vacataires. En conséquence, création d’heures poste dans les ULE.
• L’arrêt de la multiplication des heures supplémentaires et la création des postes à hauteur des besoins.
• Décharges permettant des heures de coordination entre enseignant.e.s au sein d’une ULE pour les enseignant.e.s titulaires et pour les enseignant.e.s vacataires
Les élèves
Pour que l’enseignement en prison ne soit plus un privilège mais un droit, pour qu’il soit le lieu d’une émancipation.
Etat des lieux
La prison compte aujourd’hui environ 60 000 hommes, 2100 femmes et 650 mineur.e.s.
Le droit à l’éducation n’est en prison qu’une illusion.
Pourtant c’est une obligation juridique, rappelée dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948 aux articles 26 et 27, et jusque dans l’article D452 du Code de procédure pénale, en passant par l’article 28 – 1 des Règles Pénitentiaires Européenne. Aujourd’hui seule 20% de la population détenue adulte (qui représente 99% de la population carcérale) y a accès. Les mineur.e.s sont soumis.e.s à une obligation de scolarité.
Pourtant l’enseignement en prison est plus que nécessaire : plus de 50% des détenu.e.s n’ont aucun diplôme et seul.e un.e détenu.e sur 10 parmi les détenu.e.s scolarisé.e.s valide un diplôme officiel avant sa sortie. Beaucoup enfin sont en situation d’illettrisme et ont été en rupture avec l’école.
Pourtant l’apprentissage et l’enseignement sont des éléments essentiels à la restauration de la dignité de la personne incarcérée, autant à ses propres yeux qu’à ceux de la société. Donner de vrais moyens à l’école en prison est d’autant plus nécessaire que le public est en général un public en conflit avec l’institution scolaire qui est pour elles et eux, synonyme d’échec. Pour permettre aux enseignant.e.s de donner l’envie aux personnes incarcérées de dépasser cet échec, il faut du temps, de la formation, de bonnes conditions.
Des conditions d’apprentissages empêchées
Les conditions de détention.
Elles entraînent une extrême discontinuité des actions de formation des détenu.e.s, liée à de multiples facteurs : les flux d’entrants et de sortants – puisque le temps d’incarcération coïncide rarement avec le temps scolaire‑, mais aussi les nombreux transferts d’un établissement à l’autre qui ne prennent pas en compte l’engagement des prisonnier.e.s dans des modules d’enseignement, ni leur possibilité ou non de poursuivre cette formation dans leur nouveau lieu de détention. La très grande mobilité des détenu.e.s – qui est un problème en soi, n’est par ailleurs pas du tout compensée par la mise en place d’outils permettant une véritable coordination entre les différents centres scolaires, surtout d’une UPR (Unité pédagogique régionale) à l’autre. De plus les conditions extrêmement difficiles d’incarcération notamment liées à la surpopulation ainsi que le manque de disponibilité mentale des personnes détenues lié à la difficulté évidente de leur situation impactent fortement sur le travail en classe et surtout sur le quasi impossible travail en cellule. Comment dans ce cadre demander aux détenu.e.s un travail personnel d’une séance à l’autre ?
Le manque de moyens.
Les moyens en terme de formation sont extrêmement faibles :
• nombre d’heures de formations dispensées, Des moyens extrêmement faibles : 7,5 heures en moyenne par détenu.e inscrit.e au centre scolaire – 20% de la population carcérale. Une tranche horaire liée aux activités d’enseignement extrêmement réduite dans la plupart des établissements, entre 9 et 11h30 et entre 13h30 /17h ce qui met l’enseignement en concurrence avec toutes les autres « activités » : parloir, travail, visite avocat.e.s, suivi psychologique, etc..
• peu de personnels,
• Des difficultés matérielles : absence de locaux, ou locaux inadaptés (bruits, odeurs), pas de matériels, ou très compliqué à obtenir. Des centres de ressources insuffisants. Le cloisonnement entre les différents services en particulier entre le service scolaire et les bibliothèques est extrêmement dommageable au développement d’actions concertées. Le centre de documentation est bien souvent insuffisant, (40 m² en moyenne seulement), rarement ouvert et peu accessible. Le ou la détenu.e qui souhaite se rendre à la bibliothèque doit le justifier et sacrifier cette « activité » à une promenade ou un parloir. Les centres de documentation sont de plus sous –dotés à l’aide de dons ou de maigres subventions.
L’accès à l’enseignement en prison : un privilège ou une obligation d’activité, pas un droit.
Enfin, et c’est certainement le pire ennemi de l’enseignement en prison, il est considéré comme un privilège et non comme un droit. En théorie seul.e.s les détenu.e.s qui commettent une faute disciplinaire peuvent être exclu.e.s de cours pendant un mois, dans la réalité, c’est tout un système de privilège qui est mis en place, puisque l’accès à l’enseignement est considéré comme un droit qui se mérite, donc réservé aux détenu.e.s offrant des contre parties : calmes et discipliné.e.s. Le mode de recrutement est donc extrêmement sélectif – d’autant qu’il y a peu de places, vus les très faibles moyens dont sont dotés les UPR, en terme de personnels et de dotations horaires globales.
Une offre de formation très peu diversifiée, très variable et quasi inexistante dans le supérieur.
Enfin faute de moyens, l’offre de formation en prison est très hétérogène d’un établissement pénitentiaire à l’autre, ce qui ne permet pas des orientations véritablement choisies. On note en particulier que les femmes, très peu nombreuses, sont de fait extrêmement discriminées en termes d’offre de formation. De plus l’accent mis sur la lutte contre l’illettrisme, laisse de côté les autres formations possibles en particulier les formations du secondaire mais surtout celles du supérieur, notamment universitaires. Une seule université en France se charge d’assurer des cours en prison, grâce à une section dite des « étudiants empêchés » : l’Université Paris VII Diderot, dans quatre établissements pénitentiaires : Fresnes, Poissy, la Santé et Osny et dans deux disciplines, Lettres moderne et Lettres et Sciences humaines, c’est évidemment beaucoup trop peu. L’enseignement en Histoire n’est plus assuré depuis quelques années, fautes de moyens. Ailleurs, les candidat.e.s doivent faire appel à des formations par correspondance. Cet enseignement à distance ne peut pas remplacer l’enseignement en présentiel et n’en constitue qu’un pis-aller, en particulier pour des étudiant.e.s détenu.e.s. L’école est censée – en prison comme ailleurs- être un lieu de socialisation mais également d’émancipation, de valorisation de soi, d’ouverture au monde et de stimulation intellectuelle, qui prend sens dans un cadre collectif. De plus cette formation à distance a un coût : faible (20 euros d’inscription et coût des courriers) pour 50% des détenu.e.s inscrit.e.s qui bénéficient d’enseignement par l’association Auxilia, constituée de professeurs bénévoles. Beaucoup plus cher pour tous ceux et celles qui doivent s’inscrire au CNED ou dans d’autres structures qui proposent des formations professionnelles. Le coût de certaines formations constitue une limite forte dans un certain nombre de cas. Si une aide de la part de l’administration pénitentiaire est possible, elle est cependant limitée, et dépend de son bon vouloir et des ressources disponibles, ainsi que bien souvent du « mérite » du ou de la détenu.e.
L’inadaptation du cadre scolaire imposé par l’Education nationale au cadre pénitentiaire.
Pour un grand nombre de formations professionalisantes une difficulté se pose très fréquemment en prison : le conditionnement de l’obtention du diplôme au suivi d’un stage ou à l’utilisation de matériel dit sensible (informatique, fichiers mp3 et même, d’une manière dénoncée à plusieurs reprises par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, un simple accès à Internet..)
A cela s’ajoute l’inadéquation entre le calendrier scolaire et les vacances scolaires avec le temps carcéral, qui crée des ruptures dans l’enseignement et n’ont pas de sens.
Une école pour occuper, au détriment d’un enseignement émancipateur qui prend appui sur des pédagogies alternatives.
On retrouve dans les cours en milieu pénitentiaires les mêmes problèmes que dans nos écoles et nos établissements, de façon plus aigüe. Ici comme en milieu « ouvert », une autre conception de l’école est nécessaire. En effet, essentiellement parce que le personnel n’y est, dans son immense majorité, absolument pas formé, les pédagogies alternatives et émancipatrices qui seraient à même de permettre de bonnes conditions d’apprentissage et d’épanouissement ne sont mises en place que de façon exceptionnelle : tant en ce qui concerne les méthodes et techniques éducatives que le type de relation éducative mise en place. Pourtant dans la grande majorité des cas, cet enseignement est tout à fait spécifique puisqu’il s’adresse à un public adulte, qui possède déjà un savoir bien ancré. Il est donc contre productif, comme cela se fait aujourd’hui de reprendre quasiment à l’identique les programmes du cursus primaire et secondaire classique, et il est absolument nécessaire d’adapter l’enseignement. Au-delà de la nécessaire adaptation des pratiques pédagogiques, il est nécessaire dans un cadre aussi « disciplinant » et infantilisant que la prison, que l’école puisse être le lieu d’une expérience politique émancipatrice qui permette au/à la détenu.e l’exercice de leur citoyenneté : et donc notamment leur droit à la syndicalisation, comme dans le milieu étudiant dit « ordinaire », et leur droit à la participation à l’organisation du cadre d’apprentissage. Dans les faits, en prison, l’école sert surtout à rendre plus supportable les conditions – terribles – d’incarcération. Des moyens sont nécessaires pour dépasser cette fonction trop occupationnelle des centres scolaires en prison.
Sud Education revendique :
Une autre conception de l’école en prison : une école qui soit considérée comme un droit, ni comme un privilège, ni comme une obligation d’activité parmi d’autres entrant dans le système infantilisant de rétribution à travers des remises de peine.
De meilleures conditions d’apprentissage
• La présence, dans les centres pénitentiaires, mais dans des bâtiments à part, attachés au centre pénitentiaire, de locaux dédiés à la formation et à l’enseignement, qui permettent de suivre un cursus pour les détenu.e.s hors de la prison et qui permettent à celles et ceux qui en sont sortis de finir leur formation. Des locaux adaptés, d’une surface suffisante, et qui permettent de bonnes conditions d’enseignement (matériel pédagogique informatique, manuels, calme). La localisation de l’école, en dehors de la prison, dans un lieu intermédiaire, qui permette d’assurer la continuité de la formation, pour celles et ceux qui sont sortis de prisons en particulier et qui fasse de l’école un véritable lieu de contact avec le milieu dit « ordinaire »
• Un véritable centre de documentation qui puisse servir d’appui aux activités d’enseignement, dans le cadre d’un partenariat effectif. Ces bibliothèques devraient être suffisamment grandes pour se doter de fonds documentaires suffisants et diversifiés, et permettre l’aménagement d’espaces de consultation et d’échanges afin d’assurer correctement leur mission de soutien à l’enseignement.
• Une tranche horaire d’activité dédiée aux activités d’enseignement plus large, qui permette d’être moins en concurrence avec les autres activités (parloir, avocat, travail…)
• L’augmentation des moyens horaire de façon sensible, et des personnels à même de les assurer, puisque le nombre d’heures d’enseignement dispensées en moyenne pour les détenus inscrits est de 7,5 heures par semaine.
• L’amélioration substantielle des conditions d’incarcération qui permette aux détenu.e.s scolarisé.e.s de mener à bien leur formation.
• La gratuité de cet accès à l’enseignement, en particulier dans le cadre des formations dans le supérieur. Sud Education revendique un salaire étudiant à l’extérieur comme à l’intérieur de la prison.
• Une véritable coordination entre les centres scolaires, et les formateurs/trices extérieur.e.s (et la PJJ pour les mineur.e.s),
Une pédagogie émancipatrice et adaptée
• Une adaptation des programmes et des documents utilisés aux besoins des élèves adultes, afin que ceux-ci soient moins infantilisants, afin qu’ils puissent, tout simplement, choisir leur formation.
• Des conditions d’apprentissage qui permettent l’instauration d’un véritable suivi pédagogique, une continuité et une stabilité de la formation.
• Le développement des cours du supérieur donnés en prison, plutôt que le « tout enseignement à distance », qui n’a pas la même capacité de transmission.
• La possibilité pour les élèves et les étudiant.e.s engagé.e.s dans une formation de faire les stages nécessaires et d’avoir accès au matériel nécessaire en vue de l’obtention du diplôme.
• L’égal accès, quelque soit le centre pénitentiaire, à des formations diversifiées, diplômantes ou non.
• La possibilité pour les détenu.e.s de participer à l’élaboration des cours.
Un véritable statut d’étudiant.e.s pour les détenu.e.s inscrit.e.s en formation
• Le droit à la syndicalisation et à l’information syndicale ainsi que la participation aux instances qui décident des modalités d’organisation du centre scolaire
• Election de représentant.e.s des élèves ou, à défaut, participation d’association les représentant dans les différentes instances.
Zapatisme et internationalisme
Sud éducation adhère à la Sixième déclaration de la Forêt Lacandone
En 2005, 20 ans après la naissance de l’organisation, et 10 ans après le soulèvement en armes au Chiapas (Mexique), les zapatistes ont appelé largement à signer leur Sixième Déclaration de la Forêt Lacandone.
Le 21 décembre 2012, les zapatistes, qui poursuivent en toute discrétion leur lutte pour l’autonomie, la démocratie, la liberté et la justice, se sont à nouveau manifestés aux yeux du monde. Le jour de la soi-disant « fin du monde », 40 000 zapatistes ont défilé en silence absolu dans 5 des principales villes du Chiapas, en passant tou-tes sur une estrade : pas de tribune réservée à certain-es, pas de leader, tou-tes les zapatistes décident de leur destin. Après les passe-montagnes pour être reconnus, le silence pour être entendu…
Le 30 décembre 2012, les zapatistes annoncent qu’ils souhaitent réactiver leur réseau national et international dans le cadre de la Sixième Déclaration de la Forêt Lacandone. Après la publication d’une série de textes début 2013 (« Eux et nous »), ils ont invité les organisations et personnes de leur réseau à participer à la « Petite École », l’école de la liberté selon les Zapatistes. SUD éducation et Solidaires y ont été invitées et ont participé à une des trois sessions en 2013. Pendant une semaine, des milliers de personnes ont pu partager le quotidien des zapatistes dans leurs communautés et ainsi apprendre comment ils et elles construisent l’autonomie dans la résistance.
Contre l’exploitation, la résistance
Ce texte présente leur analyse de la situation actuelle : « nous disons que la globalisation néolibérale est une guerre de conquête du monde, une guerre mondiale, une guerre que fait le capitalisme pour dominer mondialement. (…) le capitalisme de la globalisation néolibérale se fonde sur l’exploitation, le pillage, le mépris et la répression contre ceux qui ne se laissent pas faire. C’est-à-dire comme avant, mais maintenant globalisé, mondial. »
« Mais ce n’est pas si facile pour la globalisation néolibérale, parce que les exploités de chaque pays ne se laissent pas faire et ne se résignent pas, mais se rebellent ; (…) comme il y a une globalisation néolibérale, il y a une globalisation de la rébellion. (…) nous voyons que dans notre pays, il y a beaucoup de gens qui ne se laissent pas faire, qui ne se rendent pas, qui ne se vendent pas. Autrement dit, des gens dignes. »
Pour une autre politique
Il s’agit d’une déclaration qui s’adresse aussi à nous, syndicats de transformation sociale. Cette déclaration affirme notamment : « Dans le monde, nous allons davantage fraterniser avec les luttes de résistance contre le néolibéralisme et pour l’humanité. Et nous allons soutenir, bien que ce soit peu de chose, ces luttes. Et nous allons, dans le respect mutuel, échanger nos expériences, histoires, idées, rêves. Nous avançons vers la démocratie, la liberté et la justice pour ceux à qui elles sont niées. Nous avançons avec une autre politique, pour un programme de gauche et pour une nouvelle constitution. »
L’appel de cette Déclaration résonne ici et là-bas : « Nous demandons aux hommes et aux femmes qui ont une bonne pensée dans leur cœur, qui sont d’accord avec notre parole et qui n’ont pas peur, ou qui ont peur mais qui se contrôlent, qu’ils déclarent publiquement s’ils sont d’accord avec cette idée que nous déclarons et nous allons ainsi voir tout de suite avec qui et comment et où et quand va se faire ce nouveau pas dans la lutte. »
Sud éducation adhère à la Sixième Déclaration
La Sexta a permis aux résistances et aux luttes anticapitalistes au Mexique de se rencontrer et de se mettre en réseau. Ce réseau se structure surtout autour du Conseil National Indigène et mène des luttes contre la répression et pour la libération des prisonniers. Un réseau international existe, essentiellement autour des collectifs de solidarité en Europe et de syndicats tels que la CGT espagnole et la CNT en France, mais reste fragile. Les communautés zapatistes poursuivent leur lutte pour leur autonomie et, dans un contexte de recrudescence du harcèlement et de la répression, nous avons besoin, plus que jamais, d’être unis et solidaires.
Dans la continuité du travail déjà engagé auprès des zapatistes, SUD Éducation rejoint ce réseau international de lutte en adhérant, en tant qu’organisation syndicale, à la Sixième Déclaration internationale.
Annexe
Sixième Déclaration de la Forêt Lacandone
ARMÉE ZAPATISTE DE LIBÉRATION NATIONALE. MEXIQUE
Ceci est notre parole simple qui cherche à toucher le cœur des gens modestes et simples comme nous, mais aussi comme nous, dignes et rebelles. Ceci est notre parole simple pour parler de ce qui a été notre parcours et où nous nous trouvons aujourd’hui, pour expliquer comment nous voyons le monde et notre pays, pour dire ce que nous pensons faire et comment nous pensons le faire, et pour inviter d’autres personnes à marcher avec nous dans quelque chose de très grand qui s’appelle Mexique et quelque chose de plus grand encore qui s’appelle monde. Ceci est notre parole simple pour faire savoir à tous les cœurs qui sont honnêtes et nobles, ce que nous voulons au Mexique et dans le monde. Ceci est notre parole simple, parce que c’est notre idée d’appeler ceux qui sont comme nous et nous unir à eux, où qu’ils vivent et luttent.
I. CE QUE NOUS SOMMES
Nous sommes les zapatistes de l’EZLN, bien qu’on nous appelle aussi « néo-zapatistes ». Bon, eh bien nous les zapatistes de l’EZLN nous avons pris les armes en janvier 1994 parce que nous avons vu qu’il y en avait assez de tant de malveillances des puissants, qui ne font que nous humilier, nous voler, nous emprisonner, et nous tuer, et que personne ne dit ni ne fait rien. C’est pour ça que nous avons dit « ¡Ya Basta ! » (Ça suffit), autrement dit que nous n’allons plus permettre qu’ils nous amoindrissent et nous traitent pire que des animaux. Et ainsi, nous avons aussi dit que nous voulons la démocratie, la liberté et la justice pour tous les Mexicains, bien que nous nous soyons concentrés sur les peuples indiens. Parce qu’il se trouve que nous l’EZLN, sommes presque tous de purs indigènes d’ici, du Chiapas, mais nous ne voulons pas lutter seulement pour notre bien ou seulement pour le bien des indigènes du Chiapas, ou seulement pour les peuples indiens du Mexique, mais que nous voulons lutter ensemble avec tous ceux qui sont modestes et simples comme nous et qui ont de grands besoins et qui souffrent de l’exploitation et des vols des riches et de leurs mauvais gouvernements ici dans notre Mexique et dans d’autres pays du monde.
Et alors notre petite histoire est que nous nous sommes fatigués de l’exploitation des puissants et ainsi nous nous sommes organisés pour nous défendre et pour lutter pour la justice. Au début nous ne sommes pas beaucoup, à peine quelques-uns allant d’un côté à l’autre, parlant et écoutant d’autres personnes comme nous. C’est ce que nous avons fait pendant de nombreuses années et nous l’avons fait en secret, sans faire de raffut. Autrement dit, nous avons uni notre force en silence. Nous avons passé à peu près dix ans comme ça, et après nous avons grandi et nous étions déjà plusieurs milliers. Alors nous nous sommes bien préparés avec la politique et les armes, et soudain, quand les riches fêtaient le nouvel an, eh bien nous les avons rejoints dans leurs villes et nous les avons prises, et nous leur avons dit à tous que nous sommes là, qu’ils doivent nous prendre en compte. Et alors les riches ont eu la peur de leur vie et nous ont envoyé leurs grandes armées pour nous achever, comme ils le font toujours quand les exploités se rebellent, et qu’ils les font tous disparaître. Mais ils ne nous ont pas achevés, parce que nous nous sommes très bien préparés avant la guerre et nous sommes entraînés dans nos montagnes. Et là-bas les armées nous cherchaient et nous envoyaient leurs bombes et balles, et ils étaient déjà en train de faire leurs plans de tuer une fois pour toutes tous les indigènes parce qu’ils ne distinguent pas les zapatistes des autres. Et nous, courant et combattant, combattant et courant, comme l’ont fait nos ancêtres. Sans nous donner, sans nous rendre, sans nous dérouter.
Et c’est alors que les gens des villes sont descendus dans les rues et ont commencé avec leurs clameurs pour que la guerre s’arrête. Et alors nous avons arrêté notre guerre et les avons écoutés, ces frères et sœurs de la ville, qui nous disent d’essayer de trouver un arrangement, enfin, un accord avec les mauvais gouvernements pour que le problème soit résolu sans massacre. Et nous avons tenu compte des gens, parce que ces gens sont comme on dit « le peuple », enfin, le peuple mexicain. Ainsi nous avons mis de côté le feu et nous avons fait sortir la parole.
Et il se trouve que les gouvernements ont dit que oui, ils vont bien se conduire et vont dialoguer et vont faire des accords et vont tenir ces promesses. Et nous avons dit que c’était bien, mais nous avons aussi pensé que c’était bien de connaître ces gens qui sont descendus dans les rues pour arrêter la guerre. Alors, pendant que nous étions en train de dialoguer avec les mauvais gouvernements, nous avons aussi parlé à ces personnes et nous avons vu que la majorité était des gens modestes et simples comme nous, et nous avons bien compris pourquoi nous luttions, eux et nous. Et à ces gens nous les avons appelés « société civile » parce que la majorité n’était pas de gens de partis politiques, mais étaient des gens comme ça, courants et ordinaires, comme nous, des gens simples et modestes.
Mais il se trouve que les mauvais gouvernements ne voulaient pas de bon arrangement, et c’était seulement une ruse de dire que nous allions parler et trouver un accord, et ils préparaient leurs attaques pour nous éliminer une fois pour toutes. Et alors ils nous ont attaqués plusieurs fois, mais ils ne nous ont pas vaincus parce que nous avons bien résisté et beaucoup de gens dans le monde entier se sont mobilisés. Et alors les mauvais gouvernements ont pensé que le problème est que beaucoup de gens voient ce qui se passe avec l’EZLN, et ont commencé à faire comme s’il ne se passait rien. Et pendant ce temps-là, il nous encerclaient, nous assiégeaient, et ont attendu que, comme de fait nos montagnes sont isolées, les gens oublient parce que la terre zapatiste est lointaine. Et régulièrement, les mauvais gouvernements nous ont mis à l’épreuve, ont essayé de nous mentir ou nous ont attaqués, comme en février 1995 quand ils nous ont envoyé une grande quantité d’armées mais ne nous ont pas vaincus. Parce que, comme ils disent parfois, nous n’étions pas seuls et beaucoup de gens nous ont soutenus et nous avons bien résisté.
Et ainsi les mauvais gouvernements ont dû passer des accords avec l’EZLN, et ces accords s’appellent “Accords de San Andrés” parce que “San Andrés” est le nom de la commune où ont été signés ces accords. Et dans ces discussions nous n’étions pas tout seuls à parler avec le mauvais gouvernement, mais nous avons invité beaucoup de gens et d’organisations qui étaient ou sont en lutte pour les peuples indiens du Mexique, et tous avaient la parole et tous ensemble nous avons convenu de ce que nous allions dire aux mauvais gouvernements. Et ainsi a été ce dialogue, où ne se trouvaient pas seulement les zapatistes d’un côté et les gouvernements de l’autre, sinon qu’avec les zapatistes se trouvaient les peuples indiens du Mexique et ceux qui les soutiennent. Et alors dans ces accords, les mauvais gouvernements ont dit que oui, ils allaient reconnaître les droits des peuples indiens du Mexique et respecter leur culture, et en faire une loi dans la Constitution. Mais après avoir signé, les mauvais gouvernements ont fait comme s’ils avaient oublié et plusieurs années sont passées et ces accords n’ont jamais été respectés. Au contraire, le gouvernement a attaqué les indigènes pour qu’ils reculent dans la lutte, comme le 22 décembre 1997, date à laquelle Zedillo a fait assassiner quarante-cinq hommes, femmes, anciens et enfants dans le village du Chiapas qui s’appelle ACTEAL. Ce crime atroce ne s’oublie pas si facilement et c’est une preuve de la façon dont les mauvais gouvernements n’hésitent pas à attaquer et assassiner ceux qui se rebellent contre les injustices. Et pendant que tout cela survient, nous les zapatistes nous faisions tout pour que les accords soient respectés, en résistant dans les montagnes du Sud-Est mexicain. Et alors nous avons commencé à parler avec les autres peuples indiens du Mexique et leurs organisations et nous avons décidé avec eux que nous allions lutter ensemble pour la même chose, c’est-à-dire pour la reconnaissance des droits et de la culture indigènes. Et bon, nous ont aussi soutenus beaucoup de gens du monde entier et des personnes qui sont très respectées, dont la parole est très importante parce que ce sont de grands intellectuels, artistes, scientifiques du Mexique et du monde entier. Et nous avons aussi fait des rencontres internationales, où nous nous sommes réunis pour discuter avec des personnes d’Amérique et d’Asie et d’Europe et d’Afrique et d’Océanie, et nous avons connu leurs luttes et leurs manières d’agir, et nous avons dit que c’était des rencontres “intergalactiques” seulement pour être drôles et parce que nous avons aussi invité ceux qui viennent d’autres planètes mais il semble qu’ils ne soient pas arrivés ou peut-être qu’ils sont arrivés mais ne l’ont pas dit clairement.
Mais de toute façon les mauvais gouvernements ne tenaient pas leurs promesses et nous avons alors planifié de parler avec beaucoup de Mexicains pour qu’ils nous soutiennent. Et donc nous avons d’abord fait, en 1997, une marche sur Mexico qui s’appelait « des 1,111 » parce qu’y allait un compagnon ou une compagne de chaque village zapatiste, mais le gouvernement n’y a pas prêté attention. Puis, en 1999, nous avons fait une consultation dans tout le pays et on a vu que la majorité était d’accord avec les réclamations des peuples indiens, mais les mauvais gouvernements n’y ont pas non plus prêté attention. Et enfin, en 2001, nous avons fait ce qui s’est appelé « la marche pour la dignité indigène » qui a reçu un grand soutien de millions de Mexicains et d’autres pays, et est arrivée jusqu’aux députés et sénateurs, c’est-à-dire au Congrès de l’Union, pour exiger la reconnaissance des indigènes mexicains.
Mais finalement non, les politiques du parti PRI, du parti PAN et du parti PRD se sont mis d’accord entre eux et n’ont tout simplement pas reconnu les droits et la culture indigènes. C’était en avril 2001 et là les politiques ont démontré clairement qu’ils n’avaient aucune décence et sont insolents, qu’ils ne pensent qu’à gagner leur bon argent en mauvais gouvernants qu’ils sont. Cela il faut s’en souvenir parce que vous allez voir qu’ils vont dire maintenant que oui, ils vont reconnaître les droits indigènes, mais c’est un mensonge pour que l’on vote pour eux, mais ils ont eu leur opportunité et ils n’ont pas tenu leur parole.
Et ainsi nous avons vu clairement que le dialogue et la négociation avaient été vains avec les mauvais gouvernements du Mexique. Autrement dit que ça ne sert à rien de parler avec les politiques parce que ni leur cœur ni leur parole ne sont loyaux, mais vicieux et menteurs, ne tenant pas leurs promesses. Ainsi, le jour où les politiques du PRI, PAN et PRD ont approuvé une loi qui ne sert à rien, ils ont démoli une fois pour toutes le dialogue et dit clairement que ce qu’ils accordaient et signaient n’avait pas d’importance parce qu’ils n’avaient pas de parole. Et alors nous n’avons plus pris contact avec les pouvoirs fédéraux parce que nous avons compris que le dialogue et la négociation avaient échoué à cause de ces partis politiques. Nous avons vu qu’ils se moquaient du sang, de la mort, de la souffrance, des mobilisations, des consultations, des efforts, des déclarations nationales et internationales, des rencontres, des accords, des signatures, des compromis. De cette manière, la classe politique n’a pas seulement fermé la porte, une fois de plus, aux peuples indiens, elle a aussi donné un coup fatal à la solution pacifique, discutée et négociée de la guerre. Et on ne peut plus croire non plus qu’ils tiennent leur promesse sur les accords obtenus avec qui que ce soit. Ceci pour que vous voyiez et compreniez ce qui nous est arrivé.
Et alors nous avons vu tout ça et nous avons pensé dans nos cœurs à ce que nous allions faire. Et la première chose que nous avons vue c’est que notre cœur n’est plus comme avant, quand nous avons commencé notre lutte, mais qu’il était plus grand parce que nous avons touché le cœur de beaucoup de gens généreux. Et nous avons aussi vu que notre cœur était plus abîmé, plus blessé. Et non pas blessé par la tromperie des mauvais gouvernements, mais parce que quand nous avons touché les cœurs des autres, nous avons aussi touché leurs douleurs. Comme si nous nous étions vus dans un miroir.
II. OÙ NOUS EN SOMMES MAINTENANT
Alors, comme zapatistes que nous sommes, nous avons pensé qu’il ne suffisait pas d’arrêter de dialoguer avec le gouvernement, mais qu’il était nécessaire de continuer la lutte malgré ces parasites fainéants de politiques. L’EZLN a donc décidé la mise en application, seule et de son côté (comme on dit « unilatérale » parce que d’un seul côté), des Accords de San Andrés à propos des droits et de la culture indigènes. Pendant quatre ans, de mi-2001 à mi-2005, nous nous sommes consacrés à ça et à d’autres choses que nous allons vous dire.
Bon, nous avons donc commencé à mettre en place les communes autonomes rebelles zapatistes, ce qui est la manière dont se sont organisés les villages pour gouverner et se gouverner, pour se rendre plus forts. Ce mode de gouvernement autonome n’a pas été inventé comme ça par l’EZLN, puisqu’il provient de plusieurs siècles de résistance indigène et de la propre expérience zapatiste, et c’est comme un auto-gouvernement des communautés. Autrement dit, personne ne vient de l’extérieur pour gouverner, mais les villages eux-mêmes décident, entre eux, qui gouverne et comment, et si ce dernier n’obéit pas, il est écarté. C’est-à-dire que si celui qui dirige n’obéit pas au village, on le renvoie, il perd son autorité et quelqu’un prend sa place.
Mais alors nous avons vu que les communes autonomes n’étaient pas à égalité, mais que certaines étaient plus avancées et avaient plus de soutien de la société civile, et d’autres étaient plus isolées. Il fallait donc s’organiser pour que ce soit plus juste. Et nous avons aussi vu que l’EZLN avec sa partie politico-militaire se mêlait de décisions qui concernaient les autorités démocratiques, comme on dit « civiles ». Et le problème c’est que la partie politico-militaire de l’EZLN n’est pas démocratique, parce que c’est une armée, et nous avons vu que ce n’était pas bien que le militaire soit en haut, et le démocratique en bas, parce que ce qui est démocratique ne doit pas se décider militairement, mais ce doit être l’inverse : autrement dit qu’en haut, le politique démocratique décide et en bas, le militaire obéit. Ou peut-être que c’est mieux qu’il n’y ait rien en bas mais que tout soit bien à plat, sans militaire, et c’est pour ça que les zapatistes sont des soldats, pour qu’il n’y ait pas de soldats. Bon, mais alors, pour ce problème, ce que nous avons fait a été de commencer à séparer ce qui est politico-militaire de ce que sont les formes d’organisations autonomes et démocratiques des communautés zapatistes. Et ainsi, des actions et des décisions qui avant étaient faites et prises par l’EZLN, sont passées petit à petit aux mains des autorités élues démocratiquement dans les villages. Bien sûr que c’est facile à dire, mais dans la pratique c’est compliqué, parce ce sont de nombreuses années, d’abord de préparation de la guerre, ensuite de guerre elle-même, et on s’habitue au politico-militaire. Mais quoi qu’il en soit nous l’avons fait parce que c’est notre manière de faire ce que l’on dit, parce que sinon, pourquoi va-t-on dire quelque chose que nous ne faisons pas ensuite.
C’est ainsi que sont nées les Assemblées de Bon Gouvernement, en août 2003, et avec elles on a continué avec l’auto apprentissage et l’exercice du « diriger en obéissant ».
Depuis, et jusqu’à mi-2005, la direction de l’EZLN n’a plus donné d’ordres sur les questions civiles mais a accompagné et soutenu les autorités élues démocratiquement par les peuples, et, en plus, a surveillé qu’on informait bien les populations et la société civile nationale et internationale des soutiens reçus et à quoi ils étaient utilisés. Et maintenant, nous transférons le travail de vigilance du bon gouvernement aux bases de soutien zapatistes, sous la forme de charges temporaires avec un roulement, de manière à ce que tous et toutes apprennent et effectuent cette tâche. Parce que nous pensons qu’un peuple qui ne surveille pas ses dirigeants est condamné à être esclave, et nous nous battons pour être libres, pas pour changer de maître tous les six mois.
L’EZLN, pendant ces 4 ans, a aussi fourni aux Assemblées de Bon Gouvernement et aux Communes Autonomes les soutiens et les contacts qui, dans tout le Mexique et le monde entier, ont été obtenus pendant ces années de guerre et de résistance. De plus, pendant ce temps, l’EZLN a constitué un soutien économique et politique qui permet aux communautés zapatistes d’avancer avec moins de difficultés dans la construction de leur autonomie et d’améliorer leurs conditions de vie. Ce n’est pas beaucoup, mais c’est bien plus que ce qu’il y avait avant le début du soulèvement, en janvier 1994. Si vous regardez une de ces études que font les gouvernements, vous allez voir que les seules communautés indigènes qui améliorent leurs conditions de vie, c’est-à-dire de santé, éducation, alimentation, habitation, ont été celles qui se trouvent en territoire zapatiste, comme nous appelons l’endroit où se trouvent nos peuples. Et tout cela a été possible grâce aux progrès des peuples zapatistes et le soutien très important qui a été reçu de personnes généreuses et nobles, que nous appelons « sociétés civiles », et de leurs organisations du monde entier. Comme si toutes ces personnes avaient rendu réelle l’idée qu’un « autre monde est possible », mais dans les faits, pas dans les bavardages.
Et alors les peuples ont eu de bonnes avancées. Maintenant il y a plus de compagnons et de compagnes qui apprennent à gouverner. Et bien que, petit à petit, plus de femmes prennent ces fonctions, on manque encore de respect pour les compagnes et elles devraient participer plus aux tâches de la lutte. Avec les Assemblées de Bon Gouvernement aussi, la coordination entre les communes autonomes et la résolution de problèmes avec d’autres organisations et avec les autorités gouvernementales officielles se sont améliorées. Il y a aussi eu des progrès dans les projets des communautés, et la répartition des projets et des soutiens de la société civile du monde entier est plus équitable : la santé et l’éducation se sont améliorées bien qu’il en manque encore autant pour arriver à ce que ça doit être, de même pour le logement et l’alimentation ; et dans certaines zones le problème de la terre a bien avancé puisque des terres récupérées aux grands propriétaires ont été réparties, même s’il reste des zones qui continuent de manquer de terres à cultiver. Il y a aussi eu des progrès dans le soutien de la société civile nationale et internationale, parce qu’avant chacun allait où il voulait, et maintenant les Assemblées de Bon Gouvernement les orientent où c’est nécessaire. Et pour les mêmes raisons, il y a partout plus de compagnons et de compagnes qui apprennent à se lier avec les personnes d’autres régions du Mexique et du monde, qui apprennent à respecter et exiger le respect, qui apprennent qu’il y a plusieurs mondes qui ont tous leur place, leur temps, leur manière, et qu’il faut donc se respecter mutuellement entre tous.
Bon, eh bien nous les zapatistes de l’EZLN nous avons consacré ce temps à notre principale force : les peuples qui nous soutiennent. Et ainsi, la situation s’est améliorée, et personne ne peut dire que l’organisation et la lutte zapatistes ont été vaines, puisque même s’ils nous éliminent complètement, notre lutte a servi à quelque chose.
Mais non seulement les peuples zapatistes ont grandi, mais l’EZLN aussi. Parce que ce qui s’est passé pendant ce temps, c’est que des nouvelles générations ont renouvelé toute notre organisation. Elles ont en quelque sorte donné une nouvelle force. Les commandants et commandantes, qui étaient adultes au début du soulèvement en 1994 ont aujourd’hui l’expérience acquise pendant douze ans de guerre et de dialogue avec des milliers d’hommes et de femmes du monde entier. Les membres du CCRI, la direction politique et organisatrice zapatiste, conseillent et orientent maintenant les nouveaux qui vont entrer dans la lutte et ceux qui vont prendre des postes de direction. Il y a déjà un moment que les « comités » (comme on les appelle ici) ont préparé toute une nouvelle génération de commandants et commandantes qui, après une période d’instruction et d’épreuves, commencent à connaître les tâches de gestion de l’organisation et à les accomplir. Et il se trouve aussi que nos insurgés, insurgées, miliciens, miliciennes, responsables locaux et régionaux, tout comme les bases de soutien, qui étaient jeunes au début du soulèvement, sont maintenant des hommes et des femmes mûres, des combattants vétérans, et des leaders naturels dans leurs unités et communautés. Et ceux qui étaient enfants en janvier 94, sont maintenant des jeunes qui ont grandi dans la résistance, et ont été formés pendant ces douze ans de guerre dans la digne rébellion soulevée par leur aînés. Ces jeunes ont une formation politique, technique et culturelle que nous n’avions pas, nous qui avons commencé le mouvement zapatiste. Cette jeunesse alimente aujourd’hui, toujours un peu plus, tant nos troupes que les postes de direction de l’organisation. Et bon, nous tous nous avons vu les mensonges de la classe politique mexicaine et la destruction que ses actions provoquent dans notre patrie. Et nous avons vu les grandes injustices et massacres que provoque la globalisation néo-libérale dans le monde entier. Nous reparlerons de ça après.
Ainsi, l’EZLN a résisté pendant douze ans de guerre, d’attaques militaires, politiques, idéologiques et économiques, de siège, de harcèlement, de persécution, et ils ne nous ont pas vaincus, nous ne nous sommes pas vendus ni rendus, et nous avons avancé. Plus de compagnons de nombreux endroits sont entrés dans la lutte, et ainsi, au lieu de nous affaiblir, après tant d’années, nous sommes devenus plus forts. Bien sûr qu’il y a des problèmes qui peuvent être résolus en séparant plus le politico-militaire du civil-démocratique. Mais il y a des choses, les plus importantes, que sont nos requêtes pour lesquelles nous luttons, qui n’ont pas réussi entièrement.
Selon notre pensée et ce que nous voyons dans notre cœur, nous sommes arrivés à un point au-delà duquel nous ne pouvons pas aller, et, en plus, il est possible que nous perdions tout ce que nous avons en restant où nous sommes et en ne faisant rien pour avancer. Autrement dit l’heure est arrivée de prendre des risques une nouvelle fois et faire un pas dangereux mais qui vaut la peine. Parce que peut-être unis avec d’autres secteurs sociaux qui ont les mêmes insuffisances que nous, il sera possible de trouver ce dont nous avons besoin et que nous méritons. Un nouveau pas en avant dans la lutte indigène n’est possible que si l’indigène s’unit aux ouvriers, paysans, étudiants, enseignants, employés… en fait les travailleurs de la ville et la campagne.
III.- COMMENT NOUS VOYONS LE MONDE
Maintenant nous allons vous expliquer comment nous, les zapatistes, nous voyons ce qui se passe dans le monde. Eh bien nous voyons que le capitalisme est le plus fort en ce moment. Le capitalisme est un système social, c’est-à-dire une forme selon laquelle dans une société sont organisées les choses et les personnes, et qui distingue ceux qui possèdent de ceux qui ne possèdent pas, ceux qui dirigent et ceux qui obéissent. Dans le capitalisme il y en a certains qui ont de l’argent, c’est-à-dire le capital et les usines et les commerces et les champs et beaucoup de choses, et d’autres qui n’ont rien, seulement leur force et leur savoir pour travailler ; et dans le capitalisme, ceux qui dirigent sont ceux qui ont l’argent et les choses, et ceux qui obéissent sont ceux qui n’ont rien d’autre que leur capacité de travail.
Ainsi le capitalisme signifie qu’il n’y en a que quelques-uns qui ont de grandes richesses, mais pas parce qu’ils ont gagné un prix ou qu’ils ont trouvé un trésor ou qu’ils ont hérité d’un parent, mais parce qu’ils obtiennent ces richesses en exploitant le travail de beaucoup de gens. Autrement dit, le capitalisme repose sur l’exploitation des travailleurs, ce qui veut dire qu’il pressure les travailleurs et leur prend tout ce qui peut lui rapporter. Cela se fait avec des injustices parce qu’il ne paye pas justement la besogne du travailleur, mais lui donne à peine un salaire pour qu’il puisse manger et se reposer un peu, et le jour suivant retourner travailler à l’exploitation, que ce soit à la campagne ou en ville.
Aussi le capitalisme s’enrichit en dépouillant, c’est-à-dire par le vol, puisqu’il prend aux autres ce qu’il désire, par exemple les terres et les richesses naturelles. Autrement dit, le capitalisme est un système où les voleurs sont libres, admirés et montrés en exemple.
Et, en plus d’exploiter et de dépouiller, le capitalisme réprime parce qu’il emprisonne et tue ceux qui se rebellent contre l’injustice.
Dans le capitalisme, ce qui l’intéresse le plus sont les marchandises, parce que quand on les achète et les vend, on s’enrichit. Ainsi le capitalisme convertit tout en marchandises : les personnes, la nature, la culture, l’histoire, la conscience. Selon le capitalisme, tout doit pouvoir s’acheter et se vendre. Et il cache tout derrière les marchandises pour que nous ne voyions pas l’exploitation. Alors les marchandises s’achètent et se vendent sur un marché. Et il se trouve que le marché, en plus de servir à acheter et à vendre, sert aussi à cacher l’exploitation des travailleurs. Par exemple, sur le marché, on voit le café déjà emballé, dans un petit sachet ou un flacon très joli, mais on ne voit pas le paysan qui a souffert pour récolter le café, et on ne voit pas l’exploitant qui lui a mal payé son travail, et on ne voit pas les travailleurs dans la grande entreprise qui emballent sans arrêt le café. Ou on voit un appareil pour écouter de la musique comme des cumbias, des rancheras ou des corridos ou selon les goûts de chacun, et on voit qu’il est bien parce qu’il a un bon son, mais on ne voit pas l’ouvrière de l’usine qui a bataillé de nombreuses heures pour souder les fils et les parties de l’appareil, et elle a été payée une misère, et elle habite loin de son lieu de travail, et elle dépense beaucoup d’argent pour s’y rendre, et en plus elle risque de se faire enlever, violer ou tuer comme ça arrive à Ciudad Juárez au Mexique.
Autrement dit, sur le marché on voit des marchandises, mais on ne voit pas l’exploitation avec laquelle elles ont été fabriquées. Et donc le capitalisme a besoin de beaucoup de marchés… ou d’un marché très grand, un marché mondial.
Ainsi, le résultat c’est que le capitalisme d’aujourd’hui n’est pas comme celui d’avant, quand les riches étaient contents d’exploiter les travailleurs dans leur pays, puisqu’il en est maintenant à une étape qui s’appelle Globalisation Néolibérale. Cette globalisation veut dire que les capitalistes dominent les travailleurs non seulement dans un ou plusieurs pays, mais qu’ils essayent de tout dominer dans le monde entier. Le monde, c’est-à-dire la planète Terre, on l’appelle aussi « globe terrestre », et c’est pour ça qu’on parle de « globalisation », autrement dit le monde entier.
Et le néolibéralisme, eh bien c’est l’idée que le capitalisme est libre de dominer le monde entier et tant pis, il faut se résigner et s’y conformer et ne pas faire de remous, c’est-à-dire ne pas se rebeller. En fait le néolibéralisme c’est comme la théorie, le plan, de la globalisation capitaliste. Et le néolibéralisme a des plans économiques, politiques, militaires et culturels. Dans tous ces plans, il s’agit de dominer tout le monde, et celui qui n’obéit pas est réprimé ou écarté pour qu’il ne transmette pas ses idées de rébellion à d’autres.
Donc, dans la globalisation néolibérale, les grands capitalistes qui vivent dans les pays puissants, comme les États-Unis, veulent que le monde entier se transforme en une grande entreprise où on produit des marchandises et en une sorte de grand marché. Un marché mondial, un marché pour tout acheter et tout vendre, et pour cacher l’exploitation de tout le monde. Alors les capitalistes globalisés se mêlent de tout, autrement dit vont dans tous les pays, pour faire leurs grandes affaires, c’est-à-dire leurs grandes exploitations. Et ils ne respectent rien et s’installent comme ils veulent. En fait, ils effectuent comme une conquête d’autres pays. C’est pour cela que nous les zapatistes, nous disons que la globalisation néolibérale est une guerre de conquête du monde, une guerre mondiale, une guerre que fait le capitalisme pour dominer mondialement. Et ainsi cette conquête se fait parfois avec des armées qui envahissent un pays et le conquièrent par la force. Mais d’autres fois c’est avec l’économie : les grands capitalistes investissent leur argent dans un autre pays ou lui prêtent de l’argent, mais avec la condition d’obéir à ce qu’ils disent. Ils arrivent aussi avec leurs idées, c’est-à-dire avec la culture capitaliste qui est la culture de la marchandise, du gain, du marché.
Donc celui qui fait la conquête, le capitalisme, fait comme il veut : il détruit et change ce qui ne lui plaît pas et élimine ce qui le gêne. Par exemple, ceux qui ne produisent ni n’achètent ni ne vendent les marchandises de la modernité ou ceux qui se rebellent à cet ordre, le gênent. Et ceux-là qui ne lui servent à rien, il les dédaigne. C’est pour ça que les indigènes gênent la globalisation néolibérale, et qu’ils sont dépréciés et qu’on veut les éliminer. Et le capitalisme néolibéral supprime aussi les lois qui ne le laissent pas faire ses nombreuses exploitations et avoir beaucoup de profits. Par exemple il impose qu’on puisse tout vendre et tout acheter, et comme le capitalisme a beaucoup d’argent, il achète tout. Le capitalisme semble ainsi vouloir détruire les pays qu’il conquiert avec la globalisation néolibérale, mais semble aussi vouloir remettre tout en ordre ou tout refaire mais à sa manière, c’est-à-dire de manière à en tirer des bénéfices sans qu’on le dérange. Alors la globalisation néolibérale ou capitaliste détruit ce qu’il y a dans ces pays, détruit leur culture, leur langue, leur système économique, leur système politique, et détruit même les modes de relations de ceux qui vivent dans ce pays. Autrement dit, tout ce qui fait qu’un pays est un pays est détruit.
Donc la globalisation néolibérale veut détruire les Nations du monde et qu’il ne reste qu’une seule Nation ou pays, celui de l’argent, du capital. Et le capitalisme veut que tout soit comme il veut, à sa manière, et ce qui est différent ne lui plaît pas, et il le poursuit, et il l’attaque ou le met à l’écart dans un recoin et fait comme s’il n’existait pas.
Alors, en résumé, comme on dit, le capitalisme de la globalisation néolibérale se fonde sur l’exploitation, le pillage, le mépris et la répression contre ceux qui ne se laissent pas faire. C’est-à-dire comme avant, mais maintenant globalisé, mondial.
Mais ce n’est pas si facile pour la globalisation néolibérale, parce que les exploités de chaque pays ne se laissent pas faire et ne se résignent pas, mais se rebellent ; et ceux qui sont de trop et gênants résistent et ne se laissent pas éliminer. C’est pour ça qu’on peut voir dans le monde entier ceux qui sont démunis résister pour ne pas se laisser faire, et se rebeller, et pas seulement dans un pays, mais partout ; ainsi, comme il y a une globalisation néolibérale, il y a une globalisation de la rébellion.
Et dans cette globalisation de la rébellion, il n’y a pas que les travailleurs des champs et de la ville, il y a aussi beaucoup d’autres personnes qui sont poursuivies et humiliées parce qu’elles ne se laissent pas non plus dominer, comme les femmes, les jeunes, les indigènes, les homosexuels, lesbiennes, transsexuels, les migrants et beaucoup d’autres groupes du monde entier, mais que nous ne voyons pas jusqu’à ce qu’ils crient qu’il y en a assez de ceux qui les méprisent, et qu’ils se soulèvent, et alors nous les voyons, et nous les entendons, et nous les connaissons.
Alors nous voyons que tous ces groupes de gens luttent contre le néolibéralisme, c’est-à-dire contre le plan de la globalisation capitaliste, et qu’ils luttent pour l’humanité.
Tout cela provoque en nous une grande frayeur en voyant la stupidité des néolibéraux qui veulent détruire toute l’humanité avec leurs guerres et leurs exploitations, mais aussi une grande satisfaction de voir que partout il y a des résistances et des rébellions, comme la nôtre qui est un peu petite, mais nous sommes là. Et nous voyons tout cela dans le monde entier et notre cœur apprend que nous ne sommes pas seuls.
IV.- COMMENT NOUS VOYONS NOTRE PAYS QUI EST LE MEXIQUE
Maintenant nous allons vous parler de ce que nous voyons se passer dans notre Mexique. Bon, eh bien ce que nous voyons c’est que notre pays est gouverné par les néolibéraux. C’est-à-dire que, comme nous l’avons expliqué, les dirigeants que nous avons sont en train de détruire ce qui est notre Nation, notre Patrie mexicaine. Et leur travail, de ces mauvais dirigeants, ce n’est pas d’envisager le bien-être du peuple, mais seulement de s’occuper de celui des capitalistes. Par exemple, ils font des lois comme celles du Traité de Libre Échange, qui laissent dans la misère beaucoup de Mexicains, que ce soit des paysans ou des petits producteurs, parce qu’ils sont « mangés » par les grandes entreprises agro-industrielles ; tout comme les ouvriers et les petits entrepreneurs parce qu’ils ne peuvent pas concurrencer les grandes transnationales qui s’installent sans que personne leur dise quoi que ce soit et on les remercie même, et elles imposent leurs bas salaires et leurs prix élevés. En fait, comme on dit, certaines des bases économiques de notre Mexique, qui étaient l’agriculture, l’industrie et le commerce nationaux, sont détruits et il ne reste que quelques vestiges qui vont sûrement aussi être vendus.
Et ce sont de grands malheurs pour notre Patrie. Parce que dans la campagne on ne produit plus les aliments, seulement ceux que vendent les grands capitalistes, et les bonnes terres sont volées astucieusement avec le soutien des politiques. Il se passe donc dans la campagne la même chose qu’à l’époque du Porfirismo, sauf qu’à la place des haciendas, il y a aujourd’hui des entreprises étrangères qui maintiennent la campagne dans la misère. Et où avant il y avait des crédits et des prix de protection, il n’y plus que des aumônes… et parfois même pas.
Du côté du travailleur de la ville, les usines ferment, et le laissent sans travail ou on ouvre ce que l’on appelle les maquiladoras, qui sont étrangères et qui payent une misère pour beaucoup d’heures de travail. Et peu importe le prix des produits dont la population a besoin, parce que, chers ou pas, personne ne peut se les payer. Et si quelqu’un travaillait dans une petite ou moyenne entreprise, eh bien il ne le peut plus maintenant, parce qu’elle a fermé ou a été rachetée par une grande transnationale. Et si quelqu’un avait un petit commerce, il a aussi disparu ou il s’est mis à travailler clandestinement pour les grandes entreprises qui l’exploitent cruellement, et font même travailler les enfants. Et si le travailleur était dans un syndicat pour demander ses droits légalement, eh bien non, maintenant même le syndicat lui dit qu’il faut supporter que le salaire ou la journée de travail baisse ou que des prestations soient supprimées, parce que sinon l’entreprise va fermer et partir dans un autre pays. Et après il y a aussi la « micro-échoppe », qui est en quelque sorte le programme économique du gouvernement pour que tous les travailleurs de la ville se mettent à vendre des chewing-gums ou des cartes téléphoniques au coin de la rue. Autrement dit, il n’y a que de la destruction économique aussi dans les villes.
Alors ce qui se passe, c’est que, comme l’économie de la population est pitoyable tant à la campagne qu’à la ville, eh bien beaucoup de Mexicains et Mexicaines doivent quitter leur Patrie, la terre mexicaine, et aller chercher du travail dans un autre pays, les États-Unis, et là-bas on ne les traite pas bien, ils sont exploités, persécutés et humiliés, parfois même tués.
Le néolibéralisme que nous imposent les mauvais gouvernements n’a pas amélioré l’économie, au contraire, la campagne est dans le besoin et dans les villes, il n’y a pas de travail. Et ce qui se passe, c’est que le Mexique se convertit en un lieu où naissent, vivent un temps puis meurent ceux qui travaillent pour la richesse des étrangers, principalement les riches gringos. C’est pour cela que nous disons que le Mexique est dominé par les États-Unis.
Bon, mais ce n’est pas tout ce qui se passe, le néolibéralisme a aussi changé la classe politique du Mexique ou plutôt les politiques, parce qu’ils sont devenus une sorte d’employés de magasin, qui doivent tout faire pour tout vendre et pas cher. D’ailleurs ils ont changé les lois pour enlever l’article 27 de la Constitution et faire en sorte que les terres ejidales [propriétés partagées pour leur exploitation, ndt] et communales puissent être vendues. C’était Salinas de Gortari, et lui et sa bande ont dit que c’était pour le bien de la campagne et du paysan, et que ce dernier va ainsi prospérer et vivre mieux. Est-ce que ça a été le cas ? La campagne mexicaine est pire que jamais et les paysans plus miséreux qu’à l’époque de Porfirio Díaz. Et ils ont aussi dit qu’ils allaient privatiser c’est-à-dire vendre aux étrangers les entreprises de l’État pour soutenir le bien-être de la population. Parce qu’elles ne fonctionnent pas bien et qu’elles doivent être modernisées, et qu’il valait mieux les vendre. Mais, au lieu de progresser, les droits sociaux qui ont été acquis à la révolution de 1910 font aujourd’hui pitié… et enrager. Et ils ont dit aussi qu’il faut ouvrir les frontières pour que tout le capital étranger entre, qu’ainsi les entrepreneurs mexicains vont se presser à mieux faire les choses. Mais maintenant nous voyons qu’il n’y a plus d’entreprises nationales, les étrangers ont tout avalé, et ce qu’ils vendent est pire que ce qui se faisait au Mexique.
Et bon, maintenant les politiques mexicains veulent aussi vendre PEMEX, c’est-à-dire le pétrole qui appartient aux Mexicains, et la seule différence c’est que certains disent qu’ils vendent tout et d’autres seulement une partie. Et ils veulent aussi privatiser la sécurité sociale, et l’électricité, et l’eau, et les forêts, et tout, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus rien du Mexique et que notre pays ne soit plus qu’un terrain vague ou un lieu pour les loisirs des riches du monde entier, et que les Mexicains et Mexicaines soyons comme leurs subordonnés, attentifs à ce que nous pouvons leur offrir, vivant mal, sans racines, sans culture, sans Patrie.
Autrement dit, les néolibéraux veulent tuer le Mexique, notre patrie mexicaine. Et les partis politiques électoraux non seulement ne le défendent pas, mais sont les premiers à se mettre au service des étrangers, principalement des États-Unis, et sont ceux qui se chargent de nous tromper, nous faisant regarder de l’autre côté pendant qu’ils vendent tout et restent avec le profit. Tous les partis politiques électoraux qu’il y a aujourd’hui, pas seulement certains. Réfléchissez s’ils ont fait quelque chose de bien et vous verrez que non, seulement des vols et des arnaques. Et voyez comment les politiques électoraux ont toujours leurs belles maisons, et leurs belles voitures, et leur luxe. Et ils veulent encore que nous les remerciions, et que nous votions de nouveau pour eux. Et c’est que clairement, comme ils disent parfois, ils n’ont pas honte [littéralement, « ils n’ont pas de mère » ndt]. Et ils ne l’ont pas parce que de fait ils n’ont pas de Patrie, ils n’ont que des comptes bancaires.
Et nous voyons aussi que le narcotrafic et les crimes augmentent. Et parfois nous pensons que les criminels sont comme on les montre dans les chansons (corridos) et les films, et peut-être que certains le sont, mais ce ne sont pas les vrais chefs. Les vrais chefs sont bien habillés, ont fait leurs études à l’étranger, sont élégants, ne se cachent pas mais mangent dans de bons restaurants et font la une des journaux, bien beaux et bien habillés dans leurs fêtes ; ce sont, comme on dit, des « gens biens », et certains sont même des dirigeants, députés, sénateurs, secrétaires d’État, entrepreneurs prospères, chefs de police, généraux.
Nous sommes en train de dire que la politique ne sert à rien ? Non, ce que nous voulons dire c’est que CETTE politique ne sert à rien. Et elle ne sert à rien parce qu’elle ne tient pas compte du peuple, ne l’écoute pas, ne s’en occupe pas, elle ne s’en rapproche qu’au moment des élections, et il n’y a même plus besoin de votes, les sondages suffisent pour dire qui a gagné. Et donc, ce ne sont que des promesses pour dire qu’ils vont faire plein de choses, et après, salut, et on ne les revoit plus, seulement aux informations pour dire qu’ils ont volé beaucoup d’argent et qu’il ne va rien leur arriver parce que la loi, que ces mêmes politiques ont faite, les protège.
Parce que c’est ça le problème, c’est que la Constitution est complètement trafiquée et changée. Ce n’est plus celle des droits et des libertés du peuple travailleur, mais celle des droits et des libertés des néolibéraux pour obtenir leurs grands profits. Et les juges sont là pour servir ces néolibéraux, parce qu’ils les défendent toujours, et ceux qui ne sont pas riches ont droit aux injustices, aux prisons, aux cimetières.
Bon eh bien même malgré cette confusion que font régner les néolibéraux, il y a des Mexicains et des Mexicaines qui s’organisent, luttent et résistent.
Et ainsi nous avons su qu’il y a des indigènes, que leurs terres sont loin d’ici, du Chiapas, et qu’ils sont autonomes et défendent leur culture et prennent soin de la terre, des forêts, de l’eau.
Et il y a des travailleurs de la campagne, des paysans donc, qui s’organisent et font des manifestations et des mobilisations pour exiger des crédits et des soutiens à l’agriculture.
Et il y a des travailleurs de la ville qui ne permettent pas qu’on leur retire leurs droits ou qu’on privatise leur travail, mais protestent et se manifestent pour qu’on ne leur retire pas le peu qu’ils ont et qu’on ne retire pas au pays ce qui est à lui de fait, comme l’électricité, le pétrole, la sécurité sociale, l’éducation.
Et il y a des étudiants qui ne permettent pas qu’on privatise l’éducation et luttent pour qu’elle soit gratuite et populaire et scientifique, autrement dit qu’elle ne soit pas payante, que tout le monde puisse apprendre, et que dans les écoles on n’enseigne pas de stupidités.
Et il y a des femmes qui ne permettent pas qu’on les traite comme des objets ou qu’on les humilie et les méprise simplement parce qu’elles sont des femmes, mais s’organisent et luttent pour le respect qu’elles méritent en tant que femmes.
Et il y a des jeunes qui n’acceptent pas qu’on les abrutisse avec les drogues ou qu’on les harcèle pour leurs manières d’être, mais prennent conscience avec leur musique et leur culture, leur rébellion en fait.
Et il y a des homosexuels, lesbiennes, transsexuels et des gens ayant beaucoup d’autres pratiques, qui n’acceptent pas qu’on se moque d’eux, et les méprise, et les maltraite, et parfois les tue parce qu’ils ont une pratique différente, et qu’on les traite d’anormaux ou de délinquants, mais s’organisent pour défendre leur droit à la différence.
Et il y a des prêtres et des religieuses et ceux qu’on appelle les séculiers, qui ne sont ni avec les riches ni résignés dans la prière, mais s’organisent pour accompagner les luttes des peuples.
Et il y a ceux qu’on appelle les travailleurs sociaux, qui sont des hommes et des femmes qui ont passé toute leur vie à lutter pour le peuple exploité, et ce sont les mêmes qui participent aux grandes grèves et aux actions ouvrières, aux grandes mobilisations citoyennes, aux grands mouvements paysans, et qui ont souffert les grandes répressions, et quoi qu’il en soit, bien que certains soient âgés, ils ne renoncent pas, et vont de tous côtés cherchant la lutte, l’organisation, la justice et ils mettent en place des organisations de gauche, des organisations non-gouvernementales, des organisations des droits humains, des organisations de défense des prisonniers politiques et de retour des disparus, des publications de gauche, des organisations d’enseignants ou d’étudiants, autrement dit la lutte sociale, et même des organisations politico-militaires, et ils ne s’arrêtent jamais, et beaucoup savent parce qu’ils ont vu, et entendu, et vécu et lutté.
Et ainsi en général, nous voyons que dans notre pays, qui s’appelle le Mexique, il y a beaucoup de gens qui ne se laissent pas faire, qui ne se rendent pas, qui ne se vendent pas. Autrement dit, des gens dignes. Et nous sommes très contents et heureux parce qu’avec tous ces gens, les néolibéraux ne vont pas gagner si facilement, et peut-être que nous arriverons à sauver notre Patrie des grands vols et destructions qu’ils réalisent. Et nous espérons que notre « nous » pourra inclure toutes ces rebellions…
V.- CE QUE NOUS VOULONS FAIRE
Bon, eh bien maintenant nous allons vous dire ce que nous voulons faire dans le monde et au Mexique, parce que nous ne pouvons pas regarder tout ce qui se passe sur notre planète et seulement rester muets, comme si nous étions les seuls à en être là.
Ainsi, dans le monde, ce que nous voulons, c’est dire à tous ceux qui résistent et luttent à leurs manières et dans leurs pays qu’ils ne sont pas seuls, que nous, les zapatistes, même si nous sommes tout petits, nous vous soutenons et nous allons voir comment nous pouvons vous aider dans vos luttes et parler avec vous pour apprendre, parce que, de fait, ce que nous avons appris, c’est à apprendre.
Et nous voulons dire aux peuples latino-américains que c’est pour nous une fierté d’être une partie de vous, même petite. Nous nous sommes si bien entendu quand il y a quelques années le continent s’illuminait et une lumière s’appelait Che Guevara, et avant s’appelait Bolívar, parce que parfois les peuples prennent un nom pour dire qu’ils prennent un étendard.
Et nous voulons dire au peuple de Cuba, qui résiste depuis de nombreuses années à sa manière, que vous n’êtes pas seuls et que nous ne sommes pas d’accord avec le blocus que vous subissez, et que nous allons voir comment vous envoyer quelque chose, même si ce n’est que du maïs, pour votre résistance. Et nous voulons dire au peuple nord-américain, que nous ne mélangeons pas et savons que vos mauvais gouvernements qui nuisent à tout le monde sont une chose, et qu’une autre très différente sont les nord-américains qui luttez dans votre pays et êtes solidaires des luttes des autres peuples. Et nous voulons dire aux frères et sœurs Mapuche, au Chili, que nous voyons et apprenons de vos luttes. Et aux Vénézuéliens que nous admirons comment vous défendez votre souveraineté c’est-à-dire le droit de votre Nation à décider dans quelle direction aller. Et aux frères et sœurs indigènes d’Équateur et de Bolivie, nous disons qu’à toute l’Amérique Latine vous nous donnez une bonne leçon d’histoire parce qu’enfin vous stoppez la globalisation néolibérale. Et aux piqueteros [chômeurs qui ont protesté depuis le début de la crise en 2001 en Argentine en bloquant les routes avec des barrages : les piquetes, ndt] et aux jeunes d’Argentine nous voulons dire ceci : que nous vous aimons. Et à ceux qui, en Uruguay veulent un meilleur pays, que nous vous admirons. Et à ceux qui sont sans terre au Brésil, que nous vous respectons. Et à tous les jeunes d’Amérique Latine, que c’est bien ce que vous êtes en train de faire et que ça nous donne un immense espoir.
Et nous voulons dire aux frères et sœurs de l’Europe Sociale, celle qui est digne et rebelle, que vous n’êtes pas seuls. Que vos grands mouvements contre les guerres néolibéralistes nous réjouissent beaucoup. Que nous regardons avec attention vos formes d’organisation et vos façons de lutter pour peut-être apprendre quelque chose. Que nous cherchons le moyen de vous soutenir dans vos luttes et que nous n’allons pas vous envoyer des euros parce qu’après ils sont dévalués à cause de l’imbroglio de l’Union Européenne, mais peut-être que nous allons vous envoyer de l’artisanat et du café pour que nous le commercialisiez afin d’aider vos activités pour la lutte. Et nous vous enverrons peut-être aussi du pozol [boisson fermentée à base de pâte de maïs, ndt] qui donne beaucoup de force dans la résistance, mais ce n’est peut-être pas une bonne idée parce que nous, nous sommes habitués au pozol mais ça pourrait vous rendre malades et vous affaiblir dans vos luttes et les néolibéralistes pourraient vous battre.
Et nous voulons dire aux frères et sœurs d’Afrique, d’Asie et d’Océanie que nous savons aussi que vous luttez et que nous voulons mieux connaître vos idées et vos expériences.
Et nous voulons dire au monde que nous voulons vous rendre grand, si grand que tous les mondes qui résistez puissiez y tenir parce que les néolibéraux veulent vous détruire et que vous ne vous laissez pas faire mais que vous luttez pour l’humanité.
Bon, eh bien au Mexique, ce que nous voulons faire c’est un accord avec des personnes et des organisations vraiment de gauche, parce que nous pensons que c’est dans la gauche politique que se trouve l’idée de résister contre la globalisation néolibérale, et faire un pays où il y ait, pour tous, justice, démocratie et liberté. Pas comme maintenant où il n’y a de justice que pour les riches, de liberté que pour les grandes entreprises et de démocratie que pour couvrir les murs avec de la propagande électorale. Et parce que nous pensons que c’est seulement de la gauche que peut émerger un plan de lutte pour que notre Patrie, qui est le Mexique, ne meure pas.
Alors, ce que nous pensons, c’est qu’avec ces personnes et organisations de gauche, nous devons faire un plan pour aller dans toutes les régions du Mexique où il y a des gens modestes et simples comme nous.
Et nous n’allons pas leur dire ce qu’ils doivent faire ou leur donner des ordres.
Et nous n’allons pas non plus leur demander de voter pour un candidat, puisque nous savons déjà qu’ils sont tous néolibéraux.
Nous n’allons pas non plus leur dire qu’ils fassent comme nous, ni qu’ils prennent les armes.
Ce que nous allons faire c’est leur demander comment est leur vie, leur lutte, leur pensée sur notre pays et ce que nous pouvons faire pour qu’ils ne nous battent pas.
Ce que nous allons faire c’est prendre la pensée des gens simples et modestes et peut-être y trouver le même amour que nous ressentons pour notre patrie.
Et peut-être que nous allons trouver un accord, nous tous qui sommes simples et modestes et, ensemble, nous organiser dans tout le pays et faire concorder nos luttes qui sont isolées pour le moment, éloignées les unes des autres, et trouver une sorte de programme qui comporte ce que nous voulons tous, et un plan disant comment nous allons faire pour que ce programme, qui s’appelle « programme national de lutte », se réalise.
Et alors, selon l’accord de la majorité de ces gens que nous allons écouter, eh bien nous allons former une lutte avec tous, avec les indigènes, ouvriers, paysans, étudiants, enseignants, employés, femmes, enfants, anciens, hommes et avec tous ceux qui ont un cœur généreux et l’envie de lutter pour qu’on ne finisse pas de détruire et vendre notre patrie qui s’appelle « Mexique » et qui se trouve entre le Rio Bravo et le Rio Suchiate, et qui a d’un côté l’Océan Pacifique et de l’autre l’Océan Atlantique.
VI.- COMMENT NOUS ALLONS FAIRE
Alors ceci est notre parole simple qui s’adresse aux gens modestes et simples du Mexique et du monde, et notre parole d’aujourd’hui, nous l’appelons :
Sixième Déclaration de la Forêt Lacandone.
Et nous sommes là pour dire, avec notre parole simple que…
L’EZLN maintient son compromis de cessez-le-feu offensif et ne fera aucune attaque contre les forces gouvernementales ni les mouvements militaires offensifs.
L’EZLN maintient encore son compromis d’insister sur la voie de la lutte politique avec cette initiative pacifique que nous commençons. De ce fait, l’EZLN continuera dans son idée de n’effectuer aucune sorte de relation secrète avec les organisations politico-militaires nationales ou d’autres pays.
L’EZLN réaffirme son compromis de défendre, soutenir et obéir aux communautés indigènes zapatistes qui le composent, et en est le commandement suprême, et, sans interférer dans ses processus démocratiques internes et dans la mesure de ses possibilités, de contribuer au renforcement de son autonomie, de son bon gouvernement et d’améliorer ses conditions de vie. Autrement dit, ce que nous allons faire au Mexique et dans le monde, nous allons le faire sans armes, avec un mouvement civil et pacifique, et sans négliger ni cesser de soutenir nos communautés.
Ainsi…
Dans le monde…
1.- Nous établirons plus de relations de respect et de soutiens mutuels avec des personnes et des organisations qui résistent et luttent contre le néolibéralisme et avec l’humanité.
2.- Dans la mesure de nos possibilités, nous enverrons des soutiens matériels comme des aliments et de l’artisanat pour les frères et sœurs qui luttent dans le monde entier.
Pour commencer, nous allons emprunter au Conseil de Bon Gouvernement de La Realidad le camion qui s’appelle « Chompiras » avec une capacité d’à peu près huit tonnes, et nous allons le remplir de maïs et peut-être de deux barils de 200 litres d’essence ou de pétrole, selon ce qui les arrange, et nous allons les remettre à l’ambassade de Cuba à Mexico pour qu’elle l’envoie au peuple cubain comme soutien des zapatistes pour leur résistance contre le blocus américain. Ou peut-être qu’il y a un endroit plus proche pour le remettre, parce que c’est toujours loin d’aller jusqu’à Mexico et si le « Chompiras » tombe en panne, nous n’allons pas tenir parole. Et ce sera d’ici à ce que la récolte du moment verdoie dans la milpa [champ de maïs, ndt] et si on ne nous attaque pas, parce que si nous envoyons les mois prochains, nous n’allons envoyer que des épis de maïs vert, et ça n’arrivera pas en bon état, ce sera donc mieux en novembre ou décembre.
Et nous allons aussi nous mettre d’accord avec les coopératives d’artisanat de femmes pour envoyer une bonne quantité de vêtements brodés aux Europes qui ne sont peut-être déjà plus une Union, et nous enverrons peut-être aussi du café organique des coopératives zapatistes, pour les vendre et gagner un peu pour leur lutte. Et si ça ne se vend pas, ils pourront toujours se boire un petit café et discuter de la lutte antinéolibérale, et s’il fait un peu froid, ils pourront mettre les vêtements brodés zapatistes qui résistent bien, même au lavage à la main, et en plus qui ne déteignent pas.
Et aux frères et sœurs indigènes de Bolivie et d’Équateur, nous allons aussi envoyer un peu de maïs non transgénique, c’est seulement que nous ne savons pas vraiment où le livrer pour qu’il arrive bien, mais nous sommes prêts à donner cette petite aide.
3.- Et à tous ceux et toutes celles qui résistent dans le monde entier, nous disons qu’il faut faire d’autres rencontres intercontinentales, enfin, au moins une. Peut-être en décembre de cette année ou en janvier prochain, il faut y réfléchir. Nous ne voulons pas décider précisément parce qu’il s’agit de nous mettre d’accord entre tous à propos d’où, de quand, de comment et de qui. Mais que ce ne soit pas avec une tribune où quelques-uns parlent et tous les autres écoutent, mais sans tribune, tous au même niveau et où tout le monde parle, mais avec de l’ordre parce que sinon ce n’est que boucan et on n’entend rien, et en plus, avec une bonne organisation, tout le monde écoute, et note dans ses carnets les paroles de la résistance des autres pour qu’après chacun en discute avec ses compagnons et compagnes dans leurs mondes. Et nous pensons que ça doit être dans un lieu qui ait une prison très grande, parce que s’ils nous répriment et nous emprisonnent, nous ne serons pas tous entassés et bien que prisonniers, ça oui, bien organisés, et là, dans la prison, nous continuerons la rencontre intercontinentale pour l’humanité et contre le néolibéralisme. Alors, là-bas, nous vous dirons comment faire pour nous mettre d’accord et comment nous allons nous mettre d’accord. Bon, c’est comme ça que nous pensons faire ce que nous voulons faire dans le monde. Et maintenant…
Au Mexique…
1. Nous allons continuer à lutter pour les peuples indiens du Mexique, mais plus seulement pour eux ni seulement avec eux, mais pour tous les exploités et dépossédés du Mexique, avec tous ceux-là et dans tout le pays. Et quand nous disons tous les exploités du Mexique, nous parlons aussi des frères et sœurs qui ont dû aller aux États-Unis chercher un travail pour pouvoir survivre.
2. Nous allons aller écouter et parler directement, sans intermédiaires ni médiations, avec les gens simples et modestes du peuple mexicain et, selon que nous allons écouter et apprendre, nous commencerons à élaborer, aux côtés de ces gens qui sont comme nous, modestes et simples, un programme national de lutte, mais un programme qui soit clairement de gauche, c’est-à-dire anticapitaliste et antinéolibéral, autrement dit pour la justice, la démocratie et la liberté pour le peuple mexicain.
3. Nous allons essayer de construire ou reconstruire une autre façon de faire de la politique, qui ait la conscience d’une manière ou d’une autre de servir les autres, sans intérêts matériels, avec sacrifice, avec dévouement, avec honnêteté, qui tienne parole, dont l’unique salaire soit la satisfaction du devoir accompli, autrement dit comme faisaient avant les militants de gauche que rien n’arrêtait, ni les coups, ni la prison ou la mort, encore moins avec les dollars.
4. Nous envisageons aussi de commencer une lutte pour demander l’élaboration d’une nouvelle Constitution, c’est-à-dire de nouvelles lois qui tiennent compte des requêtes du peuple mexicain qui sont par exemple : un toit, une terre, un travail, l’alimentation, la santé, l’éducation, l’information, la culture, l’indépendance, la démocratie, la justice, la liberté et la paix. Une nouvelle Constitution qui reconnaisse les droits et les libertés du peuple, et défende le faible face au puissant.
POUR CELA…
L’EZLN enverra une délégation de sa direction pour effectuer ce travail dans tout le territoire national et pour un temps indéfini. Cette délégation zapatiste, avec les organisations et personnes de gauche qui se joignent à cette Sixième Déclaration de la Forêt Lacandone, ira dans les lieux où elle sera expressément invitée.
Nous informons aussi que l’EZLN établira une politique d’alliances avec des organisations et des mouvements non électoraux qui se définissent, en théorie et en pratique, comme de gauche, en accord avec les conditions suivantes :
Ne pas faire d’accords du haut pour imposer en-bas, mais faire des accords pour aller ensemble écouter et organiser l’indignation ; ne pas organiser de mouvements qui soient ensuite négociés dans le dos de ceux qui les font, mais toujours tenir compte de l’opinion de ceux qui participent ; ne pas chercher de cadeaux, de positions, d’avantages, de postes publics, de la part du Pouvoir ou de ceux qui y aspirent, mais aller plus loin que les calendriers électoraux ; ne pas essayer de résoudre depuis le haut les problèmes de notre Nation, mais construire DU BAS ET PAR LE BAS une alternative à la destruction néolibérale, une alternative de gauche pour le Mexique.
Oui au respect réciproque, à l’autonomie et l’indépendance des organisations, à leurs formes de lutte, à leur façon de s’organiser, à leurs processus internes de prise de décisions, à leurs représentations légitimes, à leurs aspirations et demandes ; et oui à un compromis clair de défense commune et coordonnée de la souveraineté nationale, en opposition intransigeante avec les tentatives de privatisation de l’énergie électrique, du pétrole, de l’eau et des ressources naturelles.
Autrement dit, nous invitons les organisations politiques et sociales de gauche qui ne sont pas officielles, et les personnes qui se revendiquent de gauche et n’appartiennent pas aux partis politiques officiels, à nous réunir en temps, lieu et manière que nous leur proposerons au moment opportun, pour organiser une campagne nationale, visitant tous les recoins possibles de notre patrie, pour écouter et organiser la parole de notre peuple. C’est donc comme une campagne, mais tout à fait différente, puisqu’elle n’est pas électorale.
Frères et sœurs :
Ceci est notre parole et nous déclarons :
Dans le monde, nous allons davantage fraterniser avec les luttes de résistance contre le néolibéralisme et pour l’humanité.
Et nous allons soutenir, bien que ce soit peu de chose, ces luttes.
Et nous allons, dans le respect mutuel, échanger nos expériences, histoires, idées, rêves.
Au Mexique, nous allons parcourir tout le pays, à travers les ruines que la guerre néolibérale a laissées et en passant par toutes les résistances qui, retranchées, s’y développent.
Nous allons chercher, et rencontrer, ceux qui aiment ces terres et ces cieux au moins autant que nous.
Nous allons chercher, de La Realidad jusqu’à Tijuana, ceux qui veulent s’organiser, lutter, construire le dernier espoir s’il en est pour que cette Nation, qui avance au moins depuis le temps où l’aigle s’est posé sur le nopal (cactus) pour dévorer un serpent, ne meure pas.
Nous avançons vers la démocratie, la liberté et la justice pour ceux à qui elles sont niées.
Nous avançons avec une autre politique, pour un programme de gauche et pour une nouvelle constitution.
Nous invitons les indigènes, ouvriers, paysans, enseignants, étudiants, femmes au foyer, habitants des quartiers, petits propriétaires, petits commerçants, micro-entreprises, retraités, personnes à capacités réduites, religieux et religieuses, scientifiques, artistes, intellectuels, jeunes, femmes, anciens, homosexuels et lesbiennes, garçons et filles à participer, individuellement ou collectivement, directement avec les zapatistes, à cette CAMPAGNE NATIONALE pour la construction d’une autre façon de faire de la politique, d’un programme de lutte nationale et de gauche, et pour une nouvelle constitution.
Et ceci est notre parole disant ce que nous allons faire et comment nous allons le faire. Vous verrez si vous voulez y participer.
Et nous demandons aux hommes et aux femmes qui ont une bonne pensée dans leur cœur, qui sont d’accord avec notre parole et qui n’ont pas peur, ou qui ont peur mais qui se contrôlent, qu’ils déclarent publiquement s’ils sont d’accord avec cette idée que nous déclarons et nous allons ainsi voir tout de suite avec qui et comment et où et quand va se faire ce nouveau pas dans la lutte.
Pendant que vous y réfléchissez, nous vous disons qu’aujourd’hui, au sixième mois de l’année 2005, les hommes, femmes, enfants et anciens de l’Armée Zapatiste de Libération Nationale nous nous sommes déjà décidés et avons souscrit à cette Sixième Déclaration de la Forêt Lacandone, et ceux qui savent ont signé, et les autres ont mis leur empreinte, mais ceux qui ne savent pas signer sont de moins en moins nombreux parce que l’éducation a avancé ici, dans ce territoire en rébellion pour l’humanité et contre le néolibéralisme, autrement dit dans le ciel et sur la terre zapatistes.
Et ceci était notre parole simple destinée aux cœurs nobles des gens simples et modestes qui résistent et se rebellent contre les injustices dans le monde entier.
DEMOCRATIE !
LIBERTÉ !
JUSTICE !
Depuis les montagnes du Sud-Est Mexicain.
Comité Clandestin Révolutionnaire Indigène Commandement Général de l’Armée Zapatiste de Libération Nationale. Mexique, le sixième mois, c’est-à-dire juin, de l’année 2005.
Motions d’actualité adoptées au congrès de Brest 2015
e septième congrès de la fédération des syndicats SUD éducation s’est tenu du 18 au 22 mai 2015, à Brest.
Outre les textes d’orientations en débat dans ce congrès, les délégué-e‑s ont adopté plusieurs motions d’actualités.
Vous trouverez ci-dessous la liste de ces motions, avec des liens pour en prendre connaissance.
Les 2 motions, sur la réforme du collège, publiées pendant le congrès :