[Brochure n°94] Le mouvement ouvrier et les questions pédagogiques : pour une éducation intégrale

Cet article est extrait de la brochure n°94 : la coopérative pédagogique.

Les origines révolutionnaires de l’éducation intégrale : de 1848 à l’association internationale des travailleurs
Suite à la révolution de 1848, Pauline Roland, Pérot et Gustave Lefrançais (futur communard) publie un Programme d’enseignement de l’association fraternelle des instituteurs et professeurs socialiste en 1849 qui leur vaudra une répression pour outrage à la morale, à la religion, à la famille et à la propriété. Dans cette déclaration de principe, ils revendiquent l’égalité de tous (hommes comme femmes) et donc l’éducation de tous. Pour cela, il revendique la fin de la séparation entre école primaire et secondaire, entre une éducation pour prolétaires ou pour bourgeois. Déjà, et comme d’autres après eux, ils relient la question d’une révolution éducative à la question d’une révolution sociale. D’ailleurs, l’association fraternelle des instituteurs était membre de l’Union des associations ouvrières, syndicat avant l’heure. Ils créent une commission permanente dont le but sera de réfléchir à un modèle pédagogique capable d’amener la République sociale, celle que les communard-es revendiqueront plus tard.

Poursuivant les débats pédago-syndicaux, l’association internationale des travailleurs – l’Internationale – se questionne très rapidement sur l’école et les questions pédagogiques. En effet, dès son second congrès en 1867, sous l’influence des proudhoniens, est discutée la nécessité d’une éducation intégrale et le congrès “une résolution en faveur de l’organisation de l’école-atelier, et d’un enseignement scientifique, professionnel et productif” (Dolleans, Histoire du mouvement ouvrier). Si l’éducation est importante pour les militants de l’AIT, c’est parce qu’elle doit permettre aux ouvriers de devenir maître de leur vie. C’est en partie par l’influence de l’AIT que la question de l’éducation intégrale sera présente lors de l’expérience de la Commune de Paris.

Une tentative d’éducation intégrale : l’enseignement sous la commune de Paris
« Il importe que la révolution communale affirme son caractère essentiellement socialiste par une réforme de l’enseignement ouvrant à chacun la véritable base de l’égalité sociale, l’instruction intégrale à laquelle chacun a droit » Édouard Vaillant, délégué à l’enseignement de la Commune de Paris.

Si l’expérience de la Commune de Paris est courte et les tentatives de politique éducatives se voient vite stopper, cela reste néanmoins une première pour l’éducation intégrale. La Commune va affirmer les principes d’une école gratuite, laïque, obligatoire pour les filles comme pour les garçons, principes repris quelques années après par Jules Ferry, la coéducation des sexes en moins. Dans les faits, l’éducation séparée ne sera pas pleinement aboli.

Concrètement, dans le 11e, arrondissement, 12.000 élèves pauvres sont scolarisés et la laïcisation est complètement terminée, mise en place notamment grâce à Victoire Tinayre. Dans le 3e arrondissement, les fournitures scolaires seront données gratuitement par les instituteurs à tous les enfants.

Des sociétés populaires, comme « l’Éducation nouvelle » vont regrouper enseignants et parents pour discuter de problématiques scolaires. On y débat de nombreuses questions lis à la scolarité des enfants. Pour les membres de cette société, l’éducation est politique et il faut apprendre aux enfants à vivre en république – compris ici comme république sociale et non bourgeoise.

Pédagogiquement, la Commune apporte de grands changements. C’est déjà l’implémentation d’une éducation intégrale et à coté des plus classiques sciences et lettres, une importance est marquée pour les sports et les arts, que de nombreuses mesures évoquent. Elle accorde également une place importante à l’enseignement professionnel pour les enfants. Dès le 22 mai 1871 s’ouvrirent tant pour les filles que pour les garçons, des écoles professionnelles.

De plus, au niveau même des méthodes, la Commune va favoriser une méthode expérimentale, scientifique partant de l’observation des faits, comme pourront l’être plus tard les pédagogies Freinet ou critique. La place de l’enfant est aussi repensé puisque celui-ci doit être relativement libre et sa conscience doit être respectée.

L’orphelinat de Campuis : Paul Robin et Ferdinand Buisson mettent en œuvre l’éducation intégrale
C’est en 1868 que Paul Robin devient directeur de l’orphelinat de Campuis, grâce au soutien de Ferdinand Buisson. Cette expérience se veut une mise en pratique des réflexions du mouvement ouvrier – notamment dans sa dimension libertaire – de l’éducation. Robin a fait parti de l’AIT et est proche de Bakounine. Pour lui, « tout enfant a droit de devenir en même temps un travailleur des bras et un travailleur de la tête ». En quoi consiste cette expérience ? Sorties, coéducations des sexes, observation, importance du désir et plaisir d’apprendre, rejet des manuels scolaires, éducation physique. On ne trouve pas de système de punitions ou de récompenses (comme le prônait également Louise Michel par exemple). Le choix des activités est variée en plus d’un socle généraliste pour les élèves qui pourront voir une diversité de métier, dans une sorte d’école-atelier.
En 1894, une alliance entre républicains et l’Église conservatrice va mener une campagne de presse afin de faire partir Robin de l’orphelinat, ses pratiques pédagogiques étant considérées comme trop dangereuses.

La position syndicale sur la pédagogie : des instituteurs syndicalistes à l’école émancipée
En 1905, un groupe d’instituteurs se révolte et brave l’interdiction faite aux fonctionnaires de se syndiquer en transformant les associations professionnels en véritable organisation de défense des droits des travailleurs et travailleuses et en rejoignant la CGT. Pourquoi une telle demande ? Car « c’est au milieu des syndicats ouvriers que nous prendrons connaissance des besoins intellectuels et moraux du peuple. C’est à leur contact et avec leur collaboration que nous établirons nos programmes et nos méthodes. ». De plus, on retrouve dans ce manifeste une demande d’autonomie vis-à-vis des notables et de l’État, le rôle de l’école doit être de travailler à la recherche de la vérité avec les élèves.

En 1910, ils lancent une revue, « L’école émancipée » qui a pour but d’appliquer le syndicalisme d’action directe dans le travail, c’est-à-dire dans leur pédagogie. C’est au sein de l’institution qu’ils luttent contre le nationalisme, le capitalisme, pour la liberté en réfléchissant à une pédagogie différente (méthode rationnelle) et en dénonçant la méritocratie républicaine. Le but est préparer la transformation de l’école avec pour devise « Travailler et combattre, édifier en détruisant ». Dans ses pages on y retrouve des recherches en sciences de l’éducation ou encore des cours mutualisés.