Cet article est extrait de la brochure n°94 : la coopérative pédagogique.
Depuis sa création, SUD éducation, dans le cadre de l’Union Syndicale Solidaires, se réclame un syndicat de lutte et de transformation sociale, dans le courant syndicaliste révolutionnaire et revendique l’autogestion comme autre forme d’organisation du travail.
En 1906, la Charte d’Amiens, dont nous nous réclamons, posait les bases de ce type de syndicalisme - reconnaissant la lutte des classes et une vision du syndicalisme révolutionnaire - en fixant comme objectifs non seulement la défense des revendications immédiates et quotidiennes des travailleurs mais aussi la lutte pour l’émancipation intégrale et une transformation d’ensemble de la société « par l’expropriation capitaliste ».
Aujourd’hui, la transformation sociale est une dimension forte du syndicalisme que nous portons et s’appuie d’une part sur la lutte contre toutes les formes de domination, d’oppression, de discrimination et d’exploitation d’une société capitaliste, hétéro-patriarcale, raciste et validiste (discrimination des handicaps) etc. et d’autre part sur la construction d’un autre monde, d’une autre société plus juste, égalitaire, solidaire, anticapitaliste, antisexiste, antiraciste, anti-xenophobe, antifasciste, inclusive, internationaliste et écologiste garantissant le bien commun et l’intérêt général, l’indépendance de la pensée de toutes et tous ainsi que la liberté de l’individu reposant sur des valeurs de justice, d’égalité et de solidarité.Ces problématiques ne sont donc pas nouvelles mais globalement les attaques libérales, réactionnaires et la violence d’État se sont multipliées et intensifiées dernièrement et il est urgent de réagir, dans le mouvement social et écologique globalement, mais également de se poser les bonnes questions, dans chaque secteur, sur ce que nous produisons, comment nous le produisons et avec quelles finalités. Cela est ainsi posé lors du congrès Solidaires de 2017 : « l’importance des enjeux exige la réactualisation des questions qui, si elles ne sont pas nouvelles, ne doivent plus être différées. Elles touchent à la nature du travail (comment produire ?) autant qu’à sa finalité (Que produit-on et pourquoi ?). Or les réponses à ces interrogations ne peuvent ni ne doivent être soumises aux intérêts de la classe dirigeante. Elles impliquent le contrôle des lieu où l’on produit par celles et ceux qui y travaillent et l’ensemble de la société, et, par là même, posent la question de la propriété privée des moyens de production. »
Le cas de l’éducation est particulier, mais de la même manière que le syndicalisme du secteur automobile ou énergétique ne peut se passer aujourd’hui de s’interroger sur les implications écologique de leurs productions, nous devons nous interroger sur la finalité de ce que nous produisons à l’école, de la maternelle à l’université.
A quoi sert l’école ?
L’école « de la République » publique, laïque, gratuite et (l’enseignement) obligatoire telle que nous la connaissons aujourd’hui est l’héritage de la révolution industrielle du 19e siècles et notamment du besoin de main d’œuvre docile mais, suffisamment qualifiée, au service d’un État Bourgeois. C’est au lendemain de la Commune de Paris que « l’école de Jules Ferry » a été instaurée, Jules Ferry était alors maire de Paris et fervent opposant à la Commune. Cette école « de la République » est une école pour le peuple, et non « du peuple » (pour reprendre la formulation de Célestin Freinet) : instrument au service du maintien de l’ordre et des rapports sociaux, au service de la bourgeoisie qui entend bien faire taire les idéaux de révolution, et justement contrer cette expérience éducative de la Commune de Paris, trop peu connue, dont les valeurs éducatives s’enracinent dans les réflexions des penseurs socialistes de l’Association Internationale du Travail (AIT), école « publique, gratuite, laïque et… intégrale ». L’école « de Jules Ferry » est une école qui instruit, mais pas trop, qui instaure l’autorité forte du ou de la maître·sse détenteur·trice du savoir, de l’institution, qui transmet les valeurs d’une culture dominante, qui organise et justifie la division sociale du travail. C’est l’école de la méritocratie, qui, avec le fameux ascenseur social, en permettant de petites porosités entre les classes sociales, encourage la réussite individuelle et la compétition de chacun·e contre chacun·e au détriment de la coopération, de la lutte collective, de la remise en question des rapports sociaux et des inégalités qu’ils génèrent et du principe même de classes sociales.
Fin 19e, c’est aussi l’époque de la création des bourses du travail qui étaient au départ des lieux de placements des ouvriers et qui deviennent de véritable lieux d’éducation populaire, notamment avec Fernand Pelloutier : des bibliothèques s’y développent, des conférences, des spectacles, des cours du soir... Elle deviennent des lieux importants de réflexion sur les moyens de production et de transmission du savoir avec l’éducation mutuelle : système de tutorat où les premier·es apprenant·es transmettent aux suivant·es au sein de groupes de travail. Système de transmission mais aussi de production du savoir très efficace qui échappe aux institutions. Le courant syndicaliste révolutionnaire était majoritaire dans les bourses et considérait que la structuration syndicale des bourses favorisait la conscience de classe des travailleurs et des travailleuses des différentes professions réunies et permettait de développer une autonomie politique et culturelle de la classe ouvrière. L’émancipation par l’éducation et l’instruction ici est bien réelle, dans la mesure où elle permet, au delà de la transmission, la production du savoir qui n’est plus monopolisée par les élites. Ainsi, le processus de conscientisation nécessaire pour développer notre connaissance du monde et une lecture critique de la culture dominante ainsi que notre capacité à agir ne peut pas être le résultat d’une transmission du « sachant » vers « l’ignorant » qui reproduit les structures de domination dans un modèle de diffusion de l’« expertise ». On ne peut prétendre à émanciper les gens, seul le peuple peut s’émanciper lui-même. Paulo Freire résume cela ainsi : « personne n’éduque personne, personne ne s’éduque seul, les Hommes s’éduquent ensemble par l’intermédiaire du monde ».
Aujourd’hui le contexte a changé, le capitalisme aussi : mondialisation, financiarisation et néo-libéralisme sur fond de crise sociale et environnementale globale. Par rapport aux évolutions majeures de la société, l’institution scolaire a changé également, mais pas tant que cela. Et nous nous retrouvons pris entre le feu des réactionnaires républicains qui regrettent l’école d’antan, et divers courants « alternatifs » qui critiquent ce modèle scolaire dépassé. Le terme « pédagogies alternatives » en vogue et attirant de nombreux·ses collègues et parents, est vaste et pluriel, souvent basé sur la liberté, l’épanouissement de l’enfant, la démocratie et le développement de l’autonomie. Il convient néanmoins de faire attention et toujours s’interroger sur les finalités. Ainsi, souvent à renfort de neurosciences, et sans réel projet politique ou avec un projet politique tout-à-fait différent du nôtre, certaines expériences se posent en tant que réponse à l’adaptation à un nouveau monde en pleine mutation, sans remettre en cause (voire en servant) le système capitaliste, les dominations, les inégalités. Aussi, les attaques réactionnaires et libérales actuelles contre l’école publique vont dans le sens d’une véritable prolétarisation de l’enseignement, d’une dépossession de leur métier pour les travailleurs·euses de l’éducation qui deviennent de simples exécutant·es soumis·es à des pressions hiérarchiques toujours plus fortes et diffusant un savoir morcelé, vide de sens avec toujours plus de contrôle et d’évaluation, un renforcement des valeurs individualistes et méritocratiques et une déconstruction de tout ce qui est commun, une gestion managériale et une ouverture au marché via des « partenariats » et des « expérimentations ». Il va de soi que cela va à l’encontre de notre idée de transformation sociale et de nos orientations émancipatrices autogestionnaires et, de plus, est générateur d’énormément de souffrance au travail. Parallèlement à cette casse organisée de l’école publique, nous assistons à une fuite vers les écoles privées, confessionnelles ou « alternatives ».
Les politiques libérales remettent en cause l’école publique. Sous couvert d’autonomie, la « concurrence libre et non faussée » de tous les établissements entre eux se prépare : la marchandisation des systèmes d’enseignement en Europe est en marche dans le contexte de la globalisation économique, des attentes du marché, des exigences de l’OCDE et de la commission européenne.Les finalités de ces politiques sont désormais identifiées. En voici le programme : déréglementation des systèmes d’enseignement, mise en concurrence des établissements, glissement de l’éducation vers la « formation tout au long de la vie », repositionnement des programmes vers « l’approche par compétences », évaluation pour toutes et tous, et à tous les niveaux, baisse des financements publics, omniprésence des technologies numériques, sous-traitance et prestations de services par des entreprises privées, développement des « partenariats » entre établissements et entreprises privées, sous couvert de politiques d’austérité menées par les gouvernements néo-libéraux successifs, justifiées par des « crises » régulières qui permettent de ne pas les remettre en question, l’école publique est ainsi dégradée à dessein.
L’enjeu de cette politique néolibérale est considérable, elle fait de l’école un instrument au service exclusif de la compétitivité économique dans le cadre du capitalisme globalisé.
A quoi doit servir l’école ?
Il nous faut donc clarifier les finalités du système éducatif conformément au projet de société que nous portons et fonder ainsi le nécessaire renouveau des pratiques pédagogiques. Elle doit être un lieu d’émancipation individuelle, intellectuelle et sociale, dans lequel des enfants si possible épanoui·es se préparent à devenir des adultes. Elle doit donc être avant tout un lieu dédié à comprendre le monde afin d’être en capacité de participer à sa transformation. Depuis sa création, SUD éducation revendique l’autogestion comme autre forme d’organisation du travail, notamment pour le service public d’éducation. Pour en faire un moyen possible, ici et maintenant, de la transformation sociale et écologique, cette revendication doit se confronter à la réalité de l’organisation des écoles, des établissements et des services. Il est essentiel de développer au niveau des élèves ce que nous revendiquons au niveau des adultes. Par conséquent, nos revendications autogestionnaires et contre toutes les formes de discriminations, de domination, d’oppression et d’exploitation doivent trouver leur écho au niveau du fonctionnement de la classe. C’est pourquoi la rencontre avec les pédagogies coopératives et émancipatrices, notamment la pédagogie Freinet et l’école Moderne, les pédagogies de l’Éducation Nouvelle, la pédagogie institutionnelle, les pédagogies critiques et radicales, la pédagogie sociale, etc est nécessaire. Ces courants et expériences pédagogiques sont construits historiquement et en lien avec le mouvement social, souvent apparus dans des contextes de crise, construit dans et par la lutte, avec des visées politiques et des valeurs proches des nôtres. On peut également citer Francisco Ferrer en Espagne au début du 20e siècle dont les idées furent reprises lors de la révolution de 1936, Janusz Korcjack dans le gettho de Varsovie, les « Escuelitas » au Chiapas... Il n’est pas cohérent de porter et promouvoir les valeurs de transformation sociale que nous prônons sans travailler à ce que celles-ci soient effectivement pleinement vécues au quotidien par les enfants. La question du pouvoir se pose à toutes les échelles. Il devient donc urgent de concilier la théorie et la pratique dans ce domaine.
L’apprentissage peut s’appuyer sur la responsabilisation des enfants, le développement de l’autonomie et celui d’une forme démocratique, au sein de la classe et de l’école (conseils d’enfants, conseils d’école, conseils de vie de l’école…) qui puisse permettre aux enfants, accompagnés par des adultes compétent·es, de décider collectivement du fonctionnement de la classe et de l’école, d’apprendre à prendre des décisions collectives. Ainsi, la mise en œuvre de pratiques de classe favorisant la circulation égalitaire de la parole entre toutes et tous les enfants (filles, garçons, intersexes et non-binaires, de toute origine culturelle, géographique ou sociale) doit être développée au sein d’ une école polytechnique où toutes et tous puissent s’exprimer et doivent avoir accès à toutes les disciplines sans qu’elles ne soient hiérarchisées. L’objectif est de leur permettre de se rendre peu à peu responsables des rôles qu’ils et elles ont à jouer dans ce processus et de leur donner ainsi la possibilité de vivre effectivement la démocratie, pour être en capacité de la comprendre, voire de la dépasser via l’acratie (autogestion intégrale). En outre, le concept de genre doit être ré-intégré dans les textes officiels et la mise en place de dispositifs dédiés doit permettre aux élèves de réfléchir spécifiquement aux discriminations et stéréotypes de genre, afin de les déconstruire. Les innombrables outils que nous proposent justement les pédagogies coopératives et émancipatrices, doivent permettre de progresser dans ces domaines. Face aux défis sociaux et écologiques qui se présentent à nous, il ne fait aucun doute que la coopération, dès l’école, sera bien plus efficace que toute forme de fonctionnement vertical et hiérarchique. Le syndicalisme révolutionnaire doit absolument renouer avec un modèle pédagogique qui favorise l’émancipation individuelle et collective et le projet d’ une école coopérative émancipatrice pour une société autogérée sans hiérarchie apparaît donc à la fois comme le plus crédible, le plus viable et le plus stimulant. À l’inverse, pratiquer à la hâte ces pédagogies en les limitant à des outils ponctuels de gestion de la classe, sans en mesurer la dimension profondément politique, les vide de leur sens (et met les enseignant·es et les élèves en difficulté), raison pour laquelle il est nécessaire de les lier au syndicalisme que nous portons, et particulièrement à nos revendications autogestionnaires.
La fédération SUD éducation propose de nombreux stages en partenariat avec les associations historiques (CEMEA, GFEN, ICEM, OCCE…) qui permettent de mettre en perspective les idées de transformations sociales que nous portons à différents niveaux : dans la société, sur nos lieux de travail, dans nos pratiques pédagogiques ainsi que dans nos pratiques militantes. Ils permettent également d’ouvrir des espaces de rencontre avec les collègues et les militant·es, des espaces d’expression, de débat, de discussion, d’analyse et souvent de mise en pratique de l’autogestion, dans une dynamique d’auto et de co-formation. Face à la force du ministère et des politiques européennes, nous ne pouvons pas nous permettre de n’opposer que le principe abstrait de « liberté pédagogique », qui est de plus en plus attaqué par le Ministère. Nous devons pouvoir nous former, réfléchir et critiquer la pédagogie ministérielle, proposer des contre-discours et des contre-pratiques pédagogiques, nous appuyer sur l’histoire des luttes afin de protéger, voire refonder une culture professionnelle et pédagogique critique et autonome de l’institution. Il est donc question d’une véritable lutte pour la réappropriation de nos outils de travail, de nos métiers, que nous devons opérer dans cette optique de transformation sociale en tant que fonctionnaires ou contractuels, au service d’un État, qui loin de garantir le bien commun et l’intérêt général sert les objectifs d’un projet de société que nous combattons, au bénéfice d’une minorité et au détriment de toutes et tous les autres.
Pour une école émancipatrice, c’est aussi et peut-être d’abord nous-même qui devons nous émanciper. La fédération SUD Education lutte activement depuis sa création contre toutes les politiques destructrices de l’école publique et pour une école réellement coopérative et émancipatrice.
De la maternelle à l’université, SUD éducation revendique et promeut en particulier :
• une baisse importante des effectifs par classe à tous les niveaux ;
• le déploiement des pédagogies coopératives et émancipatrices via la co-formation des personnels, sur le temps de travail, afin de réfléchir dès la formation initiale à la mise en place de pratiques pédagogiques réellement émancipatrices et favorables à l’autonomisation et à l’inclusion ;
• la fin des formes d’évaluation actuellement imposées qui ne constituent en fin de compte qu’un outil de tri social ; une diminution des dispositifs d’évaluation ; des évaluations essentiellement formatives.
• la possibilité pour les personnels de décider de l’organisation de leur temps de travail et les moyens qui le permettent.
• le respect de la liberté pédagogique fondée sur une expertise professionnelle co-construite par les travailleur·euses.