Sortir du tout numérique pour un usage raisonné de l’outil informatique

SUD éducation porte des revendications pour la justice sociale et climatique dans le secteur de l’Éducation nationale. Zoom sur nos revendications sur le numérique.

L’Éducation nationale et l’Enseignement supérieur ont saisi l’occasion de la pandémie pour accélérer l’usage du numérique, désormais omniprésent dans les établissements scolaires et universitaires, les pratiques pédagogiques et jusqu’à la gestion du personnel. Nous dénonçons les effets désastreux sur la pédagogie, l’isolement des élèves, étudiant.e.s et personnels, l’aggravation des inégalités en raison des variations dans l’accès aux outils numériques, les conditions de travail dégradées, la dépendance vis-à-vis d’entreprises privées qui marchandisent ces services. Mais le numérique est aussi présenté comme une solution « écologique », ce qui revient à entretenir la méconnaissance des dégâts environnementaux entraînés par un usage non-contrôlé des outils informatiques.

Le tout numérique doit être remis en question. Le numérique a toute sa place à l’école à condition de ne pas être un dogme aveugle. L’ordinateur et les réseaux ne sont pas la réponse aux questions pédagogiques ou sociales, et ils sont au contraire de nouvelles sources de problèmes. Les milliers de tablettes et d’ordinateurs portables distribués aux élèves ne remplacent pas le besoin criant de personnel d’éducation formé et avec un statut de titulaire.

La ruée vers le numérique dans l’Éducation nationale

Quelques exemples récents de cette course vers le tout numérique :

→ De plus en plus de tâches sont désormais adossées à des plateformes en ligne : environnements numériques de travail (ENT), livrets numériques… Désormais, même la correction des copies du baccalauréat, du BTS et des concours d’enseignement se fait en ligne, sur une plateforme nommée Santorin, après numérisation de toutes les copies papier dans les établissements.
Cette prétendue «dématérialisation» d’une tâche requiert au contraire l’achat et la gestion d’une quantité impressionnante de matériel : les scanners, la réimpression des copies du fait du refus de communiquer les versions papier aux correcteurs et correctrices, les ordinateurs utilisés pour la correction...

→ Pour remédier au problème des enseignant.e.s abstent.es non-remplacé.es, entièrement créé par les suppressions de postes et une crise du recrutement produite par le manque d’attractivité du métier, le rectorat de l’académie de Nancy-Metz expérimente à partir de la rentrée 2022 le recrutement de « titulaires sur zone de remplacement académique numérique », c’est-à-dire d’enseignant.e.s remplaçant.e.s en collège et lycée, qui effectueraient leurs remplacements entièrement un ligne, sur toute l’académie, depuis un lycée de rattachement plus ou moins proche de leur domicile.

→ Des conseils départementaux (pour les collèges) et régionaux (pour les lycées) équipent l’ensemble des élèves et du personnel de tablettes ou d’ordinateurs portables. C’est principalement le moyen d’opérations de communication électoralistes. Derrière les beaux discours égalitaires, il s’agit de matériel bas de gamme, rapidement défectueux, avec des inégalités de traitement : à titre d’exemple les élèves des lycées professionnels en région Île-de-France ont d’abord reçu une tablette quand leurs pairs des lycées généraux et technologiques disposaient d’ordinateurs. Le matériel est souvent inutilisable, faute de maintenance ou d’infrastructures adaptées (comme des salles disposant de suffisamment de prises électriques pour recharger les appareils). Au motif de l’équipement des élèves, des manuels numériques se substituent aux manuels papier, au prix de licences coûteuses, et les salles informatiques dotées de postes fixes plus solides sont progressivement vidées pour récupérer des salles de cours.

→ Le « basculement total en distanciel » dans les établissements d’enseignement supérieur a été utilisé sans modération pendant la crise sanitaire. Les établissements sont à présents rodés à l’exercice, tant et si bien que l’« outil » sert à présent à d’autres usages, comme cela a été fait pour contourner des blocages d’établissements entre les deux tours de l’élection présidentielle.

Le numérique : une industrie très polluante, invisibilisée, qui n’a pourtant rien d’immatériel

Le personnel de l’Éducation nationale et de l’enseignement supérieur doit être en position de faire connaître aux élèves, étudiant.e.s et à leurs collègues le coût environnemental des outils numériques.

→ Au niveau de la production de nos appareils, première source de pollution liée au numérique. Selon l’Ademe en 2022, elle est responsable de 78 % des émissions de gaz à effet de serre liées au numérique : énergie fossile utilisée pour la fabrication, extraction de métaux stratégiques.

→ Au niveau de l’extraction des matériaux utilisés dans la fabrication des outils numériques. Les impacts environnementaux de la production des appareils tiennent aussi à l’industrie extractiviste qui pille des ressources en tension (minéraux et métaux rares), dévaste les territoires (pollution profonde et durable de l’air, de l’eau, des sols) et surexploite dans l’insalubrité les travailleurs et travailleuses des mines, dans des pays où il y a peu de normes environnementales et de droit du travail (en Afrique, en Chine...).

→ En raison de l’obsolescence permanente des outils numériques. Le coût environnemental et social de la production est d’autant plus élevé que le marché du numérique doit sa survie au renouvellement permanent des appareils, donc à la construction de l’obsolescence de ceux déjà utilisés.

→ Internet et ses infrastructures émettent autant de C02 que le transport aérien. L’utilisation d’Internet suppose que des serveurs stockent et fournissent à distance des données dans les data centers, très consommateurs en énergie et producteurs d’une chaleur rarement recyclée (par exemple en chauffage urbain), faute d’investissements suffisants dans les systèmes de recyclage requis. Certains usages sont plus consommateurs d’énergie (qu’elle soit fossile ou nucléaire) que d’autres et devraient être régulés à l’école comme à l’université : les ordinateurs allumés ou en veille en permanence, le passage par des services en ligne (cloud, streaming et vidéos, applis à distance…), l’utilisation de logiciels lourds et mal optimisés qui prennent de place sur les disques durs et requièrent des machines puissantes, les listes de mail, l’envoi de pièces jointes lourdes...

→ Au niveau des déchets électroniques, peu recyclés, toxiques, parfois exportés dans les décharges et bidonvilles des pays pauvres. À titre d’exemples, si le plastique, l’or, le fer, l’argent sont récupérables, près de 20 métaux sur les 50 qu’on trouve dans une tablette ne le sont pas (dont les métaux rares qui sont les plus polluants à extraire du sous-sol et qui s’épuisent rapidement). Seuls 18 % des métaux sont finalement récupérés.

→ Dans les partenariats entre l'Éducation nationale et des entreprises polluantes : Après le partenariat passé avec Microsoft, c'est avec Amazon que l'Éducation nationale passe un accord pour stocker les données sur les élèves collectées à l'occasion des évaluations nationales. Par ces partenariats, l'Éducation nationale favorise participe à l'activité des entreprises les plus polluantes au monde

Nos revendications

→ La mise en place de la collecte et du tri des déchets numériques.

→ Le recrutement de personnel titulaire formé à l’entretien et à la maintenance des outils informatiques.

→ La généralisation de l’usage de systèmes d’exploitation et de logiciels économes en énergie et à longue durée de vie sur l’ensemble des parcs informatiques, en favorisant les logiciels libres ; la diffusion des bonnes pratiques écologiques dans l’usage du numérique au sein de l’Éducation nationale.

→ La sortie du tout numérique pour un usage raisonné et réfléchi de l’outil informatique.

→ L’intégration aux programmes scolaires et à la formation du personnel des enjeux environnementaux du numérique.

Quelles possibilités pour agir au niveau des établissements et des équipes locales ?

La politique d’équipement des élèves et du personnel par les collectivités territoriales doit être entièrement revue. Dans le secondaire, les politiques d’équipement de chaque élève avec du matériel de faible qualité constitue un gâchis monumental : les tablettes ou ordinateurs distribuées font doublon avec les machines de meilleure qualité achetées par les familles, et ne sont finalement pas utilisées ; les enfants des familles les plus pauvres en sont réduites à travailler avec des outils bas de gamme. Ces équipements sont aussi sources de conflit entre les élèves et leurs enseignant.e.s quand ils ne sont pas ramenés en classe alors que l’enseignant.e le demande, ou au contraire lorsqu’ils sont utilisés de façon intempestive. Le maintien de salles informatiques en nombre suffisant, avec du matériel de qualité et correctement entretenu, et des aides financières sur critères sociaux pour l’équipement informatique des familles mal dotées, doivent être mis en discussion comme alternative.

À qui adresser les revendications ?

Les équipes éducatives peuvent demander à la collectivité territoriale dont dépend leur établissement (mairie pour les écoles, conseil départemental pour les collèges, conseil régional pour les lycées) :

Le recrutement de personnel titulaire pour l’entretien et la maintenance régulière des outils informatiques.

Des systèmes d’exploitation et de logiciels économes en énergie et à longue durée de vie en favorisant les logiciels libres ; des équipements solides.

En ce qui concerne les déchets produits par les établissements scolaires (premier et second degrés), ils sont collectés la plupart du temps par les communes ou par les Syndicats intercommunaux de collecte et de traitement des ordures ménagères (SICTOM, structure créée pour partager cette tâche avec les villes voisines). Nous pouvons exiger à ce niveau l’organisation de la collecte, du tri et du recyclage des déchets informatiques.

Dans quelles instances ?

En conseil d’école dans le primaire, en conseil pédagogique puis en conseil d’administration dans le secondaire, il est possible de :

→ mettre en débats les besoins réels en termes d’équipement (manuels papier ou numériques, quelles tâches en ligne et quelles tâches hors ligne);

→ s’opposer à la substitution du matériel portable individuel aux salles informatiques ;

→ proposer de favoriser la réparation puis le tri du matériel usé ou endommagé, afin qu’il soit ensuite recyclé ou reconditionné.

Quels modes d’action ?

Les motions et courriers (voir modèles ci-dessous) peuvent être un premier pas pour amener les discussions sur ces sujets en réunion d’information syndicale, puis en conseil d’école ou conseil d’administration. Ils permettent d’interpeller les pouvoirs publics compétents et peuvent être communiqués à la presse locale. Surtout, ils sont un levier pour construire du collectif en vue de mobilisations plus larges, à l’échelle de plusieurs établissements, du syndicat départemental, avec des parents d’élèves, des collectifs de lycéens ou encore en intersyndicale.

En effet, les pouvoirs publics refusent de mettre en œuvre les moyens nécessaires pour engager une véritable reconversion écologique de la société. Notre rôle d’organisation syndicale est à la fois de dénoncer la vitrine verte de leurs politiques, et d’autre part d’arracher par nous-mêmes les moyens de cette reconversion. Des réunions publiques, des rassemblements peuvent être organisés. Il peut être envisager de proposer aux participant.e.s, par exemple, d’amener et de déposer tout le matériel rendu obsolète par un usage irraisonné du numérique dans l’éducation (matériel non-utilisé, endommagé, manuels papier remplacés sans motif valable par des manuel en ligne…) afin de visibiliser le gâchis matériel occasionné (via l’invitation de la presse) et d’imposer son réemploi ou son recyclage.

Pour SUD éducation, il est essentiel que le personnel élabore sur leur lieu de travail, avec les usager.e.s, leurs revendications pour définir les besoins réels et impulser le mouvement de reconversion écologique.

Exemple de motion ou de courrier

À destination :

Du ou de la Président.e du Conseil régional [pour les lycées]

Du ou de la Président.e du Conseil départemental [pour les collèges]

Du ou de la responsable de la gestion des déchets pour la commune / du Syndicat intercommunal de collecte et de traitement des ordures ménagères (SICTOM) [pour la gestion des déchets]

Du ou de la responsable de la caisse des écoles ou du Syndicat intercommunal à vocation unique (SIVU)

Nous, personnel de [nom de l’établissement], réuni en [AG ou réunion d’information syndicale ou instance], souhaitons alerter sur le coût environnemental du tout numérique dans les établissements scolaires, et faire connaître notre propositions pour amorcer une reconversion écologique dans l’équipement informatique de ces établissements.

La transformation écologique de notre société est un enjeu central dans la situation actuelle de crise climatique que nous subissons. Les derniers rapports du GIEC doivent alerter les pouvoirs publics et permettre l’adoption de mesures fortes pour préserver le climat. Or le numérique contribue aux émissions de gaz à effet de serre qui sont responsables du réchauffement climatique, en premier lieu à l’occasion de la production de nouveaux équipements (à hauteur de 78 % des émissions liées au numérique). C’est pourquoi la réparation des équipements existants plutôt que leur multiplication et leur renouvellement permanent, puis leur reconditionnement et leur recyclage, doivent être privilégiés.

Nous revendiquons :

  • L’organisation de la collecte et du tri des déchets numériques [à destination de la communauté de communes].
  • Le recrutement d’agent.e.s titulaires compétent pour l’entretien et la maintenance des outils informatiques, formé si besoin par l’employeur [à destination de la collectivité territoriale qui emploi les agent.e.s de l’établissement].

La généralisation de l’usage de systèmes d’exploitation et de logiciels économes en énergie et à longue durée de vie sur l’ensemble des parcs informatiques, en favorisant les logiciels libres [à destination de la collectivité territoriale qui équipe l’établissement].

Nous restons disponibles pour échanger avec vos services et nous espérons pouvoir rapidement avancer sur ces propositions qui sont des nécessités pour engager notre collectivité dans une démarche écologique et sociale.