[Congrès @ Caen – mai 2022] Anti-hiérarchie et autogestion

Du refus des réformes actuelles renforçant l’autonomie, des hiérarchies locales à l’autogestion et à un véritable refus de la hiérarchie. A l’opposé de cette conception de l’autonomie dans la logique néo-managériale, notre syndicalisme défend l’autonomie ouvrière, c’est-à-dire que pour s’émanciper, le prolétariat doit développer son autonomie par rapport à la sphère du capital : c’est nous qui travaillons, c’est à nous de nous organiser et de décider.
Dans un monde où elle domine les travailleuses et les travailleurs, la classe capitaliste impose de plus en plus à celle-ci une soumission à la hiérarchie. L’Éducation nationale n’est pas épargnée, au contraire.

I. Les réformes actuelles qui renforcent l’autonomie des lieux d’enseignement ne font que transférer les compétences d’un échelon de la hiérarchie à un autre. Il faut lutter contre celles-ci.
En effet :
- ces réformes renforcent des instances locales comme le conseil d’administration des établissements du secondaire et des universités. Or, ces instances sont de plus en plus des chambres d’enregistrement des décisions des chef·fes (prééminence des directions, dans la discussion et la prise de décision au sein de ces instances). On voit également apparaître d’autres instances comme les conseils pédagogiques, instances où les membres ne sont même pas élu·es démocratiquement ;
- dans le premier degré, de nouvelles directions pourraient être créées, tenant d’instaurer un réel lien hiérarchique entre les directeurs et directrices et les enseignant·es ;
- l’autonomie renforce l’ensemble de la chaîne hiérarchique au détriment des personnels en créant des hiérarchies intermédiaires. Les échelons hiérarchiques sont donc étendus à de nouveaux lieux de travail comme les écoles primaires empêchant les possibilités d’auto-organisation par un maillage de surveillance resserré et permanent. Les agent·es en font les frais depuis longtemps, entre le département ou la région, les chef·fes d’établissement et les gestionnaires ;
- De plus, les hiérarchies intermédiaires réduisent notre capacité à instaurer un rapport de force. Les chef·fes que nous avons face à nous peuvent très facilement se dédouaner en rappelant qu’ils ou elles sont de simples exécutant⋅es des décisions ministérielles.

Cette réorganisation des lieux d’enseignement est au service d’une privatisation rampante de l’Éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche :
- Dans l’enseignement supérieur et la recherche, l’autonomie managériale permet l’accroissement du pouvoir des président·es d’université dans un cadre national de plus en plus dérégulé : logique de gestion locale de la pénurie ; recours massif aux contrats précaires pour toutes les catégories de personnels ; individualisation des congés, décharges d’enseignement, primes et promotions ; marginalisation des instances élues au profit de directoires ; dérogations au Code de l’éducation ; diplômes locaux payants. Ce qui est visé, c’est la remise en cause du statut de fonctionnaire pour toutes les catégories de personnels, la mise en concurrence croissante à tous les niveaux, la destruction des collectifs de travail et des solidarités qui y sont associées, la destruction du maillage territorial de l’université publique, l’abandon du cadrage national des diplômes, l’augmentation des frais d’inscription à l’université... A l’image de la loi Blanquer sur l’école de la confiance, c’est une véritable reféodalisation de l’université qui est mise en perspective.
- Dans le secondaire, l’autonomie des établissements participe à la logique, revendiquée par la loi de transformation de la fonction publique de 2019, d’un remplacement progressif des fonctionnaires par des recrutements de contractuel⋅les, notamment en conférant aux chef·fes d’établissement (ou aux rectorats) un pouvoir de recrutement de plus en plus fort au détriment du système de mutations contrôlé par les commissions paritaires qui ont disparu. Par ailleurs, le décret n° 2020-1030 du 11 août 2020 relatif aux personnels de direction d’établissement d’enseignement ou de formation relevant du ministre de l’Éducation nationale ouvre dorénavant les concours de recrutement aux personnes venant du privé, porte d’entrée supplémentaire des logiques managériales délétères qu’on a pu voir à l’œuvre dans d’autres secteurs.
- les formes d’autonomie actuelles renforcent les inégalités dans l’accès à l’éducation et entre les personnels et s’inscrivent dans une logique délétère d’évaluation de la performance, prévue pour tous les services publics par la Loi organique des lois de finance (LOLF) de 2001. Les lieux d’enseignement sont ainsi tenus de produire des indicateurs chiffrés et de passer des « contrats d’objectifs ».
- enfin, l’autonomie amène les établissements du secondaire, pour être « attractifs » par rapport aux autres établissements publics et privés, à proposer des contenus d’enseignement qui renforcent en réalité les inégalités de classe. Aux établissements favorisés les enseignements et filières socialement valorisées (de type études longues, latin, allemand et classes européennes) ; aux établissements populaires les enseignements et filières socialement dévalorisées (une grande partie de l’enseignement professionnel, voies courtes).
Il est important de prendre la mesure de la gravité de cette situation, puisque ce renforcement hiérarchique est responsable de souffrance au travail, de burn-out, voire de suicides.
Les compétences concernées par l’autonomie doivent donc être transférées à l’ensemble de la communauté éducative, et non aux fonctions de président·e d’université, de chef·fe d’établissement ou d’inspecteur·trice qui doivent être abolies.

II. Face à ces constats, il convient de réfléchir à une autre organisation afin d’aller vers une école autogérée, émancipatrice et libératrice.
Syndicat de transformation sociale, SUD Éducation lutte pour une société égalitaire, sans chef·fe, autogérée. Le mode d’organisation pyramidal, dévastateur, renforce les inégalités présentes dans la société. Notre positionnement antihiérarchique ne peut pas être décorrélé de notre démarche autogestionnaire.
Dans nos pratiques :
- le recours juridique ne doit pas être le seul procédé d’action contre la hiérarchie, car le contenu (ou l’absence de contenu) de la loi et son interprétation par certain·es juges ne sont pas toujours de nature à favoriser les intérêts des personnels, ni des usagèr·es. L’action juridique ne doit donc pas se faire au détriment de l’instauration d’un rapport de force par d’autres moyens (grève, désobéissance...) pour gagner les conflits ;
- SUD éducation considère qu’il faut construire du collectif sur nos lieux de travail afin de peser dans le rapport de force. Diffusons l’idée d’aller voir les chef·fes à plusieurs. Il est fondamental que les personnels titulaires s’impliquent dans les luttes intercatégorielles, par exemple en soutenant les luttes des précaires ;
- Les outils numériques comportent des fonctions utiles et nécessaires pour l’ensemble de la communauté éducative. Il importe qu’ils ne soient utilisés qu’à des fins pédagogiques et de vie scolaire et que la sécurité et la confidentialité des données soient garanties. Pour cela, il paraît, a minima, nécessaire que ces outils numériques soient produits par le service public et non par des prestataires privés.
- refusons également le flicage des personnels par la hiérarchie. Refusons ou tout du moins interrogeons la hiérarchie sur les signatures que l’on nous demande quand on assiste aux conseils de classe, aux réunions, aux formations. Réaffirmons notre critique des procédures d’inspection, infantilisantes et arbitraires. Rappelons le droit de les contester, voire de les refuser. Revendiquons des évaluations collectives entre pairs, des temps de concertation entre pairs, déconnectés de l’avancement de carrière. Luttons collectivement pour imposer que le cahier de texte numérique ne soit plus une obligation réglementaire.
- combattons sans relâche les sanctions disciplinaires injustifiées, et en particulier celles s’attaquant aux droits syndicaux, droit de grève, comme ce fut le cas récemment avec les « 4 de Melle » et les « 3 de Bordeaux », l’article 1 de loi de l’école de la confiance ou plus généralement avec les attaques répétées de la hiérarchie depuis le début de l’ère Blanquer ;
- demandons des directions collégiales dans les écoles primaires, avec une répartition de la décharge décidée par l’équipe pédagogique et étendons ce fonctionnement administratif au secondaire et au supérieur.
- Initions, partout où c’est possible, des directions collégiales dans les écoles primaires, avec une répartition de la décharge décidée par l’équipe pédagogique et étendons ce fonctionnement administratif au secondaire.
- dénonçons les obligations que nous considérons contraires à l’intérêt collectif, comme le fait d’afficher un drapeau et la Marseillaise dans sa classe ou les dispositifs tel que les PPMS intrusion (attentat) ;
L’autogestion doit être le modèle d’organisation que nous défendons pour pouvoir lutter activement contre la hiérarchie. Il est nécessaire que chacun·e puisse prendre part aux décisions qui le·la concerne. Seule la communauté éducative est légitime et capable de s’administrer.
Soyons critiques envers les conseils pédagogiques ou les conseils d’administration qui n’ont bien souvent qu’un rôle consultatif. Instances que les chef·fes d’établissement peuvent instrumentaliser à leur guise. En fonction des situations locales, réapproprions-nous ces instances officielles pour faire vivre des pratiques démocratiques, en exigeant les votes à bulletin secret, en demandant à ce que tous les votes : pour, contre, abstention et NPPV soient comptabilisés, boycottons-les, envahissons-les… L’important est de construire un rapport de force. Organisons-nous et exigeons de vrais espaces décisionnels où les personnels peuvent se réunir tou·tes ensemble sans la présence des hiérarchies.
Pour que l’autogestion se retrouve également dans notre quotidien, dénonçons les partenariats de l’Éducation nationale avec certaines multinationales dans le domaine, par exemple, de l’informatique, et privilégions l’utilisation de logiciels libres, dont les valeurs sont celles que nous défendons. De même, dénonçons la privatisation des missions d’orientation et d’information aux métiers. En outre, il est indispensable que le personnel s’approprie les moyens et outils de leur travail et de leurs pratiques. En informatique par exemple, ce sont les personnels qui doivent être décisionnaires dans le choix des outils, matériels ou/et logiciels et ne plus subir les dotations des tutelles territoriales.
L’expertise ou la spécialisation syndicale est l’anti-chambre de la bureaucratie et la rotation des tâches et des mandats est le moyen le plus évident d’y remédier. A tous les niveaux de fonctionnement des syndicats (réunions, fonctionnement, etc.) elle permet d’inclure et d’impliquer davantage de camarades « inexpérimenté·⋅es » mais aussi d’éviter les logiques racistes et patriarcales qui, malgré nos engagements, perdurent dans nos pratiques. Ceci, aussi bien dans un objectif d’utilité et de protection du syndicat que dans celui des valeurs que nous portons et de la co-formation constante des camarades.
Enfin, dans les mobilisations et les luttes, nous travaillons à la construction de cadres d’auto-organisation des collègues: AG, comités de mobilisation, collectifs plus ou moins pérennes... Dans ces cadres, nous y défendons les pratiques de l’autogestion, de la démocratie et de la lutte contre les oppressions.