[Brochure n°93] Nous faire travailler plus longtemps pour sauver les retraites ?

Cet article est issu de la brochure n°93, "Pour nos retraites", à retrouver en intégralité ici : https://www.sudeducation.org/tracts/brochure-n93-pour-nos-retraites/

Rideau de fumée, mensonges et souffrance au travail [1]
Tout d’abord, six non-retraité·es sur dix souhaitent partir à la retraite à 60 ans ou avant [2]. Étude qui confirme d’autres études/sondages précédents. Seule une petite minorité veut travailler plus longtemps parce qu’ils/elles trouvent dans le travail une réalisation de soi, de valorisation et d’expression personnelle. Pour l’essentiel ce sont des cadres, des professions intellectuelles de diplômés du supérieur. Pour les autres, aller au turbin est souvent source d’épuisement et de souffrance au travail.

Dès 55 ans les patrons nous évincent du travail.
L’âge moyen de cessation définitive d’emploi est nettement plus précoce que celui d’accès aux pensions de retraites, l’écart est proche de 2 ans. Il existe de nombreuses salarié·es qui ne se trouvent ni en emploi ni en retraite. En 2021, c’était le cas de 16,7% des 62 ans. Dont 3% étaient au chômage, et 13,7% en inactivité et dépendant du RSA ou du revenu du/de la conjoint·e. Plus globalement seuls 60% des ­salarié·es passent directement de l’emploi à la retraite. Ce qui veut dire que 40% ont passé au moins un an de ce « ni ni »[3] (7% au chômage, 3% en arrêt maladie, 30% allers-retours chômage /emploi). En 2019, à 61 ans, 28% des ouvriers étaient en emploi, 35% dans le « ni ni ». Faire reculer l’âge de départ à la retraite, c’est augmenter la paupérisation avec la perspective de toucher une retraite puisqu’ils/elles auront moins cotisé. Les durées d’indemnisation pour les chômeurs ont été considérablement réduites (de 60 mois à 36 mois maximum). Ce qui fait qu’on n’est pas certain d’être indemnisé jusqu’à la retraite. Si le taux d’emploi des 55-64 ans est passé de 34% en 2002 à 56% en 2021, il reste inférieur à la moyenne européenne : 60,5%. Pour les plus de 60 ans, le taux d’emploi est de 35,5% en France contre 46,4% dans l’Union Européenne. Là encore ce sont les moins qualifiés qui payent le prix cher : 25% des sans diplôme de 60-64 ans sont en situation d’emploi, alors que 53% des diplômé·es de l’enseignement supérieur le sont. Les moins qualifié·es qui ont commencé plus tôt à travailler et à cotiser plus vite que les autres auront une fin de carrière aléatoire et précaire. Le calcul sur les 25 meilleures années, au lieu des 10 meilleures, ne peut qu’amplifier la baisse des leurs futures pensions. La CNAV [4] parlait dès 2008 d’une « chasse aux seniors ». Les entreprises cherchent à se débarrasser des « ­seniors » pour de multiples raisons : salaires plus élevés, pas assez productifs, mémoire de la vie de l’entreprise et ­savoir-faire susceptibles de contrer le management. L’âgisme fonctionne sur les lieux de travail : « le poids des représentations négatives liées à l’âge : l’espérance de vie augmente, mais les stéréotypes demeurent. L’âge constitue, avec le sexe, le premier motif déclaré des expériences de discriminations liées au travail, loin devant l’origine ethnique ». [5]

Combien de temps pouvons-nous encore tenir physiquement ?
40% des Français·es ne pensaient pas tenir jusqu’à 60 ans, contre moins 20% chez les Suédois·es et les Allemand·es. La pénibilité physique du travail ne doit pas être niée. Un million de salarié·es doivent répéter le même geste à une cadence élevée de plus de 20 heures par semaine. Près de 2 millions de travailleurs portent des charges lourdes plus de 10 heures par semaine. Les troubles musculosquelettiques (TMS) ont occasionné la perte de 10,8 millions de journées de travail en 2018. C’est une machine à créer des départs précoces et touchent en priorité les ouvriers/ouvrières. Rappelons qu’en 2017, Macron, qui n’aime pas le mot « pénibilité », a supprimé 4 critères sur 10 : vibrations mécaniques, expositions aux agents chimiques dangereux, manutentions de charges lourdes, postures pénibles.

Trop souvent le boulot n’a plus de sens
Usure psychique, perte de sens, travail qui heurte leurs valeurs, manque d’autonomie, plainte de ne pas pouvoir faire un travail de qualité. Ce profond mal-être est lié à « l’intensification du travail » qui, sous la pression des managers, contraint les salarié·es à travailler toujours plus vite, dans des tâches toujours plus standardisées et un travail toujours plus contrôlé. Ce mouvement général observable depuis 30 ans, dans le privé comme le public, est sans doute responsable des « burn-out » observés et pénalise les salarié·es. Les plus âgé·es sont aussi les plus en difficulté. Avec l’âge et l’expérience, on est davantage dans des stratégies d’anticipation, de vérification. S’ils doivent travailler dans la précipitation, les salariées âgées ne s’y retrouvent plus, leur travail perd son sens.
La perte de sens du travail agit négativement sur la santé : les travailleurs·euses sont plus souvent en arrêt maladie et plus longtemps. La lassitude pousse 42% [6] des salariés à prendre leur retraite.

L’accès à la formation décroît avec l’âge
Entre 55 et 59 ans, un·e salarié·e a 2 fois moins de chance de suivre une formation qu’un·e collègue de 40-44 ans. 37% des ouvriers évoquent l’absence ou le refus de l’employeur comme raison principale les ayant empêchés de suivre une formation (contre 28% chez les 30-44 ans). Pourtant, un accès à une formation permettrait aux ouvriers de basculer vers des métiers moins pénibles.

Les salarié·es n’ont pas confiance dans l’avenir
Le contexte économique reste déterminant pour l’emploi des seniors. « Le plein emploi ou une baisse significative du chômage est un préalable nécessaire à une bonne performance en matière d’emploi des seniors. » [7] En particulier les régions ou des pans entiers de l’industrie ont disparu laissant des seniors dans l’impossibilité de retrouver un emploi.
Par ailleurs, le couperet de la énième contre-réforme des retraites à venir pousse les salarié·es à partir le plus vite possible. Ce n’est pas le moindre des paradoxes de cette nouvelle contre-­réforme Macron-Borne. Cette contre-réforme, si elle aboutit, condamnera les futur·es pensionné·es à de plus faibles pensions.
Sans doute parce que les arguments avancés sont des écrans de fumée et que les enjeux réels sont de tenir des engagements pris envers la politique libérale de l’Union Européenne : baisse des impôts, réductions des prestations sociales…

[1] Nous reprenons des éléments parus dans le mensuel Alternatives Economiques (novembre 2020 ) « Retraites : pourquoi les français ne peuvent plus travailler plus longtemps »
[2] Les Retraités et les retraites, panorama de la Drees social, édition 2022.
[3] Ni emploi ni retraite
[4] Caisse Nationale d’Assurance Vieillesse.
[5] Les seniors, l’emploi et la retraite,
E. Prouet et J. Rousselon, France Stratégie octobre 2018.
[6] « Retraites : le recul de l’âge minimal a peu d’effet sur les motivations de départ ». Etudes et résultats n° 902, Drees, janvier 2015.
[7] « Etude comparative sur les pays européens ayant un taux d’emploi des seniors élevé » rapport du COR OFCE 2007